Entre méfiance et engagement, les relations complexes entre les présidents et la Corse

Le président français Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse le 10 septembre 2020 à Ajaccio, Corse, île française de la Méditerranée, en marge d'un sommet avec ses homologues du sud de l'Union européenne - Ludovic Marin © 2019 AFP
Le gouvernement a décidé de mettre sur la table l'autonomie de la Corse après des jours de violences sur l'île liées à la violente agression d'Yvan Colonna en mort. L'assassin du préfet Érignac est mort de ses blessures. Depuis le milieu des années 1970, qui a vu l'essor du nationalisme et de la lutte armée sur l'île, la question corse a toujours agité les présidents de la République.
François Mitterrand puis Nicolas Sarkozy se sont particulièrement impliqués dans le dossier corse, là où Jacques Chirac et François Hollande ont préféré faire profil bas.
Emmanuel Macron, lui, avait coupé court aux négociations avec les autonomistes dès 2018, avant de reprendre les discussions en mars par la voix de Gérald Darmanin. BFMTV.com s'est penché sur les rapports souvent compliqués entre Ajaccio et Paris.
· François Mitterrand: un président qui dote l'île d'un "statut particulier"
Alors que Valéry Giscard d'Estaing a toujours refusé d'envisager une évolution du statut corse, mettant ses pas dans ceux de Charles de Gaulle et Georges Pompidou, son successeur, François Mitterrand voit les choses tout autrement.
Soucieux de marquer l'île de son empreinte, il demande à son Premier ministre, Pierre Mauroy, d'avancer sur un "statut particulier". Objectif tenu: en 1982, une loi dote Ajaccio d'un statut différent de celui des autres régions et d'une Assemblée de Corse avec des élus désignés au suffrage universel.

En 1983, lors d'un discours devant la jeune collectivité, François Mitterrand utilise pour la première fois l'expression "Peuple de Corse" tout en prônant un message de fermeté.
"Nous lutterons sans la moindre complaisance" contre le terrorisme, explique-t-il alors.
La réplique est immédiate. En 1983, 800 plasticages sont dénombrés, comme le rapporte France 3 Corse.
Le second mandat de François Mitterrand est marqué par une autre évolution: l'Assemblée de Corse est désormais appelée Collectivité territoriale de Corse, une différence importante pour les autonomistes qui y voient une façon de marquer leurs différences avec les Régions du continent.
· Jacques Chirac: un président qui se désintéresse de la Corse
Le président Jacques Chirac a semblé bouder la Corse pendant ses deux mandats. Ses seules visites officielles sur l'île pendant ses 12 ans au pouvoir ont visé à rendre hommage au préfet Erignac.
"Les assassins seront punis. Car ce sont les assassins d’un homme, mais aussi les ennemis de la République", lance-t-il en 1998 lors d'un discours après les obsèques du haut fonctionnaire.

Quatre ans plus tard, le président fait savoir son très vif désaccord avec son Premier ministre en pleine cohabitation. Lionel Jospin porte alors le processus de Matignon, qui vise à donner une certaine autonomie à l'île, à condition qu'il n'y ait plus de violences.
"La Corse, terre ardente et puissante, a besoin de bien d’autres choses que d’un rafistolage institutionnel qui la placerait en marge de la République", déclare alors Jacques Chirac sur France 3 Corse.
En 2002, quelques jours après sa réélection, Jacques Chirac est présent pour la finale de la Coupe de France entre Bastia et Lorient. Alors que la Marseillaise est sifflée par une partie du public corse et breton, le locataire de l'Élysée quitte le stade, comme le rapporte alors Le Parisien.
· Nicolas Sarkozy: un attachement sincère qui n'empêche pas le calcul politique
Changement d'ambiance sous Nicolas Sarkozy. Le président connaît très bien la Corse par sa première épouse, Marie-Dominique Culioli, avec qui il passe tous ses étés sur place pendant plus de quinze ans. L'ancien maire de Neuilly, Achille Peretti, le mentor du futur président de la République, a également veillé à lui présenter les Corses qui comptent à Paris, au début de sa carrière politique.
Un an après son arrivée place Beauvau, c'est Nicolas Sarkozy en personne en 2003 qui annonce l'arrestation d'Yvan Colonna, après des mois de cavale.

"C'est le seul homme politique national qui a compris que la Corse pouvait être un véritable tremplin. Parce qu’elle connaît un problème de violence armée depuis trente ans qu’il a presque éradiqué, elle lui a permis d’illustrer la volonté de fermeté de l’Etat", juge auprès de Slate Antoine Albertini, journaliste spécialiste de l’île.
Nicolas Sarkozy échoue cependant à faire adopter le référendum sur la réforme du statut de l’île, sur lequel il s'est pourtant personnellement engagé en 2003. Une fois à l'Élysée, le président ne renonce pas et lance la "commission Aïello", qui préconise l'autonomie élargie de la Corse et la création d’une "citoyenneté culturelle" corse. Sans aboutir au cours de son mandat.
· François Hollande: discret sur le dossier corse
Le président socialiste a été plutôt absent du dossier corse pendant son quinquennat. Il a préféré joué profil bas alors que son ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a jugé au printemps 2013 que la violence était "enracinée dans la culture corse".

Soucieux de donner des gages d'apaisement, le Premier ministre se rend sur l'île à l'été 2013, à l'occasion des cérémonies de commémoration insulaires de la Libération, une première dans l'histoire de la République.
· Emmanuel Macron: des circonvolutions jusqu'à l'agression d'Yvan Colonna
Alors candidat, Emmanuel Macron exprime en 2017 une volonté forte de s'engager sur les dossiers qui agitent la Corse. Quelques jours avant le premier tour, le futur président tient à Furiani un discours très apprécié des nationalistes, dans lequel il déclare "envisager de réviser la Constitution". De retour en Corse en février 2018, le ton de celui qui est entre temps devenu président de la République change.
"Est-ce que (le fait de citer la Corse dans la Constitution) est la clef de tout? Ma conviction est que non", lance-t-il à Bastia.

Il faut dire que le contexte a changé. Les nationalistes ont remporté quelques mois plus tôt les élections territoriales et posent très vite sur la table plusieurs revendications. Tandis que Jacqueline Gourault, alors ministre des Collectivités territoriales, est missionnée pour faire avancer le dossier, la déception sur l'île est forte quelques semaines plus tard, en avril 2018.
"Le mot autonomie ne sera pas dans la Constitution", annonce-t-elle sur France 3.
Après cet épisode, les relations entre Emmanuel Macron et la Corse se tendent. Un grand débat organisé à Cozzano boudé par les élus en avril 2019, un dîner à Paris à l'été 2020 où seul le Covid-19 est abordé... Les discussions sur le statut de la Corse semblent au point mort.
Jusqu'à ces derniers jours. Depuis l'agression violente d'Yvan Colonna en prison et les émeutes qui s'en sont suivies et qui agitent le territoire depuis plus de deux semaines, le ton a changé.
Reconnaissance de la "responsabilité de l'État" dans ce drame pour Gérald Darmanin, levée du statut de prisonniers particulièrement signalés pour les deux autres membres du commando Érignac par Jean Castex, ouvrant ainsi la porte à un transfert dans la prison corse de Borgo... Le gouvernement multiplie les gestes d'apaisement.