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Adoption, rejet, 49.3... Les 3 scénarios possibles de cette journée cruciale pour la réforme des retraites

L'hémicycle de l'Assemblée nationale photographiuée lors d'une séance de questions au gouvernement à Paris le 10 janvier 2023

L'hémicycle de l'Assemblée nationale photographiuée lors d'une séance de questions au gouvernement à Paris le 10 janvier 2023 - JULIEN DE ROSA © 2019 AFP

La réforme des retraites arrive en fin de parcours ce jeudi. Elle doit être votée dans les deux chambres du Parlement. À moins qu'Élisabeth Borne ne choisisse de dégainer le 49.3 devant les députés, faute d'avoir l'assurance d'une majorité absolue.

Le moment tant attendu est arrivé et le suspens est toujours là. Ce jeudi, après une commission mixte paritaire conclusive (CMP), la réforme des retraites fait son retour dans les deux chambres du Parlement. Un passage est prévu au Sénat à 9 heures, avant un autre à l'Assemblée nationale à 15 heures. Les deux chambres devront se prononcer sur la version finale du projet de loi.

Si l'affaire semble entendue au Palais du Luxembourg, où le texte a été adopté en première lecture samedi dernier, la messe n'est pas dite dans la chambre basse. Contrairement à leurs collègues sénateurs, les députés Les Républicains sont divisés. Le gouvernement a beau multiplier les concessions, les désaccords persistent. L'ultime compromis trouvé ce mercredi en CMP autour des carrières longues - la marotte des députés de droite réticents - n'a pas changé grand-chose au film.

Le sort de la réforme, si elle est votée, se jouera à une poignée de voix. En position de majorité relative, le camp présidentiel a besoin d'au moins une quarantaine de suffrages issus des bancs de la droite, à moins que le niveau d'abstention fasse baisser ce seuil.

Si le texte est adopté après un vote des deux chambres du Parlement, la macronie pourra se prévaloir de la légitimité démocratique de celui-ci. Dans le cas inverse, s'il est rejeté, le camouflet sera très sévère pour un projet de loi présenté comme la "mère des réformes" par Emmanuel Macron. Reste l'option du 49.3, qui permettrait au gouvernement de passer en force, sans vote des députés. Retour en détail sur ces trois scénarios.

· Un vote favorable à l'Assemblée nationale

L'exécutif le répète depuis des jours à qui veut l'entendre: "une majorité existe". C'est ce qu'a dit Élisabeth Borne pas moins de douze fois devant les députés ce mardi, lors des questions au gouvernement. Pour parvenir à leurs fins, les troupes présidentielles ont multiplié les tentatives - entre menaces d'exclusion du groupe Renaissance pour les députés qui ne voteraient pas la réforme, coups de fil passés aux élus Les Républicains hésitants ou compromis trouvé avec ces derniers en CMP ce mercredi.

Pour l'instant, une majorité absolue n'est toujours pas assurée selon nos estimations. Plus précisément, entre 262 et 285 députés se disent prêts à voter la réforme des retraites. Jusqu'ici, l'exécutif maintient son cap. Autour des principaux membres du gouvernement mobilisés sur le projet de loi et de la Première ministre, Emmanuel Macron l'a réaffirmé lors d'une réunion à l'Élysée ce mercredi soir: il "souhaite un vote au Parlement" ce jeudi.

Si la pièce tombe du bon côté, l'exécutif aura réussi son pari. Il pourra asseoir sa légitimité. Certes le mécontentement autour de la réforme ne disparaîtrait pas. Et les mobilisations pourraient continuer - Philippe Martinez, leader de la CGT, répétant à l'envi qu'une "loi, même votée n'est pas forcément appliquée", avec comme exemple le contrat première embauche (CPE).

Pour autant, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, le reconnaît lui-même dans Le Parisien:

"Les scénarios sont évidemment différents selon la nature du vote, s’il y a un 49.3 ou s’il y a un vote positif des parlementaires la logique n’est pas la même.

Ce dernier ajoute néanmoins que "dans tous les cas, ça ne veut pas dire qu'on appuiera sur le bouton stop".

· Le rejet du projet de loi par les députés

Avec d'autres responsables syndicaux, il se rendra ce jeudi vers 12h30 devant l'Assemblée nationale pour mettre la pression sur les députés hésitants. Les centrales, comme les oppositions de gauche et d'extrême droite, rêvent d'un vote défavorable pour le gouvernement.

Dans pareille hypothèse, ce serait un désaveu très clair. Le bateau macroniste, qui tangue déjà depuis plusieurs semaines, serait à la dérive. Quel sens aurait la suite du quinquennat d'Emmanuel Macron après le rejet de ce projet de loi majeur? Quid de sa capacité à réformer?

Précisons qu'un vote défavorable ne serait pas forcément synonyme d'une fin de l'examen du projet de loi. Celui-ci pourrait entrer dans un second round, avec une nouvelle navette parlementaire. Pas sûr néanmoins que l'exécutif, déjà fragilisé par ces semaines à défendre son texte, choisisse cette option. Il lui serait également possible de le retravailler avec les partenaires sociaux. Avec une impasse cependant: les syndicats refusent en bloc un report de l'âge légal, soit le coeur du projet présidentiel.

Le chef de l'État pourrait, par ailleurs, riposter avec une dissolution de l'Assemblée nationale, un pouvoir qui lui est permis par l'article 12 de la Constitution. Il a laissé planer cette menace ce mercredi soir. Une façon surtout pour lui de mettre la pression sur des élus Les Républicains. Membres d'un parti très affaibli par ses divisions mais aussi le score famélique de Valérie Pécresse à la présidentielle, ils pourraient potentiellement être en danger s'ils devaient mener campagne une nouvelle fois.

Dans un contexte post-réforme des retraites, pas sûr néanmoins que les troupes d'Emmanuel Macron soient renflouées en cas d'élections législatives. Dans tous les cas, la brèche de départ, un vote défavorable sur la réforme des retraites, a peu de chances de s'allumer. Si l'exécutif se jette dans la gueule du loup ce jeudi, il y a de grandes chances qu'il soit sûr de son coup.

· Le déclenchement du 49.3

Si ces derniers jours ne l'ont pas suffisamment rasséréné, le camp présidentiel dispose du 49.3. Cet article de la Constitution lui permet de faire adopter un texte, sans vote des députés, moyennant au passage l'engagement de sa responsabilité. Son utilisation entraîne la suspension immédiate des débats.

Mais à quel prix? Certes cet "outil est constitutionnel", comme l'a souligné Olivier Véran, mais le contexte est particulier. Différent de celui qui entourait le vote du projet de loi de finances ou le budget de la Sécurité sociale il y a quelques mois. Comment réagirait l'opinion publique, après des semaines de mobilisation exprimant un rejet massif du texte?

Pour l'instant, l'Élysée temporise et souhaite que "les consultations se pousuivent [ce jeudi] pour continuer la mobilisation". Emmanuel Macron réunit ce jeudi à 8h15 les chefs de parti et les présidents de groupes parlementaires de la majorité pour faire le point. Mercredi soir, l'Élysée indiquait que "tous les schémas institutionnels sont possibles avec la volonté de faire avancer le pays". Si l'exécutif dégaine finalement l'article couperet, il devra au préalable organiser un Conseil des ministres ce jeudi matin.

En surjouant la confiance et sa détermination à obtenir une majorité, il a d'une certaine façon préparé le terrain. "Certains bons esprits pensent que le gouvernement dit cela pour se dédouaner de son recours", a estimé le député centriste Charles de Courson sur BFMTV-RMC ce mardi. Il s'agirait ainsi de "dire 'moi je ne voulais pas [...] mais on m'y a contraint'". Pas de quoi empêcher le camp présidentiel de ressortir largement fragilisé par la séquence.

Et les oppositions sont déjà prêtes à riposter. Les insoumis veulent utiliser "tous les moyens à disposition" pour mettre en échec le gouvernement. La gauche étudie la possibilité d'un recours en Conseil constitutionnel mais aussi d'un référendum d'initiative partagée. Une option qui peut aboutir sur une proposition de référendum, mais n'a jamais aboutie depuis son introduction dans la Constitution en 2008.

Par ailleurs, en cas de 49.3, le Rassemblement national et La France insoumise déposeraient une motion de censure - les élus du parti de Jean-Luc Mélenchon souhaitent le faire, quelque soit le scénario. Mais, c'est surtout une motion transpartisane déposée par le centriste Charles de Courson et co-signée par des élus LR qui pourrait donner des sueurs au gouvernement.

Certes l'horizon de son adoption, rendue possible par le suffrage favorable de la majorité absolue des députés (287 actuellement) parait loin. Mais il serait atteignable avec un vote de la gauche unie, de l'extrême droite, des députés Liberté, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) et d'une bonne partie des élus de droite. Surtout, il ne susciterait pas le même rejet pour certains élus d'opposition qu'une motion des insoumis ou du RN. En tout cas, le vote se jouerait potentiellement à quelques voix. Suffisant pour inquiéter et fragiliser encore un peu le camp présidentiel.

Baptiste Farge