Éric Zemmour va officialiser sa candidature à la présidentielle: la fin de plusieurs mois de faux suspense

Eric Zemmour lors d'un discours, le 16 octobre 2021 à Béziers, dans le sud de la France - Christophe SIMON © 2019 AFP
Avoir avoir laissé planer le doute pendant des mois sur sa participation à la présidentielle, Eric Zemmour va de sortir de l'ambiguïté ce mardi, en officialisant sa candidature dans une vidéo d'une dizaine de minutes publiée sur les réseaux sociaux. Encore éditorialiste il y a six mois, cette tête de gondole médiatique pourrait bien bouleverser profondément le paysage électoral.
Si le parcours présidentiel de l'ancienne plume du Figaro s'est accéléré ces derniers mois, l'idée d'une candidature vient de loin. Depuis plusieurs années, Éric Zemmour estime la droite en perdition, trop Macron-compatible, à mille lieues du retour du RPR qu'il appelle de ses vœux. Quant à Marine Le Pen, "elle ne peut pas gagner, tout le monde le sait", n'a cessé de répéter l'ex-chroniqueur sur les plateaux de télévision.
L'idée des européennes écartée
Auréolé de ses succès de librairie, la tentation politique a déjà frappé à sa porte. En 2019, le sexagénaire refuse les propositions de Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan de figurer sur leurs listes aux élections européennes.
"Rencontrer les Français, trouver des solutions, ce n'est pas un niveau auquel il veut se mettre. Ca ne l'intéresse pas. Et puis à partir du moment où on ne lui propose pas d'être numéro 1, il estime qu'il ne peut pas étudier la proposition", raconte Sébastien Chenu, porte-parole du RN, alors en charge des négociations entre son parti et l'essayiste, dans l'enquête de BFMTV Ligne rouge: Éric Zemmour, une obsession française.
"C'est à toi d'y aller"
Pour être le premier, il faut passer par la présidentielle. L'idée a commencé à germer tout doucement quelques années plus tôt, lors d'un déjeuner à la Rotonde, une brasserie chic de Montparnasse, dans laquelle Emmanuel Macron a fêté sa victoire en 2017.
Nous sommes alors en 2015. Autour d'Éric Zemmour sont installées deux figures tutélaires de la droite "hors les murs": Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, mis sur la touche après avoir l'enregistré à son insu, et Philippe de Villiers, candidat de la droite souverainiste aux présidentielles de 1995 et de 2007.
"Ce sont de vieux amis, ça fait 30 ans qu'ils se connaissent. Et un jour, il y a ce repas qui tourne un peu différemment. (...) Buisson dit à Zemmour: 'c'est à toi d'y aller. Tu es le mieux placé pour représenter nos idées'. Sa première réaction est de dire 'vous êtes fous les gars, ce n'est pas du tout mon métier'. Puis, il oublie", explique Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, dans Ligne rouge: Eric Zemmour, une obsession française.
Mais l'idée reste dans un coin de la tête de Patrick Buisson qui, en spécialiste des sondages, en commande un. L'étude, non publiée, crédite le polémiste de 3% au premier tour.
Des proches dubitatifs
Quelques mois plus tard, le patron de Valeurs actuelles publie un livre de politique fiction dans lequel il imagine l'essayiste élu à l'Elysée en 2017. L'idée de la candidature de l'éditorialiste commence alors à faire son chemin. Mais dès qu'il commence à sérieusement y réfléchir, les obstacles sur la route paraissent trop nombreux.
"Il te faudra des millions d'euros, 500 signatures de maires, une armée pour ton service d'ordre et ça va être une horreur pour ta famille. Tu devras éloigner tes enfants et toi, peut-être déménager", tente de le dissuader son ami, Hugues Dewavrin, ex-cadre de l'UDF et 219e fortune de France, raconte Étienne Girard, auteur de Le radicalisé. Enquête sur Eric Zemmour.
Même son de cloche du côté de son épouse, l'avocate Mylène Chichportich lorsqu'elle interpelle Paul-Marie Coûteaux, un ancien proche de Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Pierre Chevènement, qui pousse le polémiste à se déclarer.
"Arrêtez de lui dire de se présenter à la présidentielle. À la fin, il va perdre CNews, il ne sera pas élu et nous, il nous reste trois enfants à élever", lance-t-elle, selon des propos cités par le rédacteur en chef de L'Express dans son ouvrage.
Sarah Knafo, cerveau de l'opération
Mais une relation va changer la donne et pousser l'ancien journaliste, jusqu'ici réticent, à sortir du bois. Sarah Knafo, une jeune conseillère de la Cour des comptes, qu'il connaît depuis son adolescence, est bien décidée à le pousser pour 2022.
C'est elle qui l'encourage vivement à prendre pour la première fois la parole lors d'un événement politique: la Convention de la droite, organisée par L'Incorrect, en septembre 2019. Il y estime, à la tribune, que les djellabas ressemblent aux "uniformes des armées d’occupation" tout en attaquant directement les musulmans, qui selon lui "se comportent en colonisateurs". Ces propos lui valent une amende de 10.000 euros pour injure et provocation à la haine avant d'être finalement relaxé en appel.
L'énarque est celle encore qui organise les premières réunions de soutiens dans son appartement parisien autour de l'ex-chroniqueur au printemps dernier. La haute fonctionnaire est toujours à la manœuvre pour organiser son tout premier déplacement politique lors de la manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale en mai dernier.
Alors que l'essayiste a tenté de débaucher sans succès Patrick Stefanini, l'ancien directeur de campagne de Jacques Chirac et de François Fillon, actuellement au service de Valérie Pécresse, c'est Sarah Knafo qui devient de fait la tête pensante de ses premiers pas en politique.
Un livre en guise de tremplin
Deux éléments clarifient encore la situation au début de l'été. L'absence de Laurent Wauquiez sur la ligne de départ du congrès des LR de décembre libère un espace politique pour la droite conservatrice. Les mauvais scores de Marine Le Pen aux dernières élections régionales font le reste.
Fin juin, son départ d'Albin Michel fait du bruit. Tancé par Gilles Haéri, le directeur général de la maison d'édition qui veut savoir si son futur livre aura un lien avec une éventuelle candidature présidentielle, l'écrivain est contraint de lui répondre par l'affirmative. Pas question dans ces conditions de le publier, lui fait alors savoir son éditeur de longue date.
La réplique ne se fait pas attendre. Le Point publie quelques heures plus tard le communiqué de presse préparé par l'équipe du futur candidat.
"Albin Michel vient de décider de jeter aux orties ses engagements envers Éric Zemmour", tance-t-il. "Juste à l'entrée de la grande torpeur de l'été, le moment ne pouvait pas être mieux choisi pour torpiller ce livre très attendu."
Si la nouvelle a un goût amer, elle a l'avantage de permettre au polémiste de s'auto-éditer et d'organiser comme il le souhaite sa future tournée promotionnelle, à mi-chemin entre le meeting et la séance de dédicaces.
Se saisir d'un moment politique favorable
Le 14 juillet, le futur candidat réunit pour la première fois autour d'un buffet ses soutiens, à commencer par Génération Z, le mouvement de jeunesse qui milite en sa faveur et Les amis d'Éric Zemmour, une association qui va permettre de financer la campagne.
L'été est mis à profit pour monter un embryon d'organigramme autour de Sarah Knafo, sa directrice de campagne, devenue entre-temps sa compagne, Olivier Ubéda, en charge des évènements, Samuel Lafont qui s'occupe de sa communication numérique ou encore le préfet Gérard Payet, propulsé conseiller technique et juridique.
Début septembre, Éric Zemmour fait la tournée des plateaux pour promouvoir son livre avant d'enchaîner les conférences dans l'Hexagone. La France n'a pas dit son dernier mot se classe numéro un des ventes pendant plusieurs semaines et dépasse les 250.000 ventes. L'écrivain ne manque alors pas de faire planer le doute sur sa candidature.
"Je ne dirai pas que je suis candidat, ni que je ne le serai pas", déclare-t-il ainsi sur BFMTV le 15 septembre dernier.
Quelques jours plus tard, le sexagénaire rapporte que "c'est (son) intérêt de faire durer l'ambiguïté" sur RTL. Rebelote encore sur CNEWS le 6 octobre lorsque l'ancien journaliste avance qu'il "ne sait pas si la candidature approche".
Relancer la campagne
À la faveur d'un paysage politique très avantageux, entre l'absence d'un candidat LR officiellement investi et une Marine Le Pen en difficulté, l'essayiste décolle dans les sondages, jusqu'à dépasser les 16% des intentions de vote, selon notre notre baromètre L'Élyséemètre. Avant de connaître un creux sondagier après le départ de soutiens de poids, un mauvais accueil à Londres et à Genève et un déplacement compliqué à Marseille, conclu par un doigt d'honneur à une passante.
L'équipe du désormais candidat espère que sa déclaration officielle, suivie d'un meeting au Zénith de Paris ce dimanche, l'une des plus grandes salles parisiennes, va lui permettre de trouver un second souffle.