Retailleau veut interdire le voile aux accompagnatrices lors des sorties scolaires: ce que dit la loi

Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, le 23 septembre 2024 à Matignon - IAN LANGSDON / AFP
Une volonté qui se confronte au droit. Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau souhaite interdire le port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires qu'il considère "comme l'école hors les murs". "Il faut être absolument intransigeant" sur la laïcité, a insisté le locataire de la place Beauvau ce mardi 7 janvier sur RTL.
En l'état actuel de la loi, les parents d'élèves qui accompagnent des classes à l'extérieur d'un établissement scolaire peuvent arborer des signes et des tenues religieuses qui manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse. C'est le Conseil d'État qui a tranché le sujet dans un avis de 2013.
Un avis clair du Conseil d'État
Selon la plus haute juridiction administrative, ces parents sont de simples "usagers" du service public représenté par l'école. Ils ne sont ni "agents" ni "collaborateur" du service public qui sont seuls concernés par "les exigences de neutralité religieuse". Les mères voilées n'y sont donc légalement pas soumises.
Pour rappel, dans le cas de l'école, aucun professeur ou personnel du monde enseignant au sens large comme les surveillants ou les personnels de cantine ne peuvent arborer dans les établissements publics scolaires des signes religieux visibles.
Cette disposition existe depuis la loi de 1905 concernant la séparation des églises et de l'État et a été consacré dans la Constitution de 1958.
Liberté des directeurs d'établissement
Le Conseil d'État rappelle cependant dans son avis que la liberté des convictions religieuses doit être conciliée "avec les exigences particulières découlant des principes de laïcité et de neutralité des pouvoirs publics".
L'institution précise encore que "les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente", autrement dit la direction de l'établissement scolaire, "à recommander" aux parents qui accompagnent des sorties scolaires de "s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses".
Concrètement, c'est donc au directeur d'une école ou au principal ou proviseur d'un collège ou d'un lycée de décider de demander ou non à l'accompagnant de sorties scolaires de se conformer à la neutralité religieuse.
Une circulaire qui interdit le port du voile dans les sorties scolaires en 2012
Seule limite applicable dans le cadre d'une sortie scolaire: la dissimulation du visage, interdit dans tout l'espace public depuis 2010. La règlementation a cependant évolué ces dernières années, faisant de la question du port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires un serpent de mer de la vie politique.
En 2012, soit un an avant l'avis du Conseil d'État, Luc Chatel, alors ministre de l'Éducation nationale sous Nicolas Sarkozy, publie une circulaire qui interdit le port du voile aux mères accompagnatrices de sorties scolaires.
Cette circulaire marque un tournant. Jusqu'ici, aucun texte n'avait donné de consigne en la matière aux établissements scolaires. La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité - une institution qui n'existe plus depuis 2011 - avait estimé, en 2007, que le fait d’interdire la participation d’une mère d’élève aux sorties scolaires était "contraire aux dispositions interdisant les discriminations fondées sur la religion".
Changement de cap avec Najat Vallaud-Belkacem
La Halde avait par ailleurs rappelé que la loi de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école ne concernait pas les parents mais les élèves.
Après l'élection de François Hollande en 2012, le ministre de l'Éducation nationale de l'époque Vincent Peillon met ses pas dans ceux de Luc Chatel et considère que "les parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires doivent faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, notamment religieuses".
"Je n'ai pas abrogé la circulaire Luc Chatel", précise-t-il encore en décembre 2013 sur Public Sénat, quelques jours à peine avant l'avis du Conseil d'État.
Changement de ton quelques mois plus tard avec l'arrivée de Najat Vallaud-Belkacem rue de Grenelle. "L’acceptation de la présence" des mères voilées "aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception", indique la ministre devant l'Observatoire de la laïcité.
Par ses directives, la nouvelle ministre de l'Éducation reprend donc à son compte les termes du Conseil d'État en la matière. Depuis, aucune circulaire ou loi n'a changé la situation.
Macron opposé à légiférer
Après l'élection d'Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, alors à la tête de l'Éducation nationale, estime devant le Sénat qu'interdire le port du voile pour les accompagnatrices "poserait tout un tas de problèmes pratiques qui iraient à l'encontre du développement des sorties scolaires" tout en le jugeant "pas souhaitable".
Le chef de l'État avait lui-même expliqué lors d'une interview sur BFMTV que "pour les mamans accompagnatrices hors de l'école qui portent le foulard", "elles sont citoyennes, elles ont leur identité, elles sont là et la société, elle, n'est pas laïque et leur permet d'avoir le voile".
Depuis, le Sénat à majorité de droite a adopté dans le cadre de la loi contre les séparatismes un amendement qui interdit le port ostensible de signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires en 2021.
"Une difficulté" pour interdire le voile aux accompagnatrices
À l'époque, alors président des sénateurs LR, Bruno Retailleau avait soutenu ce dispositif présenté par sa collègue Jacqueline Eustache-Brinio. Mais les députés avaient de leur côté largement rejeté ce dispositif. Depuis, aucune mesure n'est spéciquement à l'étude sur le sujet. Bruno Retailleau ne fait d'ailleurs pas semblant.
"Il y a une difficulté sur ce genre de choses", a reconnu le locataire de la place Beauvau ce mardi sur RTL, remarquant qu'il "n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale" pour faire adopter une telle mesure.
Même si c'était le cas, il serait fort probable que le Conseil constitutionnel soit ensuite saisi et reprenne à son compte l'avis du Conseil d'État qui autorise le port des signes religieux aux parents accompagnateurs de sorties scolaires.