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"Tout le monde va être mécontent": avec la présentation du budget, le plus dur commence pour Barnier

Michel Barnier à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2024

Michel Barnier à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2024 - Dimitar DILKOFF / AFP

À la veille de la présentation du budget en Conseil des ministres, le locataire de Matignon se prépare à des discussions sous haute tension. Entre des ministres mécontents, une gauche hostile, une coalition présidentielle qui va vouloir se faire entendre et un RN louvoyant, les prochaines semaines s'annoncent tendues.

Une gauche remontée, des députés Rassemblement national qui ont posé leurs lignes rouges et des macronistes bien décidés à ne rien laisser passer à Michel Barnier. Le Premier ministre va devoir affronter des journées très délicates à l'issue de la présentation du budget ce jeudi après-midi.

"On va rentrer dans une période très difficile où chaque journée risque d'être pire que la précédente mais c'est le jeu", soupire un conseiller ministériel auprès de BFMTV.com.

"Des voix dissonantes au gouvernement"

Première étape: rentrer dans le dur. Après avoir égrené différentes pistes lors de son discours de politique générale, aidé par Bercy qui a évoqué quelques mesures publiquement, Michel Barnier abat ses cartes en dévoilant des arbitrages chiffrés sur le budget 2025. Au risque de froisser.

"On va probablement avoir des voix dissonnantes au gouvernement dans les heures qui suivent, sûrement beaucoup plus que d'habitude", admet le député Renaissance David Amiel.

Certains ont déjà commencé à l'instar du ministre de la Justice Didier Migaud qui s'est inquiété mardi devant les députés d'un "budget pas satisfaisant". Et pour cause: le garde des Sceaux a évoqué ce mardi devant les députés une baisse de 487 millions d'euros.

"Tout le monde va vouloir défendre son bout de gras"

Si la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a souhaité le rassurer ce mercredi matin sur BFMTV, en évoquant une "hausse des effectifs" du ministère de la Justice, elle n'a pas fait semblant. "Il va falloir que chacun accepte aussi de faire des efforts", a-t-elle lancé.

"Tout le monde va être mécontent, vouloir défendre son bout de gras. Et c'est bien logique. On va devoir plancher sur l'un des budgets les plus durs des dernières décennies", reconnaît la députée socialiste Christine Pirès-Beaune.

"Quelqu'un que personne ne connaît et qui n'est pas content ne pèse rien"

Parmi les ministères qui risquent de devoir faire de gros efforts budgétaires, on compte notamment la Santé avec l'hypothèse posée sur la table de moins bien rembourser les consultations médicales. La ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, a déjà annoncé la couleur, assurant "ne pas être une fée" et ne pas pouvoir "faire de miracle".

"La chance de Michel Barnier, c'est qu'à l'exception de Bruno Retailleau, il n'y a personne avec un poids politique dans le gouvernement. Donc quelqu'un que personne ne connaît et qui n'est pas content ne pèse rien", banalise un sénateur LR.

Un attelage "baroque" à la commission des Finances

Autre caillou dans la chaussure: un duo à la tête de la commission des Finances bien décidé à se faire entendre avec d'un côté l'insoumis Éric Coquerel et de l'autre Charles de Courson (Liot), le rapporteur général du Budget qui, pour la première fois de l'histoire de la Ve République, est issu de l'opposition.

De quoi rendre particulièrement compliquées les discussions en amont des débats dans l'hémicycle ?

"Le rapporteur est celui qui met de l'huile dans les rouages, qui joue un peu le rôle du ministre de l'Économie à l'Assemblée, qui facilite les discussions. On se prive d'un grand allié", regrette un député LR.

"Cela risque de faire quelque chose d'assez baroque", résume sobrement de son côté le député David Amiel.

"Trop d'impôts"

Le tout couronné par les doutes de la propre coalition de Michel Barnier. Bien décidé à protéger le bilan de son camp qui a fait de la baisse des impôts un totem, Gabriel Attal n'a pas hésité à organiser une conférence de presse ce mercredi matin, donnant le la des prochaines semaines.

"La crainte que nous avons déjà exprimée, c'est que le budget qui semble se dessiner n'intègre pas assez de réformes et trop d'impôts, avec le risque de déstabiliser nos industries et la classe moyenne qui travaille", a avancé le président des députés macronistes.

Quant à Gérald Darmanin, il n'a pas ménagé ses critiques ces dernières semaines, accusant Michel Barnier de préparé un "choc fiscal" qui pourrait "tuer la croissance".

"Ils font monter la pression mais ça va redescendre. Les deux personnes en charge de Bercy sont issues de nos rangs. Donc à la fin, on va les soutenir quand ils vont faire la tournée des médias ce week-end", souligne un macroniste.

"Chacun va vouloir tirer la couverture à lui"

Seconde étape à haut risque: les débats à l'Assemblée nationale. Si le gouvernement a promis de reprendre "les bonnes idées", laissant entendre qu'il pourrait reprendre à son compte via des amendements gouvernementaux certaines propositions d'autres bords politiques, les débats s'annoncent déjà cauchemardesques.

"Les débats budgétaires sont toujours des moments de tension. C'est un grand classique mais là vous êtes en plus dans une Assemblée balkanisé donc chacun va vouloir tirer la couverture à lui", soupire un vieux routier de l'Assemblée.

Mais si Renaissance pourrait croiser le fer avec le gouvernement, les députés de droite vont aussi vouloir jouer sa propre partition. À commencer par la question des retraités.

Les retraités, "bouc émissaires" pour la droite

Les pensions de retraite pourraient être réindexées sur l'inflation non en janvier, comme initialement prévu mais en juillet prochain. Une ligne rouge pour Laurent Wauquiez qui avait expliqué lors de la présentation de son pacte législatif en juillet prochain refuser que les retraités soient mis à contribution.

"Notre inquiétude, c’est que les retraités ne finissent en bouc émissaires du 'quoi qu’il en coûte'", a reconnu le président des députés LR ce mardi à la tribune de l'Assemblée, appelant "à trouver des pistes d’économies, en protégeant nos retraités".

"On s'est ouvert de ce problème à Michel Barnier. On va trouver une solution, c'est certain", veut croire le député de droite Philippe Juvin. Avec en guise de soutien le Sénat, dirigée par le centre et la droite.

"Le Sénat va être une maison alliée. Le Premier ministre va devoir reprendre des choses des sénateurs LR et on peut supposer que sur la question des retraités, ils seront en pointe", juge Claude Raynal, le président socialiste de la commission des Finances au Sénat.

L'ombre du 49.3

Dernière étape du chemin de croix et la plus dangereuse: celle d'un très hypothétique vote. Rares sont ceux à imaginer le gouvernement aller au vote sur le budget sans majorité. Michel Barnier n'a d'ailleurs pas fait semblant.

"Je souhaiterais que le budget puisse être adopté par l'Assemblée nationale", a assuré le Premier ministre la semaine dernière sur France 2. "Mais si on n'y arrive pas, on utilisera le 49.3, qui est un outil de la Constitution", a-t-il reconnu sans ambages.

À quel point ce dispositif sera-t-il utilisé ? La question est ouverte alors qu'Élisabeth Borne avait dû dégainer cette carte pas moins d'une vingtaine de fois fois sur les différents volets du budget de l'État et de la sécurité sociale. Dans l'hypothèse la plus favorable au gouvernement, seulement deux 49.3 seraient nécessaires au cas où les budget seraient adoptés en commission mixte paritaire, cet organe qui réunit sénateurs et députés, et qui est dominée par la macronie et la droite.

Une bonne nouvelle pour Michel Barnier alors qu'Élisabeth Borne était ressortie épuisée physiquement et politiquement de sa litanie de 49.3.

"C'est très fatigant, vous siégez jusqu'à pas d'heure dans une ambiance électrique. C'est dur et ça symbolise la difficulté de l'exercice du pouvoir", résume le député LR Philippe Juvin.

"Barnier ne peut pas tomber" sans l'appui du RN

"Moins de 49.3, c'est aussi moins de chances de tomber lors d'une motion de censure", reconnaît également un député macroniste. Un point positif pour le gouvernement alors que le député RN Sébastien Chenu a déjà expliqué que le RN "ne votera pas le budget".

"On a brandi des mois le risque de censure sans jamais le faire. J'ai l'impression que le RN va faire de même. Et sans soutien du RN pour le renverser, Barnier ne peut pas tomber", avance cependant un député LR, proche de Michel Barnier.

Un élu Modem se moque déjà et pointe le risque de démonétisation du Premier ministre à la fin des débats. "Censure ou pas, on risque quand même de voir au travers de son costume à la fin du budget".

Marie-Pierre Bourgeois