Comment Bruno Retailleau justifie l'arrestation polémique d'une collégienne sans-papiers en Moselle

Bruno Retailleau au Havre le 13 janvier 2025 - LOU BENOIST / AFP
Des explications éloignées de celle du patron de la gendarmerie, Hubert Bonneau, et encore plus du recadrage d'Élisabeth Borne. Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau défend auprès de BFMTV l'arrestation par des gendarmes d'une collégienne burkinabée sans-papiers au sein de son établissement scolaire en Moselle le 22 janvier dernier.
"C’est avec l’accord du chef d’établissement que les gendarmes, après avoir attendu la fin des cours, sont allés chercher l’adolescente. Le principal les a guidés vers l'espace de vie scolaire où elle se trouvait et non pas en salle de cours", précise un proche du locataire de la place Beauvau.
Arrêtée pendant la récréation
Ce jour-là, la jeune fillle scolarisée en 3e, a été interpellée puis expulsée vers la Belgique comme sa mère et son frère. À l'arrivée des gendarmes, elle se trouvait en cours de français.
Elle a ensuite été isolée durant la récréation dans un bâtiment administratif, puis a été confiée aux forces de l'ordre. La collégienne a depuis été reconduite jusqu'à la frontière belge avec sa famille.
Les autorités reprochent à la mère de l’élève d’avoir déposé une demande d’asile simultanément en Belgique et en France. Son visa l'autorisant à séjourner en Belgique, elle était considérée en situation irrégulière en France, conformément au principe du règlement Dublin, un texte européen sur le fonctionnement de l'asile.
"Elle était en cours de français de 8 heures à 10 heures. Pendant le cours, l'administration est venue vérifier qu'elle était là, et à la récréation de 10 heures, elle a été conduite dans un bâtiment. On lui a demandé d'attendre et peu avant 11 heures les gendarmes sont venus la chercher", a raconté à France info Agnès Bragard, du syndicat d'enseignants SNES-FSU en Moselle.
Des interventions des forces de l'ordre dans les écoles dans des cas très précis
Ce scénario est pourtant totalement contraire aux pratiques, comme rappelé par Élisabeth Borne aux recteurs et chefs d'établissement dans une note révélée par Le Parisien.
La ministre de l'Éducation nationale y souligne notamment que les relations entre les forces de l'ordre-système éducatif sont régies par le protocole d’accord de Dreux de 2004.
Concrètement, les interventions de la police et des gendarmes dans un établissement scolaire sont extrêmement réglementées. Elles ne peuvent se faire que dans les cas suivants: projets éducatifs, entraînements aux exercices de sécurité, "situations d'urgence", avec un "danger imminent" ou un "trouble à l'ordre public". La situation de la collégienne ne tombe donc pas sous le coup de ces possibilités.
"Une erreur collective" pour le patron de la gendarmerie
Par ailleurs, la circulaire de Manuels Valls, alors ministre de l'Intérieur en 2013, toujours en application, interdit les interventions des forces de l'ordre en cas de procédure d'éloignement dans le cadre scolaire, comme le rappelle encore l'ex-Première ministre.
À l'époque, ce texte visait à éviter que ne se reproduise une situation comme celle de Léonarda, cette collégienne expulsée vers le Kosovo, après une interpellation lors d'une sortie scolaire.
De son côté, le directeur général de la gendarmerie nationale Hubert Bonneau a évoqué ce jeudi matin sur BFMTV-RMC "une erreur collective"
"Il y a eu un rappel d'Élisabeth Borne concernant une circulaire de 2013 de Manuel Valls qui aurait dû être respectée, les gendarmes n’auraient pas dû rentrer dans l‘établissement", a encore expliqué le patron de la gendarmerie.
"Accord de la mère"
Pourtant vieille de plus de 11 ans, "cette circulaire n'était pas connue de l'unité" qui est intervenue dans le collège. "Je ne suis pas sûr que le directeur de l’établissement scolaire ait bien eu conscience de tout cela, comme les gendarmes et comme les services de la préfecture", défend encore Hubert Bonneau.
Du côté du ministère de l'Intérieur, on préfère plutôt évoquer l'accord de la famille de la jeune fille pour une intervention dans son établissement scolaire.
"Lorsque les gendarmes ont informé de leur départ la famille, assignée à résidence et qui ne respectait pas ses obligations de pointage, la mère a indiqué que sa fille était au collège", précise ainsi un proche de Bruno Retailleau.
"C’est avec son accord que les gendarmes sont allés au collège, elle était d’ailleurs dans le véhicule de gendarmerie qui s’est rendu au collège", avance encore le cabinet du ministre.
Pourtant, comme la circulaire Valls le précise bien, "les interventions des forces de police et de gendarmerie liées aux procédures d'éloignement sont strictement interdites dans le cadre scolaire, y compris pendant les temps périscolaires" et "ce même avec l’accord des parents".
Un rappel "utile"
"La mère ne s’est à aucun moment opposée à l’opération et sa reconduite en Belgique s’est déroulée dans le calme", note encore le ministère.
Si Bruno Retailleau cherche à reprendre la main sur ce dossier, c'est qu'il a fait de la fermeté en matière migratoire son cheval de bataille au ministère de l'Intérieur. Autant dire que le rappel à l'ordre d'Élisabeth Borne sur le respect des règles à suivre dans le cadre scolaire passe mal avec sa volonté de "diminuer l'immigration".
"S’agissant d’un établissement scolaire, il est utile de rappeler que les instructions données dans la circulaire Valls sont toujours applicables et doivent être rappelées comme l’a fait Élisabeth Borne", précise cependant la place Beauvau.