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Police-Justice

Quand la reconstitution fait basculer une enquête criminelle

Police et gendarmerie devant le domicile des Daval, à Gray-la-Ville (Haute-Saône), le 17 juin 2019.

Police et gendarmerie devant le domicile des Daval, à Gray-la-Ville (Haute-Saône), le 17 juin 2019. - SEBASTIEN BOZON / AFP

Lundi, la reconstitution criminelle a permis d'obtenir des aveux de Jonathann Daval pour la mort de sa femme Alexia. L'occasion d'expliquer comment cet acte de l'information judiciaire peut faire "sauter un verrou" chez les suspects.

Ranucci, Lelandais, Daval… Derrière ces noms, des affaires criminelles éloignées de près d’un demi-siècle. Elles n’ont à première vue rien en commun mais se rapprochent pourtant sur un point: la reconstitution a été un tournant déterminant dans l’enquête. C’est durant cette étape cruciale de l’information judiciaire que les versions des mis en examen se heurtent aux preuves scientifiques, aux témoignages, mais aussi au poids du souvenir, aussi lourd soit-il.

Complot familial, bagarre conjugale… Depuis 20 mois, Jonathann Daval avait fourni plusieurs versions à la police pour expliquer la mort de sa femme, Alexia. Mais de retour dans le pavillon familial de Gray-la-Ville (Haute-Saône) lundi, l’informaticien a fini par avouer lui avoir porté "entre cinq et dix coups de poing au niveau du visage", avant de l'étrangler "pendant environ quatre minutes" puis avoir brûlé partiellement le corps.

Faire sauter un verrou

La reconstitution a été "un moment fort", a reconnu Etienne Manteaux, procureur de Besançon. Retourner sur la scène a un effet "cathartique" nous explique Annie Verrier, experte en psychologie agréée par la Cour de cassation. Reproduire les gestes, revoir les lieux, le tout en présence de personnes ayant un rôle central -en l'occurrence les parents d’Alexia, la soeur et le beau-frère- sont "une conjonction d’éléments qui peuvent faire sauter des verrous", d’après l’experte.

Ce même verrou a sauté lorsque Nordahl Lelandais a demandé, lors de la reconstitution en septembre 2018, à faire un arrêt à proximité de la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin (Isère), où la petite Maëlys avait disparu. Là, aux abords d’une zone commerciale, le maître-chien a reconnu avoir infligé à l'enfant de 8 ans "quatre ou cinq coups très violents".

"Court-circuit psychique"

Après les aveux de Jonathann Daval, son avocat Samuel Estève a décrit son client comme "soulagé" d’avoir réussi à "se libérer de ce blocage qui le minait". Retourner sur les lieux sert en effet à "casser les barrières" d’un "mécanisme humain" qui se met en place après "un traumatisme", relate Annie Verrier. Si la peine est éminemment lourde pour les proches des victimes, et bien que cela soit difficilement audible, l’auteur de l’acte a également vécu un traumatisme, que la reconstitution réactive.

"L’idée n’est surtout pas d’enlever de la douleur aux parties civiles, mais on ne sort pas indemne du passage à l’acte, malgré l’impression déshumanisée qui peut ressortir du récit", indique l’expert en psychologie.

Un traumatisme qui peut aller jusqu’au "court-circuit psychique", où l’auteur n’a plus que des souvenirs lacunaires, voire devient amnésique. Le 24 juin 1974, lorsque Christian Ranucci est transporté à l'endroit où le corps de Marie-Dolorès Rambla, 8 ans, a été découvert, lacéré de plusieurs coups de couteau, il perd le contrôle de lui-même. Dans cette champignonnière située à une vingtaine de kilomètres de Marseille, il hurle, convulse, hurle et s'effondre. "C'est obligatoirement moi. Je ne me souviens pas", déclare-t-il à son avocat.

Terrain de jeu

Un acte aussi violent est "quelque chose de lourd à porter pour les personnes ayant une structure moins solide", ajoute Annie Verrier. Ce poids les distingue "des psychopathes et pervers" qui ont une "défense psychique très puissante" et peuvent n’avoir aucune réaction lors d’une reconstitution.

Michel Fourniret et Monique Olivier avaient ainsi "baladé" pendant 48 heures magistrats, avocats et enquêteurs lors de la reconstitution du meurtre d’Isabelle Laville en 2006. La reconstitution devient dans ce cas, pour les mis en examen, un terrain de jeu.

Esther Paolini