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Gilets jaunes: Macron évoque les "classes laborieuses", expression historiquement connotée

Emmanuel Macron à Bruxelles, dimanche.

Emmanuel Macron à Bruxelles, dimanche. - Philippe LOPEZ / AFP

Dimanche, à Bruxelles, au moment de revenir sur les manifestations de gilets jaunes la veille, Emmanuel Macron a promis d'apporter "une réponse (...) à nos classes moyennes et à nos classes laborieuses". L'expression "classes laborieuses" trouve un écho particulier dans l'histoire de France et des sciences humaines.

L'expression peut paraître anodine et pourtant elle vient de très loin. Elle trouve, de plus, une ample résonance dans l'histoire de France. Dimanche, à Bruxelles, évoquant les manifestations de gilets jaunes dans le pays, Emmanuel Macron a mentionné "les classes laborieuses". Il a expliqué qu'il fallait "apporter une réponse économique, sociale, mais aussi culturelle et de sens (...) à nos classes moyennes et à nos classes laborieuses".

Classes laborieuses, classes dangereuses 

L'expression, marquante dans l'historiographie française, n'a pas échappé à notre éditorialiste Christophe Barbier ce lundi matin: 

"Ça nous ramène au temps de Zola, les 'classes laborieuses', ça fait aussi allusion à cet ouvrage Classes laborieuses, classes dangereuses qui en 1958 avait regardé le XIXe siècle avec un nouveau regard. C’était 'quand on est pauvre, on a une propension à la révolte et même à devenir une population criminogène'. Ça avait fait beaucoup de bruit dans la lecture sociale des mouvements ouvriers. Emmanuel Macron a-t-il voulu nous ramener à cette réalité-là? Ou bien a-t-il voulu distinguer les classes laborieuses, c’est-à-dire ceux qui travaillent mais qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois des premiers de cordée, c’est-à-dire ceux qui travaillent, créent beaucoup de richesses et en gardent une bonne partie? En tout cas, en 2018 (...) 'laborieux' est un terme un peu maladroit de la part du président de la République."

Et s'il s'agissait pour le chef de l'Etat de fustiger, sans le dire, les violences sur les Champs-Elysées samedi? Car l'expression a suscité de vifs débats entre historiens, intellectuels et lecteurs depuis qu'elle a été reprise à la fin des années 1950. On la trouve en effet dans le titre du livre de l'historien Louis Chevalier, publié en 1958, Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle. L'ouvrage avançait, en cumulant les témoignages de l'époque, des extraits d'œuvres littéraires mais aussi l'étude de statistiques que la criminalité parisienne, à partir de la Restauration et jusqu'à la IIe République, provenait de la démographie mais surtout de l'abaissement des conditions de vie et de travail du peuple, voire de l'apparition du prolétariat moderne.

Le périlleux souvenir de Louis-Philippe

L'essai aborde aussi les grands troubles sociaux qui apparaissent dans la capitale sous Louis-Philippe. De la révolte des canuts lyonnais de 1831 et 1834, à la double révolution de février (politique et victorieuse) et juin 1848 (sociale et écrasée), en passant par l'émeute autour des funérailles du général Lamarque en 1832, le pouvoir en place est alors régulièrement malmené. Et ces événements sont restés dans les mémoires, parfois par le biais de l'imaginaire. Ainsi, c'est lors de l'émeute de 1832 que Victor Hugo, dans son roman Les Misérables abondamment cité par Louis Chevalier, situe la mort de son personnage Gavroche, qui s'effondre sur le pavé sans qu'on sache bien si "c'est la faute à Rousseau" ou celle "de Voltaire".

L'expression employée par Emmanuel Macron effectue donc un détour par le XIXe siècle et plus précisément par le règne du dernier roi, Louis-Philippe, surnommé "le roi bourgeois". Un parallèle délicat pour un président de la République dont l'opposition et les manifestants brocardent la "déconnexion" vis-à-vis des Français.

Robin Verner