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Primaire à droite: la dangereuse stratégie de Juppé face à Fillon

Alain Juppé le 22 novembre 2016 à Toulouse

Alain Juppé le 22 novembre 2016 à Toulouse - Rémy Gabalda-AFP

Interruption volontaire de grossesse, soutiens d'extrême droite, thatchérisme: Alain Juppé agite les épouvantails pour faire barrage à son rival François Fillon. Mais pas sûr que ces attaques suffisent à rattraper ses 15 points de retard pour le second tour de la primaire de la droite dimanche.

La bataille de l'entre deux-tours bat son plein. Plus de 15 points séparent les deux candidats de la primaire de la droite. Pour rattraper son retard, Alain Juppé et ses conseils ont opté pour une stratégie agressive: exacerber les deux droites que l'ancien maire de Bordeaux et François Fillon sont censées représenter. "Nous avons deux visions différentes de la société", a-t-il déclaré sur BFMTV.

Un clivage entre modérés et radicaux

Alain Juppé reproche à François Fillon d'incarner une droite "extrêmement traditionaliste, pour ne pas dire rétrograde". Le maire de Bordeaux a ainsi fait de ce clivage, entre modérés et radicaux, le fond de sa campagne. L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac ne cesse de dénoncer le conservatisme de l'ancien chef du gouvernement de Nicolas Sarkozy. "Il y a une France nostalgique de l'ordre ancien qui a pour modèles madame Thatcher."

Au cœur de cette rivalité mise en scène par Alain Juppé: la place des femmes dans la société. Il y a d'abord eu la polémique sur l'interruption volontaire de grossesse. Le maire de Bordeaux a demandé à son rival de clarifier sa position sur l'avortement, qualifiée "d'ambiguë". Son équipe a exhumé des propos de François Fillon datant de juin dernier dans lesquels il déclarait que "compte tenu de sa foi personnelle", il ne pouvait pas "approuver l'avortement". 

Alain Juppé s'est engouffré dans la brèche: il a organisé une discussion intitulée "Pour une France moderne et une société ouverte: la clé se sont les femmes". Et a enfoncé le clou lors d'une réunion publique à Toulouse, rappelant que "l'IVG est un droit fondamental".

NKM enceinte et cadres du FN

Dans la même veine, Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate malheureuse à la primaire qui s'est ralliée à Alain Juppé, a assuré que François Fillon, alors Premier ministre, lui avait refusé en 2009 de lui confier un ministère au prétexte qu'elle était enceinte. 

Nouvel angle d'attaque pour le maire de Bordeaux: les liens entre son rival et l'extrême droite. Alain Juppé a évoqué "les soutiens d'extrême droite" de François Fillon, qui "arrivent en force". Parmi ces hommes qui appuient le candidat arrivé en tête du premier tour se trouvent Aymeric Chauprade, ancien conseiller de Marine Le Pen favorable à un rapprochement avec Moscou. Carl Lang, ancien secrétaire général du Front national et actuel président du Parti de la France, une organisation politique d'extrême droite. Riposte laïque, mouvement islamophobe d'extrême droite, a aussi multiplié les appels à voter pour François Fillon.

Ou encore Jacques Bompard, maire d'Orange, dans le Vaucluse. Président de la Ligue du Sud, un parti d'extrême droite, il a déclaré sur Twitter qu'il voterait pour François Fillon, estimant qu'Alain Juppé était "encore plus à gauche" que François Hollande.

L'épouvantail de l'extrême droite

Le maire de Bordeaux espère ainsi rassembler autour de sa candidature l'électorat modéré de la droite, du centre et peut-être aussi de la gauche en agitant l'épouvantail de l'extrême droite.

"Pour Alain Juppé, le fait que François Fillon soit soutenu par des organisations d'extrême droite ne permet pas un large rassemblement, ce qui le fragilise, ajoute le politologue Thomas Guénolé. Alain Juppé fait aussi le procès en faisabilité du programme de François Fillon. Selon lui, il va tellement loin dans le thatchérisme qu'il va mettre tout le pays dans la rue et le paralyser."

L'enjeu du vote anti-Sarkozy

Mais difficile de savoir si cette stratégie sera payante dimanche lors du second tour de la primaire.

"Il y a un élément que l'on ne prend pas suffisamment en compte, c'est la part du vote anti-Sarkozy, ajoute Thomas Guénolé, également enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris. Ce sont 40% des électeurs de François Fillon et 70% de ceux d'Alain Juppé qui ont voté non pas pour eux mais contre Nicolas Sarkozy. C'est le vote anti-Sarkozy qui est en tête du premier tour, pas le vote Fillon. Et c'est le graal de cette élection."

Et selon lui, ces électeurs qui se sont mobilisés contre l'ancien président de la République peuvent tout aussi bien passer de l'un à l'autre au second tour. "La question qui se pose, c'est à quel point le vote anti-Sarkozy peut devenir un vote anti-Fillon? On est dans le noir."

"Un électorat en demande de droite"

C'est sans doute pour cela qu'Alain Juppé a développé un autre point d'attaque: celui selon lequel François Fillon est comptable du bilan de Nicolas Sarkozy. "Il a été mon ministre. En votant pour lui, les gens ont voté un peu pour mon bilan", a même déclaré Nicolas Sarkozy au soir de sa défaite. Pour le maire de Bordeaux, "le soutien de Nicolas Sarkozy à François Fillon clarifie la situation", évoquant un "tandem qui se reconstitue". 

Mais pour Jérôme Sainte-Marie, président de la société d'études et de conseil Pollingvox, cette stratégie risque d'être contre-productive. Sans compter que, selon le politologue, "les banderilles plantées dans le dos de François Fillon" pourraient ressortir lors de la campagne présidentielle s'il est finalement désigné candidat de la droite. 

"C'est une primaire de la droite, avec un électorat en demande de droite. Cette élection ne va pas se gagner au centre. Cette stratégie pourrait marcher s'il y avait un afflux de nouveaux électeurs, comme des électeurs de gauche effrayés par le programme de François Fillon. Mais beaucoup d'entre eux étaient venus au premier tour pour régler son compte à Nicolas Sarkozy."

20% de différences entre les deux candidats

Selon Benoist Apparu, le porte-parole d'Alain Juppé, cette rivalité entre les deux candidats s'explique en grande partie par la convergence de leurs points de vue. "On a 80% de points d'accord avec" le programme de François Fillon. "Entre les deux tours, c'est logique que tout le monde se concentre plutôt sur les 20%" de désaccords, a-t-il précisé.

20% qui pourraient changer la donne en 2017.

"C'est cette part minoritaire de différences entre Alain Juppé et François Fillon qui transformera totalement le paysage du premier tour de l'élection présidentielle, analyse Thomas Guénolé. Car si François Fillon est désigné lors du second tour de la primaire, l'argument d'Alain Juppé c'est que François Bayrou sera candidat, faisant baisser le score de la droite et ses chances de reprendre le pouvoir."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV