"On va droit dans le mur", "projet fou": stupeur du milieu carcéral après la proposition de louer des places de prison à l'étranger

Sa réponse au maire de Béziers (Hérault) Robert Ménard, ce mardi 13 mai sur le plateau de TF1, a beaucoup surpris. Alors qu'il était invité à s'exprimer sur la proposition faite en avril dernier par Gérald Darmanin de faire supporter les frais de détention aux prisonniers français, Emmanuel Macron s'est dit favorable à "louer" des places de prison à l'étranger.
"Oui, on louera, si besoin était, les places de prison là où elles sont disponibles", a-t-il affirmé sans toutefois préciser quels pays pourraient ainsi être sollicités par la France.
"Il n'y a pas de tabou là-dessus", a ajouté Emmanuel Macron. Une idée que le chef de l'État a qualifiée de "pragmatique" et qui pourrait, selon lui, "régler le problème de la surpopulation carcérale" en France.
Emmanuel Macron a également assuré vouloir "changer les règles" pour la construction de 5.000 places de prison en projet, afin d'avoir "des structures plus légères et beaucoup plus rapides à construire".
"Ce projet fou ne répond pas à la réalité du terrain"
Après les annonces du président de la République concernant les prisons, Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), s'interroge.
"Ce n'est pas la marque d'un grand pays que d'envoyer ses détenus ailleurs que sur son territoire national. C'est comme si l'on effectuait une impossible délégation du pouvoir régalien français", dénonce-t-elle.
Testée par la Belgique au Pays-Bas de 2010 à 2016, cette "location" hors norme de 650 places a ainsi coûté près de 300 millions d'euros au gouvernement belge. Une somme pharaonique, donc, pour un "projet totalement bancal", selon Dominique Simonnot. "Les Belges en sont revenus, ça s'est très mal passé, notamment au regard de l'impossible maintien du lien entre les détenus et leurs proches", confie-t-elle auprès de BFMTV.com.
Un avis plutôt tranché sur la question, en tout point similaire à celui d'Estelle Carraud, secrétaire générale du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU).
"Qui sera concerné? Où enverra-t-on les détenus et avec quel argent? Quelle langue parleront les surveillants, les encadrants et agents?", demande Estelle Carraud.
Autant de questions qui, aux yeux de la syndicaliste, resteront "inévitablement sans réponse". "On va droit dans le mur et les politiques sous-estiment la responsabilité de leur parole", s'agace-t-elle. "Ce projet fou ne répond pas à la réalité du terrain, mais à des perspectives plus politiques."
D'autres solutions possibles?
Pour Estelle Carraud, louer des places de prison à l'étranger n'endiguera pas davantage le problème de surpopulation carcérale, que la construction de nouvelles structures sur le territoire national. La syndicaliste estime même qu'il n'est présenté à l'opinion publique "qu'une petite partie du problème".
"Les gouvernements se sont succédé et ont toujours préféré la punition. Pourtant, d'autres solutions existent, comme les peines de probation ou les restrictions en milieu ouvert", détaille-t-elle.
Et Estelle Carraud va même plus loin. Elle préconise "un changement total de paradigme", avec la mise en place d'un "numerus clausus" pour chaque prison. "La prison est aujourd'hui la peine de référence en France, seulement voilà, la privation de liberté est une mesure forte qui ne convient pas à toutes les situations", ajoute-t-elle.
Un point de vue que la secrétaire générale du SNEPAP partage avec Joaquim Pueyo, maire (PS) d'Alençon et ancien directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. "À nuancer malgré tout, puisque construire des places en France demeure nécessaire. Cependant, une peine n'est jamais statique et il faut réinsérer", précise-t-il, citant les obstacles géographiques et pratiques à la réalisation de rapports de probation depuis l'étranger.
"Il n'y a pas plus de détenus dans l'Hexagone qu'ailleurs en Europe. Il y a juste moins de places et enfermer trois personnes dans 9m2, c'est une double, voire une triple peine inacceptable", conclut-il.
D'après l'AFP, au 1er avril 2025, 82.921 personnes étaient détenues dans les prisons françaises pour un total de 62.358 places opérationnelles. Soit une densité carcérale globale de 133%. "Et il faudrait que les familles de détenus payent un supplément aux frais de détention déjà existants? Difficile à imaginer", ajoute Estelle Carraud.