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Faire tomber la cravate ou bien l'ajuster: quand les politiques utilisent cet accessoire pour faire passer leurs messages

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Au tour de Gérald Darmanin de faire jaser sur sa cravate. Dans la 5e République ce bout de tissu fait régulièrement parler de lui. Après les législatives et la démission du gouvernement, le ministre de l'Intérieur -désormais en charge des affaires courantes- arbore un look plus décontracté. Et ce n'est pas un hasard... Comme à chaque fois qu'un politique remet ou ôte sa cravate.

Un petit bout de tissu qui fait beaucoup parler. Ce mercredi 24 juin, Gérald Darmanin s'est présenté col de chemise blanche ouvert, décontracté, lors de l'interview matinale de BFMTV-RMC. Quelle différence entre ce passage médiatique et ceux du mois dernier? Sa cravate a disparu.

Le ministre de l'Intérieur démissionnaire a effectivement fait tomber la cravate, "symbole d'une élite à laquelle les Français ne s'identifient plus, au point, parfois, de la haïr", a-t-il estimé sur notre antenne.

"Ne plus la mettre est un moyen de dire que j'ai compris le message", a-t-il insisté.

Au gouvernement, il n'est pas le seul à s'autoriser cette liberté avec les conventions vestimentaires. Avant lui, d'autres macronistes se sont déjà délestés de cet accessoire. À l'instar de Bruno Le Maire par exemple. Chez les Écologistes et les Insoumis, ne pas porter de cravate au contraire a toujours constitué un marqueur de leur opposition politique. Cravate nouée ou cravate ôtée? À travers ce bout de tissu, les politiques écrivent et ré-écrivent leur storytelling, soignent leurs images et transmettent des messages.

Une séquence bien rôdée

Pour Gérald Darmanin, tout commence le 16 juillet, à l'issue du dernier Conseil des ministres du gouvernement de Gabriel Attal. Gérald Darmanin dévale les marches du palais de l'Élysée et cherche des yeux les caméras avant d'ôter ostensiblement sa cravate, sa pile de dossiers sous le bras.

"Ce geste n'est pas anodin. Dans le contexte, il veut dire en communication politique 'je suis libéré', décrypte pour BFMTV.com la communicante Émilie Zapalski.

"Post-législatives et démission du gouvernement, Gérald Darmanin montre ainsi un soulagement et une reconquête de sa liberté, à distance de la figure présidentielle", ajoute-t-elle.

Un message d'humilité?

Interrogé quelques jours plus tard sur notre antenne, Gérald Darmanin explique l'abandon de cet incontournable du vestiaire politique masculin. "Nous avons une sécession entre les élites -politiques, journalistes, magistrats, économistes, chefs d'entreprise -et les gens", a estimé celui qui veut se concentrer désormais sur son nouveau mandat de député du Nord. "Les gens" à Tourcoing, où il est élu, lui feraient cette "remarque".

"En dehors de Paris (...) il y a une misère sociale et, surtout, une distance avec ceux qui voient la mondialisation qui a réussi", développe-t-il avant de se hasarder dans une explication sur la montée de l'extrême droite en France.

Aux élections législatives, "c'est pour ça qu'il y a eu 11 millions de voix pour le Rassemblement national, parce qu'ils ont l'impression qu'on n'a pas compris le message", se justifie l'élu, ajoutant, sûr de lui: "Moi j'ai compris".

Pour l'experte en communication politique, c'est de "la communication un peu simpliste et populiste. 'J'enlève ma cravate donc je suis proche du petit peuple'", analyse Émilie Zapalski qui compare cette stratégie "des gros sabots" à celle qu'a pu avoir par le passé Nicolas Sarkozy.

"En plus d'ôter sa cravate, notre ministre de l'Intérieur a pu utiliser par le passé des mots qu'il a pu imaginer être ceux des "vrais gens", ajoute la communicante. "La drogue, c'est de la merde", avait ainsi déclaré le ministre de l'Intérieur interrogé sur la légalisation du cannabis en 2020 sur LCI. "C’est l’idée que je m’habille et parle comme le petit peuple donc je m’en rapproche", conclut la spécialiste en communication politique.

Né à Valenciennes d'une mère femme de ménage et d'un père tenancier de bistrot, petit-fils d'un tirailleur algérien qui a œuvré pour la libération de la France, Gérald Darmanin -avant d'ôter sa cravate- a régulièrement usé de son histoire familiale et de ses racines modestes pour justifier sa politique. Lors des débats sur la réforme des retraites en 2023, notamment.

La cravate, un symbole à savoir manier

Hiver 2022, Bruno Le Maire tombe la cravate lui aussi. À son bureau et sur France inter, on peut l'apercevoir en col roulé bleu marine, en pleine crise énergétique. Le ministre de l'Économie veut faire passer ce message: on n'augmente pas le chauffage, mais on met un pull. La fin de la cravate devient alors le symbole d'économie d'énergie.

Six ans plus tôt, en pleine primaire des Républicains pré-élection présidentielle de 2017, le député de l’Eure s'affiche en meeting en bras de chemise, sans cravate en débat, dans le but de détendre son image de technocrate. Au risque cependant de brusquer ses électeurs. Et au point de devoir la renouer au cours de la campagne de la primaire.

À l'Assemblée nationale, l'arrivée des députés de La France insoumise en 2017 offre un constraste avec les photos des autres groupes parlementaires. Chemise décontractée, veste sur l'épaule, couleurs... Mais pas de traces de cravates sur les cous masculins insoumis.

"L'art de la non cravate chez les mélenchonistes est différent de celui de Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire. Contrairement à eux, les élus Insoumis ne l'ont pas 'ôtée', ils ne l'ont jamais portée", nous explique la communicante politique, Émilie Zapalski.

"C'est une manière pour eux de dire: 'On arrive comme on est. Ce n'est pas parce qu'on est député qu'on va s'éloigner des électeurs'", décrypte-t-elle.

Rentrée parlementaire 2022, ces libertés vestimentaires agacent furieusement le député républicain Éric Ciotti. Dans un courrier officiel daté du 21 juillet, il attire l'attention de la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, sur un "sujet d'importance": le laisser-aller, selon lui, de la tenue de certains parlementaires qui nuit gravement au "respect des institutions".

Au nom du "respect du peuple", le jeune insoumis tout juste élu, Louis Boyard, rétorque par l’interdiction des tenues "aux prix exorbitants" du camp présidentiel et la droite. Ses collègues femmes débarquent quant à elles, dans l'hémicycle cravates fantaisie au cou en guise de pied de nez au républicain.

La cravate comme marque de légitimité

En ôtant cet accessoire, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire espèrent se rapprocher de leurs électeurs et en glâner de nouveau. À rebours de cette stratégie, d'autres politiques s'en parent pour gagner en crédibilité.

Ainsi pendant la campagne présidentielle de 2022, l'eurodéputé vert Yannick Jadot qu'on n'avait jamais vu cravaté au Parlement européen en revêt une d'un coup. "Pour ma part, je n'ai jamais porté de cravate", explique-t-il au 20h de TF1, interrogé sur sa nouvelle apparence.

"Mais j'entends quand, dans mes déplacements, des personnes, y compris des personnes d'un certain âge, qui disent que pour être président de la République, il faut mettre une cravate. J'entends parce que je ne veux pas, au fond, être disqualifié sur un vêtement", ajoute-t-il.

Le Rassemblement national et son jeune président aux costumes impeccables jouent également de ce code vestimentaire pour achever leur normalisation et prouver leur respect des institutions.

L'arrivée inédite de 89 députés lepénistes dans l'hémicycle en 2022 avait donné lieu à des consignes précises sur l'importance à accorder à sa tenue. Pour les hommes, le costume-cravate était de rigueur, avait précisé Marine Le Pen dans un souci de contre-pied avec les députés insoumis.

Deux ans et une progression fulgurante plus tard, la stratégie du RN n'a pas changé. Certains commentateurs n'hésitent pas à imputer à l'image de gendre idéal impeccablement cravaté de Jordan Bardella une des clés de son succès aux élections européennes.

"Contrairement à l'effet recherché par Gérald Darmanin, la cravate de Jordan Bardella sert son autorité et son charisme. C'est très bien vu. À travers elle, le jeune vainqueur des législatives assure: 'Je vous respecte, je suis présidentiable, imaginez-moi à l'international', observe Émilie Zapalski.

Preuve qu'en politique, ces histoires de cravate sont avant tout une posture et un message politique: Gérald Darmanin, farouche combattant de La France insoumise, doit pourtant au groupe mélenchoniste son droit de siéger dorénavant dans l'hémicycle sans cravate. C'est seulement depuis 2017 en effet et sur revendications des Insoumis que cet accesoire ne fait désormais plus obligatoirement partie de la tenue correcte exigée d'un député.

Hortense de Montalivet