"Elle a été incapable d'incarner une seule idée": les raisons du cinglant échec de Pécresse

Valérie Pécresse le 10 avril 2022, après la publication des résultats du premier tour de la présidentielle. - Alain JOCARD / AFP
Donnée autour de 8% dans les dernières enquêtes d'opinion avant le premier tour, Valérie Pécresse n'a finalement pas passé la barre des 5% nécessaires pour obtenir un remboursement de ses frais de campagne. La candidate Les Républicains (LR) à la présidentielle a obtenu dimanche 4,79% des suffrages, selon les résultats communiqués par le ministère de l'Intérieur sur la base de 97% des électeurs inscrits. Un échec cinglant pour la droite, qui jamais n'a obtenu un score aussi faible.
"Je voterai en conscience Emmanuel Macron", a réagi dimanche soir la candidate après l'annonce des premières estimations, estimant que le projet de Marine Le Pen mènerait "le pays à la discorde, à l'impuissance et à la faillite".
Le parti de la rue de Vaugirard réunit ce lundi un comité stratégique et un bureau politique pour acter la ligne.
"La dame du faire, ok mais pour faire quoi?"
La semaine passée, à quelques jours du premier tour, personne ne s'attendait à ce que la présidente de la région Île-de-France fasse des étincelles. Au sein de LR, les langues se déliaient et plusieurs personnalités s'ouvraient sur les raisons de l'échec, alors potentiel et désormais établi.
"Elle n'a pas réussi à définir de quoi elle était la candidate. Zemmour, c'est le candidat du 'grand remplacement', Le Pen celle du pouvoir d'achat, Mélenchon de l'anticapitalisme, Macron de la protection contre la guerre en Ukraine. Personne ne sait, même pas elle", avançait la semaine passée un ancien cadre de la campagne auprès de BFMTV.com.
Pour une députée, le projet de la candidate LR a été noyé, difficilement identifiable: "Quand je l'ai vu dans La France en guerre sur TF1 à vouloir décliner tout son programme... Non, il faut une ou deux mesures fortes comme l'a fait Marine Le Pen. Personne n'a su ce qu'il fallait retenir dans son projet."
"Elle a été incapable d'incarner une seule idée, un seul sujet un peu fort. La dame du faire, ok mais pour faire quoi? Ce slogan qu'elle n'arrêtait pas d'utiliser ne voulait rien dire", regrette un sénateur, en référence au "Courage de faire" porté en étendard par Valérie Pécresse.
Dimanche, le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Le Rudulier, cité par l'AFP, taclait: "Ce n'est pas la défaite de la droite mais celle d'une candidate." "On a payé une forme de non-renouvellement idéologique", affirmait dimanche le député souverainiste Julien Aubert, en déplorant "les guerres du passé" qui ont continué à jouer.
Difficultés à imprimer
"Tous les candidats de la droite ont, à un moment, été en rupture avec leur parti. Pécresse n'a pas su le faire. Quand Sarkozy se met à la critiquer, elle aurait pu dire lors d'un meeting 'la droite n'a pas tout fait bien, c'est vrai, faisons le bilan'. Ça lui aurait permis de tuer le père et de marquer des points avec les électeurs déçus de la droite partis chez Zemmour", jugeait il y a quelques jours un député auprès de BFMTV.com.
Nicolas Sarkozy, qui est resté mutique tout au long de la campagne quant à son soutien ou non à la candidate de sa famille politique, n'aurait en coulisses pas été avare de critiques vis-à-vis de son ancienne ministre.
Pour un membre de la campagne, Valérie Pécresse a échoué à mettre en musique un récit politique. "Les électeurs ont besoin qu'on leur raconte une histoire et des épreuves. Elle n'a jamais réussi à incarner une personnalité, à sortir de son image trop lisse. Fillon avait été traumatisé par Sarkozy, Sarkozy avait eu sa traversée du désert. On n'a pas envie de confier les clefs du camion à quelqu'un qui n'a rien vécu".
"Il faut résister aux postures technocratiques. (...) Proposer des solutions concrètes aux Français est une bonne chose, mais, une campagne, ce n’est pas que cela. Je ne suis pas la seule à le penser et à le lui dire", avait lancé début février Rachida Dati, dans un entretien au Figaro.
Entourage restreint
Le camouflet infligé à Valérie Pécresse est-il imputable à son entourage? Selon d'aucuns, la candidate "s'est entourée de gens qu'elle connaît très bien et qui sont peut-être au niveau pour une campagne des régionales, mais pas d'une présidentielle. Elle a un clan autour d'elle et c'est infranchissable. Fillon n'hésitait pas à se séparer de collaborateurs avec qui il était depuis des années pour en prendre des meilleurs. Elle, elle n'hésite pas à garder les médiocres qui sont fidèles", lâchait un lieutenant de la campagne.
"L'Île-de-France, c'est bien mais on ne peut pas résumer la France à ça. Fillon avait Anne Méaux mais aussi Retailleau et son côté provincial qui lui permettait de sentir la France", abondait un ancien cadre de la campagne de 2017.
Pour une députée, la campagne était digne d'une présidentielle du "début des années 2000. On n'a parlé qu'aux vieux pendant des mois. Patrick Stefanini n'est vraiment plus au niveau". Pour une autre parlementaire, Valérie Pécresse ne s'est entourée que de "courtisans, qui sont incapables de lui dire quand ça va pas". "Quand j'entends Florence Portelli dire que le meeting à la Villette était super... au secours!", critique-t-elle.
Un meeting au Zénith de Paris qui a laissé des traces dans la campagne, coïncidant avec le décrochage de la candidate dans les enquêtes d'opinion. "Un accident", l'a ainsi qualifié l'un des plus proches de Valérie Pécresse, qui avait suscité des critiques tant sur la forme que le fond, après qu'elle avait employé l'expression de "grand remplacement", théorie raciste et complotiste dont Éric Zemmour a fait un axe de campagne. La candidate avait fini par reconnaître un "meeting raté".
Coup de grâce: la candidate est testée positive au Covid-19 le 24 mars, à deux semaines du premier tour. Son isolement terminé, elle donne un dernier meeting le 3 avril, Porte de Versailles. "Vous m'avez vu gagner, trébucher mais toujours me relever", lance-t-elle alors. Le lendemain, en Guadeloupe pour un déplacement express, elle aura ces mots: "On aimerait que la campagne dure encore trois semaines." Les jeux, désormais, sont faits.