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Face à Poutine, la mise au point offensive de Macron sur la présidentielle 

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Lors d'une conférence commune au château de Versailles ce lundi, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine sont revenus sur la présidentielle française d'avril dernier. Le président français a notamment adopté un ton très ferme au sujet du comportement de deux médias russes.

La galerie des Batailles du château de Versailles a servi de décor à une passe d'armes à fleurets mouchetés ce lundi après-midi. Durant la conférence de presse donnée par Emmanuel Macron et Vladimir Poutine dans ce cadre, la présidentielle française s'est invitée dans l'échange. Le président de la République a fustigé le traitement de sa campagne par deux médias russes. Interrogé sur l'interdiction d'accès à son quartier général adressée aux journalistes de Sputnik et de Russia Today au soir du premier tour du scrutin, Emmanuel Macron a lâché:

"J’ai toujours eu une relation exemplaire avec les journalistes étrangers, encore faut-il qu’ils soient journalistes. Les responsables politiques ont la responsabilité de prendre des décisions, de dire les choses. Quand des organes de presse répandent des contre-vérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes. Ce sont des organes d’influence. Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence durant cette campagne qui ont à plusieurs reprises produits des contre-vérités sur ma personne et ma campagne. Et donc j’ai considéré, je vous le confirme, qu’ils n’avaient pas leur place à mon quartier-général."

Les organes d'une "propagande mensongère"

Au cours de la campagne, l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron avait en effet développé plusieurs griefs à l'endroit de la Russie. Elle avait assuré avoir été visée par des attaques informatiques élaborées par des hackers russes. Il était également reproché à Sputnik d'avoir relayé les propos du député élu dans l'Aube, Nicolas Dhuicq, qui avait qualifié Emmanuel Macron de "chouchou" ou encore de "chéri des médias français". Il avait aussi affirmé que le candidat d'"En Marche!" était soutenu par "un très riche lobby gay". 

Sans incriminer nommément son puissant voisin de pupitre venu du Kremlin, Emmanuel Macron a continué ce lundi à blâmer ces deux médias russes: "C’est en cela qu’il était grave que des organes de presse étrangers, sous quelque influence que ce soit, aient interféré en répandant des contre-vérités graves. A cela je ne céderai rien." Enfin, il a martelé: "Russia Today et Sputnik ne se sont pas comportés comme des organes de presse et de journalisme mais comme des organes de propagande mensongère, ni plus ni moins."

Vladimir Poutine, lancé sur le même sujet par un journaliste français présent dans le château de Versailles, a botté en touche. "Pour ce qui est de la soi-disant ingérence de la Russie dans les élections de tel ou tel pays, nous ne l’avons pas abordée. Le président n’a manifesté aucun intérêt pour cette question et moi, encore moins", a asséné le président russe. "On ne peut fonder des actions sur des suppositions", a ensuite posé, laconique, le chef d'Etat slave. 

La visite de Marine Le Pen a Moscou évacuée

Au mois de mars dernier, un mois avant la tenue du premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen avait été reçue par Vladimir Poutine, une semaine après qu'Emmanuel Macron avait été accueilli à Berlin par Angela Merkel. Certains avaient vu dans la visite moscovite de la candidate du Front national l'expression d'une sympathie à son égard de Vladimir Poutine. Celui-ci a répondu ce lundi: "Marine Le Pen vient systématiquement à Moscou. Son opinion sur la sauvegarde des identités européennes n’est pas sans fondement. C’est mon avis. Nous sommes prêts à accueillir n’importe qui, à tout moment. Pourquoi devrions-nous refuser d’accueillir Marine Le Pen?" Le pensionnaire du Kremlin a, en outre, nié avoir voulu influencer l'élection par ce biais.

"Et ça ne veut pas dire que nous voulions influencer les élections. Nous avons toujours su qu’elle était l’opinion de la France, nous lisons les sondages. (...) Nous ne sommes pas des enfants", a-t-il dit. 

Emmanuel Macron a relativisé l'importance de la réception de son adversaire au second tour de la présidentielle par le pouvoir russe. "J’ai un principe simple: les élections, c’est le peuple souverain qui en décide. Le peuple souverain n’a pas donné raison à madame Le Pen en France. Le reste, ce n’est même pas de la littérature pour citer de manière détournée le poète. Pour ce qui est de ce qui s’est passé durant la campagne, nous en avons parlé durant notre premier échange avec le président Poutine", a-t-il expliqué. 

"C'est l'entrée par la grande porte d'Emmanuel Macron sur la scène internationale"

La prise de parole d'Emmanuel Macron aux côtés de son homologue russe a été saluée par plusieurs observateurs. Sur notre antenne, Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L’Express a estimé: "C’est un exercice très frappant auquel s’est livré le tout jeune et tout frais président français. Honnêtement, c’est son entrée par la grande porte, de mon point de vue, sur la scène diplomatique internationale. Il a obligé Vladimir Poutine à se justifier, à s’expliquer." La volonté affichée par le président français de ne pas laisser de zones d'ombre dans ses relations avec le Kremlin pourrait avoir une vertu pour Christian Makarian: "Et cette volonté d’apurer le passé est quelque part l’affirmation de nouvelles bases. On ne peut pas relancer la relation franco-russe si on reste sur des non-dits. (…) Ces non-dits ont été clairement abordés."

Le journaliste a conclu: "Là, je crois que Vladimir Poutine, qui est resté d’ailleurs coi sur ces sujets, devait être très embarrassé. C’est une façon aussi de dire à Vladimir Poutine : ‘Vous êtes allé trop loin’. Il fallait le faire. Emmanuel Macron l’a fait. C’était un exercice très difficile qui nécessite de l’audace et pas mal de courage. Je ne suis pas sûr que ses prédécesseurs auraient su le faire avec autant de fermeté."

Une prise de parole qui referme l'ère Hollande

L'éditorialiste politique de BFMTV, Laurent Neumann, a également jugé qu'Emmanuel Macron avait réussi un pari que n'aurait pas pu tenter son prédécesseur.

"Il a mis tous les sujets sur la table, y compris ceux qui fâchent, sans déroger à sa propre ligne. Il a sans doute dit, y compris publiquement, des choses à Vladimir Poutine que François Hollande ne pouvait plus dire au président russe. Ils ne s’entendaient plus. Jamais Vladimir Poutine n’aurait accepté que François Hollande lui parle ainsi publiquement, dans une conférence de presse, vu l’état de leurs relations, au sujet des médias russes, de l’interventionnisme pendant la campagne présidentielle, ou de la Syrie et l’Ukraine et y compris de la ligne rouge autour de l’utilisation des armes chimiques", a ainsi déclaré Laurent Neumann. 

Emmanuel Macron est le quatrième président français que Vladimir Poutine rencontre dans le cadre de ses fonctions. Les prochains mois diront si ce nouveau binôme permet d'écrire une nouvelle page des relations entre la Fédération de Russie et la République française. 

Robin Verner