"Refaire le coup de Jacques Chirac": entre Gaza et l'Ukraine, Emmanuel Macron mise sur l'international

Le président français Emmanuel Macron s'adresse à l'Assemblée générale des Nations Unies au siège de l'ONU à New York, le 23 septembre 2025. - LUDOVIC MARIN
Aller à New York pour échapper à une atmosphère irrespirable. Si le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu ne sort guère de Matignon depuis sa nomination, Emmanuel Macron traverse les frontières.
Trois jours à l'ONU pour la reconnaissance de la Palestine, quelques jours au Danemark à partir de lundi pour un conseil européen, un arrêt par le Luxembourg pour assister à l'avènement sur le trône du Grand-Duc aux côtés de tout le gratin de la monarchie...
Entre rendez-vous clefs à l'international et événement plus mondain, le président semble plus que jamais aspirer ces dernières semaines par la scène internationale, loin du contexte politique profondément instable créé après le fiasco de la dissolution.
"Sur la scène nationale, il n'est plus du tout audible. Il essaie de remonter la pente à l'international où il se dit qu'il peut encore être pris au sérieux", observe Jean-Luc Demarty, ancien conseiller de Jacques Delors à la commission européenne.
Assumer le combat contre Donald Trump
En la matière, les saisons se suivent et se ressemblent. En mars dernier, déjà, autre décor, autre Premier ministre mais même regard tourné loin de l'Hexagone. Après l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche bien décidé à se rapprocher de Vladimir Poutine et à sérieusement revoir son soutien à l'Ukraine, Emmanuel Macron a pris son bâton de pélerin auprès des dirigeants européens et internationaux.
Avec un certain succès: la naissance de la coalition des volontaires qui a permis après plusieurs années de conflit entre Moscou et Kiev sur un programme de paix durable, très vite éclipsée par la rencontre sous très haute tension à la Maison-Blanche entre le dirigeant américain et Volodymyr Zelensky.
Le chef de l'État a aussi remis sur la table la question de la dissuasion nucléaire, se disant "prêt à ouvrir" la discussion à ses partenaires européens en février dernier. Mais Emmanuel Macron choque en rompant totalement avec la doctrine de la dissuasion nucléaire dans l'Hexagone. Depuis son origine, elle se veut complètement indépendante et repose sur l'appréciation par un seul homme, le président de la République, d'une menace contre les intérêts vitaux du pays, sans aucun partage avec ses voisins. Le pavé dans la mare n'a cependant pour l'instant pas donné grand-chose.
Quant au dossier palestinien, la reconnaissance de l'État de Palestine portée par Emmanuel Macron a été soutenue par plus de 150 pays, et reposé la question des sorties de conflit possibles entre Israël et le Hamas tout en suscitant la colère des Américains.
"Accepter le leadership"
Bref, le message est passé: le second quinquennat d'Emmanuel Macron n'est pas fini, bien disposé à faire entendre sa voix et sa différence avec Donald Trump. Pas question d'arrêter de se servir des leviers qui lui restent et de sa casquette de chef des Armées, intouchable constitutionnellement, jusqu'au bout de son dernier jour à l'Élysée au printemps 2027.
"L'incertitude du soutien américain, protecteur de l'Europe depuis plus de 80 ans, rebat les cartes. Beaucoup de pays qui ne veulent pas mettre leurs pas dans ceux de Washington regardent avec beaucoup d'intérêt la France", analyse le député Renaissance Thomas Gassiloud, spécialiste des questions de défense.
"On sent bien qu'on a besoin plus que jamais d'un pays qui accepte de prendre le leadership et qui porte une vraie vision de ce que c'est d'être Européen aujourd'hui", partage la députée européenne Renew Valérie Hayer.
Grand classique des présidents abîmés
Dans un contexte mondial plus changeant que jamais, l'Hexagone coche en effet de nombreuses cases qui lui permettent de garder une grande influence à Bruxelles comme dans le monde. La France est le seul pays de l'Union européenne doté de l'arme nucléaire, elle est l'un des cinq pays au monde qui possède un siège au Conseil de sécurité de l'ONU et dispose d'une armée relativement puissante.
"À part peut-être aux États-Unis, nulle part un président occidental n'a autant de latitude sur les questions militaires", observe un ancien conseiller ministériel de Sébastien Lecornu aux Armées. "C'est une constante de nos chefs de l'État de tous en profiter, y compris quand c'est plus compliqué pour eux dans l'Hexagone."
Difficile de lui donner tort. Presque tous les prédécesseurs d'Emmanuel Macron ont opéré un virage à l'international en fin de mandat, souvent très délicat. Exemple avec François Mitterrand: diminué par la maladie, confronté à une seconde cohabitation entre 1993 et 1995, affaibli par des affaires politico-judiciaires touchant ses proches, le président d'alors avait pesé de tout son poids pour que le traité de Maastricht, qui mettra sur les rails l'euro, aboutisse.
Le modèle de l'opposition à la guerre en Irak
Même topo pour François Hollande qui, après avoir choisi de ne pas se représenter devant les Français, lance une grande conférence pour la Paix et tente de mettre fin à la guerre civile en Syrie, sans succès. Nicolas Sarkozy a, lui, des allures d'OVNI. Après avoir été aspiré par la scène internationale et la crise des subprimes après son arrivée à l'Élysée, le président avait préféré consacré ces derniers mois de quinquennat à tenter de se faire réélire en sillonnant la France.
"On ne met que rarement à votre crédit vos succès dans les instances européennes. Donc si vous voulez rester président et que vous êtes en campagne, vous n'allez pas chaque matin à Bruxelles, même si c'est là que beaucoup de choses se jouent économiquement", décrypte un ancien conseiller du Quai d'Orsay.
Mais c'est surtout avec Jacques Chirac, totalement démonétisé après l'échec du référendum sur la Constitution européenne de 2005 sur fond d'émeutes dans les banlieues et d'immenses manifestations contre le CPE, que la ressemblance est la plus frappante. Jacques Chirac avait en effet été à l'encontre de George W. Bush, alors dirigeant des États-Unis, sur la guerre en Irak. À l'époque, rares sont les pays à accepter de prendre à rebrousse-poil Washington.
"On avait quelqu'un de très abîmé en France et qui s'était refait une virginité sur la guerre. C'était un coup de maître et tout le monde s'en rappelle 20 ans après. Évidemment qu'Emmanuel Macron veut refaire le coup de Jacques Chirac", remarque l'historien Jean Garrigues.
"Le bilan qui restera, c'est l'international"
Peut-être plus encore que l'ancien président décédé en 2019, c'est peut-être l'exemple de Dominique de Villepin, alors chef de la diplomatie, qu'Emmanuel Macron a dans un coin de la tête. L'ex-Premier ministre est resté dans les mémoires depuis son discours devant les Nations unies en 2003 contre une intervention militaire en Irak.
À l'époque, ses mots, écrits par l'entourage de Jacques Chirac, avaient suscité les applaudissements du monde arabe mais suscité une forte gêne parmi une grande partie des dirigeants européens, qui ne voulaient pas se fâcher avec les Etats-Unis.
Plus de deux décennies plus tard, ses mots sont restés et son bilan à Matignon, très contrasté, totalement oublié. Le "legacy" d'Emmanuel Macron, pour reprendre un terme qu'on affectionne dans les allées de l'Élysée, et qui renvoie à l'héritage du président et de Dominique de Villepin sera-t-il similaire?
"La trace d'Emmanuel Macron finira brouillée en France. Mais son vrai bilan, ce qu'il restera, ce sera à l'international et à l'échelle européenne", veut croire un bon connaisseur des questions européennes pour Renaissance.
"Il s'était voulu comme un président qui aura changé le pays. Ce n'est pas ça qu'on retiendra de plus", partage également l'un de ses anciens conseillers qui "doute cependant de sa future empreinte". Et son impulsion dans la reconstruction de Notre-Dame ou son incarnation des JO de Paris 2024, deux dossiers à l'écho international, n'y changeront rien. "Pour que son legacy tienne, il faudra un successeur qui ne casse pas toute l'image de la France juste derrière".
Sorti abîmé de ses 12 ans au pouvoir, Jacques Chirac avait fini par être particulièrement populaire jusqu'à la fin de sa vie. Son lointain prédécesseur finira-t-il par connaître le même sort, lui qui est très bas dans toutes les études d'opinion?