Discours de politique générale: pouvoir d'achat, impôts, immigration... Ces sujets que Barnier ne pourra pas éviter

Michel Barnier à Matignon le 27 septembre 2024 - Thomas SAMSON / AFP
Plus de trois semaines après son arrivée à Matignon, Michel Barnier entre dans le vif ce mardi 1er octobre à la tribune de l'Assemblée nationale. Si peu de choses ont filtré jusqu'ici de ses intentions politiques, le chef du gouvernement est désormais tenu de présenter ses objectifs pour les prochains mois qui doivent à la fois convaincre la macronie et le Rassemblement national.
Vers une hausse d'impôts pour les très grandes entreprises et les ménages les plus riches
Dans un contexte budgétaire particulièrement tendu avec un déficit public qui pourrait dépasser les 6%, Michel Barnier devrait consacrer une partie de sa déclaration de politique générale aux impôts.
Il est jusqu'ici resté très flou sur ce sujet à haut risque politique après 7 ans de baisse ininterrompue, l'une des principales promesses d'Emmanuel Macron en 2017 puis en 2022.
Tout au plus a-t-il confirmé vendredi dans les colonnes du Journal de Saône-et-Loire vouloir augmenter certains impôts en ciblant "ceux qui peuvent contribuer à cet effort", soit les entreprises et les très riches, et en préservant "ceux qui sont sur le terrain, qui travaillent, qui produisent".
La ligne de crête s'annonce étroite: 27 députés macronistes se sont ainsi fendus d'une tribune dimanche jugeant "impensable" toute augmentation d'impôts.
"Je sais que nous serons nombreux à ne pas pouvoir soutenir un gouvernement qui augmenterait les impôts", a encore lancé Gérald Darmanin lors de sa rentrée politique à Tourcoing ce dimanche.
Michel Barnier pourrait cependant égrener quelques chiffres pour marquer les esprits, en citant par exemple le taux d'imposition réel des ultra-riches en France qui s'est élevé à seulement 2% en 2022 d'après une étude menée par l'économiste Gabriel Zucman.
Pour parvenir à atteindre les plus aisés, Michel Barnier pourrait s'appuyer sur une hausse marginale du taux de l'impôt sur le revenu en s'appuyant sur les dernières tranches du barème. Elles concernent notamment les revenus de plus de 168.994 euros par an.
Pour arrondir les angles, le Premier ministre pourrait également reprendre à son compte une contribution exceptionnelle des grandes entreprises, portée par des députés macronistes ou Modem en 2022 sous le nom de taxation des superprofits. TotalÉnergies n'a que, par exemple, rarement payé l'impôt sur les sociétés ces dernières années.
La taxation sur les énergéticiens qui existe depuis plusieurs années n'a rapporté que 300 millions d'euros en 2023. En mars dernier, Thomas Cazenave, alors ministre délégué chargé des Comptes publics, avait promis de "chercher au moins un milliard d'euros cette année".
Une taxe sur les entreprises qui rachètent leurs propres actions pourrait également être sur la table. Déjà proposée par Emmanuel Macron lui-même en 2023, elle avait finalement été retoqué par l'exécutif lors de l'élaboration du budget 2024.
Autant dire que la macronie va avoir du mal à refuser de telles évolutions qui viennent de son propre camp. Et ces hausses auraient également un avantage: ne pas toucher aux impôts des "classes moyennes", conformément à une promesse qu'aurait faite le Premier ministre à Michel Barnier.
Les très délicates mesures sur le pouvoir d'achat
Face à une inflation qui continue de gripper le porte-monnaie des Français, Michel Barnier, sous pression budgétaire, n'a guère de marge de manœuvre. Il pourrait cependant piocher dans le programme de la droite et de Renaissance, désamorçant de fait de futures critiques.
Reprendra-t-il à son compte la suppression d'une partie des taxes sur les factures d'électricité des Français pour financer le développement de l'éolien, l'une des mesures défendues par les Républicains dans leur programme? La question est ouverte alors que la mesure ne coûterait rien aux finances de l'État. La mesure ferait cependant tousser les ONG environnementales.
Autre piste sur la table: s'appuyer sur le coup de pouce pour les primo-accédants qui achètent un logement à moins de 250.000 euros en supprimant les frais de notaire - une mesure proposée par la majorité présidentielle pendant les législatives. Un tel geste coûterait au moins 3 milliards d'euros d'après un rapport de l'Institut Montaigne.
La macronie avait également défendu pendant cette campagne express la création d'une complémentaire santé à 1 euro pour ceux qui n'en disposent pas. Mesure symbolique qui viserait notamment des retraités et des personnes au chômage, elle avait été jugée comme "neutre" pour les finances publiques par l'équipe de campagne de Gabriel Attal.
Lors de la campagne des primaires en 2021, Michel Barnier avait proposé de revenir à l'universalité des allocations familiales. Ces dernières ont été plafonnées sous François Hollande en fonction des ressources financières et du nombre d'enfants. Un rapport de l'INSEE avait estimé que la mesure avait permis d'économiser 800 millions d'euros chaque année.
Des mesures contre l'immigration compliquées à faire passer
Depuis son arrivée à Matignon, Michel Barnier a déjà évoqué les questions migratoires. "On va faire des choses pratiques pour limiter et maîtriser l'immigration qui devient souvent insupportable et qui conduit à ne pas bien accueillir ceux qu'on accueille chez nous. Et c'est aussi un problème d'humanité", avait-il expliqué sur France 2 le 22 septembre dernier.
Parmi les premières pistes sur la table: la fin ou l'évolution de l'aide médicale d'État (AME) que le chef du gouvernement ne considère ni "comme un tabou ni comme un totem". Lors de la campagne des primaires LR en 2022, Michel Barnier appelait d'ailleurs à sa suppression.
Ce dispositif, qui permet une prise en charge à 100% de la plupart des frais médicaux pour les étrangers en situation irrégulière, est dans le colimateur depuis des années de la droite au Sénat.
De quoi pousser le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau à poser le sujet sur la table quelques heures à peine après son arrivée place Beauvau. L'ancien patron des sénateurs LR veut la remplacer par l'aide médicale d'urgence aux contours beaucoup plus restrictifs.
Mais la mesure est inflammable. Toute une partie de la macronie dont d'anciens minitres de la Santé et Élisabeth Borne ont déjà fermé la porte à sa disparition, moins d'un an après que la loi immigration ait déjà failli faire exploser le camp présidentiel.
Pour tenter de ménager la chèvre et le chou, Michel Barnier pourrait s'emparer du rapport Evin-Stefanini rendu l'an dernier qui donnait des pistes d'évolution comme l'informatisation de la carte de bénéficiaire pour éviter les fraudes ou encore la limitation de l'accès à certains soins. Charge à lui de trouver ensuite une majorité à l'Assemblée pour faire voter une telle évolution -une gageure.
La question de l'exécution des OQTF
Le meurtre de Philippine, cette jeune femme dont le corps a été enterré dans le bois de Boulogne et pour lequel un suspect de 22 ans, condamné par le passé pour viol et sous le coup d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français), a été interpellé, devrait également raisonner ce mardi après-midi.
Le dispositif des OQTF a été sérieusement durci sous Gérald Darmanin qui a fait le choix de demander aux préfets de se concentrer un temps principalement sur "les étrangers délinquants" soumis aux OQTF, avant finalement leur demander d'élargir à "l'ensemble" des étrangers en situation irrégulière.
Problème: seuls 6,8% des OQTF ont été exécutées en 2022 d'après un rapport de la Cour des comptes. En cause notamment: une nette augmentation de cette procédure d'expulsion (60% en plus entre 2018 et 2023) avec seulement 9% de fonctionnaires préfectoraux en plus en charge de leur bonne exécution.
Pour tenter d'inverser la donne, Michel Barnier pourrait donc transmettre un message de fermeté aux préfets sur l'exécution des OQTF, comme l'avait déjà fait Gabriel Attal lui-même, ce qui aurait l'avantage de ne pas être coûteux politiquement ni financièrement.
Quant au retour d'une éventuelle loi immigration au Parlement qui reprendrait différentes mesures censurées par le Conseil constitutionnel, Michel Barnier pourrait être tenté de contourner l'Assemblée nationale et le Sénat par des ordonnances en Conseil des ministres.
Plusieurs ordonnances avaient ainsi été publiées dans les années 1970 pour restreindre la délivrance des cartes de séjour ou encore en 2004 pour créer un code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.