"J'avais peur que mon coeur s'arrête à nouveau": face au Dr Frédéric Péchier, deux victimes témoignent de leur traumatisme

Croquis d'audience du 8 septembre 2025 montrant l'ancien anesthésiste Frédéric Pechier (2e g) et son avocat Randall Schwerdorffer (g) dans la salle du palais de justice de Besançon, dans le Doubs - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP
Miraculés, c’est ainsi que l’on peut les présenter. Sandra Simard et Jean-Claude Gandon ont partagé leur histoire commune devant la cour d’assises du Doubs: un arrêt cardiaque inexpliqué en pleine opération en janvier 2017 à la clinique Saint-Vincent de Besançon. Ils sont les derniers événements indésirables graves retenus pour ce procès; les deux élément d'une affaire tentaculaire: l'affaire Frédéric Péchier, un ancien anesthésiste accusé de l'empoisonnement de trente patients dont Sandra Simard et Jean-Claude Gandon.
Sandra Simard s’approche la première à la barre. "Comme vous avez pu l’entendre, je suis entrée à la clinique Saint-Vincent le 10 janvier 2017", expose la comptable de 45 ans. "Je me suis endormie le 11 au matin, et je me suis réveillée le 16 au matin, intubée, attachée et perdue. Et malgré les années, je n’ai rien oublié…" La quadragénaire a passé cinq jours dans le coma après avoir été victime d’un arrêt cardiaque inexpliqué au cours d’une opération du dos.
À son réveil, elle affronte les hallucinations, la paranoïa, les douleurs de son sternum fracturé par un massage cardiaque. "J’ai trois enfants, qui avaient 16, 13 et trois ans à l’époque. Je les ai vus quelques jours après mon réveil. Au moment de partir, quand ils ont quitté la salle, je leur ai dit au revoir comme si c’était la dernière fois que je les voyais", confie Sandra Simard à la cour. "C’est ce que je pensais… C’est la chose la plus difficile que j’ai eue à vivre", poursuit-elle.
"Je pensais que le problème venait de moi"
Les jours qui suivent son réveil, faute d'explication médicale à son arrêt cardiaque, Sandra Simard vit dans la crainte. "J’avais peur que mon cœur s’arrête à nouveau."
Cette peur a aussi submergé Jean-Claude Gandon, touché par un arrêt cardiaque inexpliqué neuf jours après celui de Sandra Simard. S'il réfute en être à l'origine, Frédéric Péchier reconnaît que l'EIG (événement indésirables grave) du patient est un empoisonnement. C'est d'ailleurs l'unique parmi les 30 cas recensés dans ce dossier.
"À l’époque, je pensais que le problème venait de moi, poursuit Jean-Claude Gandon à la barre. "J’avais peur en m’endormant. Je mettais la télé toute la nuit. Je me méfiais beaucoup."
Jean-Claude Gandon, suivi pour un cancer de la prostate, se demande pourquoi, comment son cœur a-t-il pu s'arrêter. Un policier lui apportera la réponse à ses questions. "La police m’a appelé pour me dire que ce n’est pas le cœur qui a lâché, mais qu’une main a mis des produits illicites dans ma poche", ajoute-t-il.
Un appel délivrera également Sandra Simard. "On m’a informée qu’un produit toxique était passé dans mes veines. Ce n’était pas une bonne nouvelle, mais pour la première fois j’avais la confirmation que je n’avais pas de problèmes cardiaques." Un second appel lui apprendra qu’un médecin est suspecté de l’avoir empoisonnée et qu’il a été mis en examen. "J’étais aussi sous le choc, je ne comprenais pas comment c’était possible", se rappelle la quadragénaire.
Auprès de la cour, Sandra Simard évoque les suites médicales. "J’ai débuté ma rééducation plusieurs mois plus tard. Tout mon corps restait douloureux. J’avais besoin de prendre du recul avec la médecine et les hôpitaux. Je suis entrée en centre de rééducation en décembre 2017." Elle ne devait y rester que six semaines. "J’y suis restée six mois", rappelle la fondatrice d’une association de victimes de Frédéric Péchier.
Après deux ans et demi en arrêt maladie, "mon corps va mieux", affirme Sandra Simard. "Je vis comme dans le corps d’une vieille personne. Heureusement, j’ai des moments de répit. L’hiver, c’est un calvaire… Ça remet toute ma vie en cause, toutes mes habitudes, mais j’estime ne pas avoir le droit de me plaindre car je suis en vie." Parmi les 30 empoisonnements retenus au procès, 12 ont été mortels.
"J’ai gardé ma confiance en chaque médecin, chaque soignant", déclare-t-elle face à la cour et l'oreille attentive de Frédéric Péchier. "C’est grâce à eux si je suis encore là aujourd’hui, et je les remercie profondément."
Jean-Claude Gandon n’a pas non plus perdu sa petite lumière. Il n’est d’ailleurs pas impossible de le croiser en train de siffloter dans la salle des pas perdus. "Je ne veux pas trop me plaindre, les autres sont encore en vie", dit-il à la cour. "Ça a fait souffrir ma famille."
"Le mépris blesse autant que la seringue"
Sandra Simard offre à son tour une nouvelle leçon de vie. L’avocate générale lui demande ce qu’elle a ressenti en apprenant les propos tenus par Frédéric Péchier qui, en évoquant le cas de Jean-Claude Gandon a notamment dit: 'Il est pas mort c’est déjà pas mal.’
"J’ai ressenti du mépris. Et le mépris blesse autant que la seringue qui vous empoisonne", lance dignement Sandra Simard sous le regard d’un Frédéric Péchier stoïque.
Son avocat, Me Frédéric Berna l’invite à dire à la cour ce qu’elle lui a confié lors de la première audience de Frédéric Péchier. "Je vous avais demandé de plaider la non mise en détention, car je n’avais pas suffisamment d’éléments pour penser qu’il était coupable", rapporte-t-elle. "Je ne voulais pas qu’on mette un innocent en prison."
Les éléments se sont accumulés et aujourd’hui, Sandra Simard a une tout autre lecture du dossier, de son arrêt cardiaque et d’une mort promise à laquelle elle a réchappée.