La gauche à Matignon? Un profil "technique"? Les différents scénarios pour le prochain Premier ministre

Un micro devant le perron de Matignon, avant l'allocution de Sébastien Lecornu annonçant sa démission, le 6 octobre 2025. - Photo par STEPHANE MAHE / POOL / AFP
Ce jeudi 9 octobre, le brouillard est encore épais autour du prochain Premier ministre. Qui succédera à Sébastien Lecornu, contraint de démissionner quatre jours plus tôt dans un vaudeville dont la politique a le secret? Une personnalité avec un profil "technique"? Un Premier ministre de gauche? Sébastien Lecornu lui-même? Jean-Louis Borloo?
Tour d'horizon, en attendant la décision d'Emmanuel Macron, censée intervenir d'ici vendredi soir.
• Un gouvernement "technique"?
Souvent évoquée ces derniers mois, mais jamais concrétisée, la piste d'un gouvernement "technique" est toujours dans l'air. Technique, dans le sens où celui-ci ne comprendrait aucune personnalité très connotée politiquement, mais plutôt des experts (économiste, haut-fonctionnaire, diplomate...).
L'interview mercredi soir de Sébastien Lecornu, qui revenait sur les conclusions de ses ultimes discussions avec les partis politiques, redonne du poids à cette hypothèse. Le Premier ministre démissionnaire s'est dit convaincu que la prochaine équipe gouvernementale devrait être "complètement déconnectée des ambitions présidentielles".
Une forme de retour d'expérience pour Sébastien Lecornu qui met en cause des "appétits partisans", visant notamment Bruno Retailleau, président du parti Les Républicains, qui a précipité sa chute dimanche en remettant en cause la participation de LR au gouvernement.
Pour ce type de scénario, le nom de Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), avait été évoqué en septembre 2024, avant qu'Emmanuel Macron ne choisisse finalement Michel Barnier (LR) pour Matignon.
Reste à savoir si un gouvernement peut réellement être uniquement "technique". "C'est quoi technique?", s'interrogeait Sébastien Chenu, vice-président du Rassemblement national sur BFMTV ce mercredi, s'opposant à cette expression, du moins au caractère consensuel qu'elle sous-entend.
"Vous voulez plus ou moins d'immigration? C'est de la technique ou de la politique? C'est forcément de la politique. Vous voulez plus ou moins d'impôts? (...) C'est forcément des choix politiques", a-t-il développé, reprenant un argument régulièrement entendu au sein de la classe politique.
Autrement dit, la seule personnalité nommée à Matignon ne devrait pas suffire. Il resterait le problème de fond: comment obtenir une non-censure, en convainquant à la fois les socialistes, qui demandent une suspension de la réforme des retraites et les députés LR, forcément plus réticents sur le sujet même s'ils ne sont visiblement pas totalement fermés, selon un article du Parisien.
• La gauche à Matignon?
Et si la gauche parvenait finalement à prendre Matignon? Plus d'un an après que l'alliance du Nouveau Front populaire (comprenant notamment LFI, le PS, Les Écologistes et le PCF, NDLR) est arrivée en tête aux élections législatives anticipées, avec une majorité très relative, les partisans de cette ancienne alliance plaident pour.
Par trois fois déjà, Emmanuel Macron a refusé cette option. Raison pour laquelle la gauche, qui souligne que les autres gouvernements ont échoué, se sent encore plus légitime pour réclamer le pouvoir.
Le contexte lui est aussi favorable du fait de la position du Rassemblement national: le parti d'extrême droite a prévenu qu'il censurerait tous les prochains gouvernements. L'exécutif, qui avait déjà fait de la gauche son principal interlocuteur, est d'autant plus obligé de se tourner vers elle. Au moins pour trouver un compromis.
Socialistes, écologistes et communistes lui demandent d'aller plus loin en nommant un Premier ministre de gauche. "Si les macronistes ne veulent pas la dissolution, je n'ai qu'une seule solution pour eux, c'est la cohabitation", a prévenu Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes.
Cette option, comme toutes les autres, n'est pas sans risque. Pour ses partisans, la pression vient des deux côtés. Sur la gauche, les insoumis demandent une abrogation de la réforme des retraites et pas une seule suspension pour ne pas censurer. Et sur la droite, Bruno Retailleau s'inscrit contre la suspension de cette loi portée par Élisabeth Borne en 2023 pour que l'âge légal de départ à la retraite passe progressivement de 62 à 64 ans d'ici 2032.
Mais le patron de LR serait-il suivi par les députés de son parti, qui préféreraient éviter une nouvelle dissolution de l'Assemblée? Pas forcément, ces derniers étant prêts à accepter une suspension de la réforme, d'après l'article du Parisien déjà cité.
D'ailleurs, signe de l'incertitude ambiante et des tensions à LR, le porte-parole du groupe de députés, Vincent Jeanbrun a souligné sur X mercredi que "les décisions qui engagent un groupe parlementaire sont prises par les députés dudit groupe parlementaire et non par le seul parti."
Dernier élément: si la gauche était nommée pour prendre la tête du gouvernement, qui la représenterait? Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste? Son homologue Marine Tondelier? C'est loin d'être garanti tant ces personnalités ne sont pas sans ambitions présidentielles... De même que Bernard Cazeneuve - qui n'est plus au PS depuis 2022 - dont le nom a été cité lors des précédents remaniements.
• L'option Jean-Louis Borloo?
A 74 ans, Jean-Louis Borloo, ministre sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy va-t-il s'offrir un invraisemblable retour au pouvoir? Son nom, loin d'être inconnu, est cité parmi les potentiels Premier ministrables ces dernières heures et commenté par plusieurs hommes politiques.
Le fondateur de l'Union des démocrates et indépendants (UDI) présente l'avantage d'être "ni de gauche, ni macroniste", a relevé Bruno Retailleau ce jeudi lors d'un sommet sur la compétitivité organisé par Politico, sans dire toutefois s'il soutenait sa nomination à Matignon.
Un peu plus tôt, c'est le sénateur socialiste du Nord Patrick Kanner qui a jugé sur France Info que la nomination de l'ancien maire de Valenciennes serait un "sacré pari". Avant de rétropédaler sur LCI, assurant qu'il s'agissait d'une "boutade". Et d'expliquer que Jean-Louis Borloo porterait "une politique au mieux de centre droit".
Auprès de l'AFP, Pierre Jouvet, le secrétaire général du PS, a rappelé la position de son parti, déclarant:
"Un Premier ministre de gauche est aujourd'hui l'unique solution pour permettre d'avoir le soutien du bloc de gauche à l'Assemblée et la non-censure des macronistes." "Le reste c'est faire le choix de la provocation, de l'instabilité politique permanente", a-t-il complété.
En tout cas, une nomination de Jean-Louis Borloo ne manquerait pas de sel au regard de son passé avec Emmanuel Macron. Après sa première élection, le président lui avait demandé un rapport sur les banlieues, finalement enterré en 2018. Ce qui avait été perçu comme une humiliation de l'ancien ministre délégué à la Ville.
Interrogé par l'AFP, le principal intéressé a démenti la rumeur. "J'ignore absolument tout", a-t-il déclaré, assurant n'avoir "aucun" contact avec l'entourage du président.
• Un Premier ministre issu de LR, une nouvelle fois?
Sérieusement remontée après la nomination du gouvernement Lecornu, au point de jeter un doute sur sa future participation, la droite ne veut plus d'un Premier ministre macroniste.
Elle serait prête à participer à un exécutif "de cohabitation", pour reprendre les mots du patron de LR, Bruno Retailleau. Le même, interrogé mardi par Europe 1-Cnews, a précisé que l'arrivée à Matignon il y a un an de Michel Barnier, membre de LR, était une "forme de cohabitation".
Si par prudence, il vaut mieux se garder d'exclure le scénario d'un nouveau Premier ministre de droite, celui-ci semble très peu probable. Car plusieurs questions qui sont autant d'obstacles potentiels se posent: Emmanuel Macron peut-il vraiment nommer un chef de gouvernement LR, qui accepterait dans le même temps de suspendre la réforme des retraites pour éviter la censure?
Plus simplement: serait-il prêt à retenter le coup après que Michel Barnier a été censuré au bout de seulement trois mois?
• Une reconduction de Sébastien Lecornu?
La série politique de cette semaine ne manque pas de rebondissements. Mais un épisode pourrait encore lui donner de l'ampleur: la reconduction de Sébastien Lecornu dans ses fonctions, avec un gouvernement forcément différent du précédent. Cette possibilité était évoquée mardi par plusieurs médias, dont Le Parisien.
Elle présenterait l'avantage, selon ses soutiens, de garder aux responsabilités celui qui est au cœur des négociations depuis un mois. Lequel serait difficilement censurable pour LR ou une partie du camp présidentiel, même s'il proposait une suspension de la réforme des retraites. Toutefois, le symbole Lecornu pourrait potentiellement constituer un casus belli pour les oppositions.
Toutes ont décrié un gouvernement reflétant une continuité du macronisme en début de semaine. Que diraient-elles si Emmanuel Macron, tout en modifiant la composition du gouvernement nommait à nouveau à sa tête l'un de ses plus proches alliés?"Ma mission est terminée", "je ne cours pas après le job" a commenté le principal intéressé sur France 2.
Mais dans la même interview, celui-ci a semblé faire correspondre son profil avec l'idée de former un gouvernement "déconnecté des ambitions présidentielles pour 2027". Lui, le "moine-soldat", qui a pris soin de préciser qu'il n'était "pas" candidat à l'Élysée.