"Soit elle est morte, soit elle dort": au procès des viols de Mazan, les justifications fantaisistes des accusés

51 personnes sont jugées au procès des viols de Mazan - Benoit PEYRUCQ / AFP
Chaque accusé a la particularité de faire passer le précédent pour moins dangereux. Les sept coaccusés de ce procès des viols de Mazan, qui comparaissent cette semaine, se sont succédé à la barre ou derrière le micro dans le box des accusés pour répondre des faits qui leur sont reprochés, à savoir des viols sur Gisèle Pelicot.
Il est midi quand Redouan E. s'avance à la barre. Cet accusé s'était déjà fait remarquer depuis le début du procès, se levant, tentant de prendre la parole. Il faut dire que cet homme de 55 ans a des choses à dire. Comme de nombreux autres, il reconnaît la relation sexuelle - tout a été filmé - mais nie l'intention de viol. Et il est venu pour le faire savoir. De tous les accusés entendus ce jeudi, cet homme, venu en juin 2019 au domicile des Pelicot, il est le seul à dénoncer "la parole sacrée de Gisèle Pelicot".
"Quand je parle, ma parole a son poids, négligeable, Dominique Pelicot, lui sa parole a un poids, mais, elle, sa parole est sacrée", dénonce l'accusé qui avait demandé pendant l'instruction qu'on enquête sur les comptes bancaires du couple, sans que l'on comprenne le lien avec l'affaire.
Entre peur et oubli
Avant cette mise en accusation, une énième pour Gisèle Pelicot, Redouan E. avait évoqué sa "peur" de Dominique Pelicot. "Quand je l'ai vu, j’ai eu la trouille de ma vie, il était tout rouge, il avait un regard terrifiant, il était directif", se souvient l'accusé qui venait pour "une rencontre conviviale". Alors une fois dans la chambre, dit-il, il s'exécute. "Je vois une femme allongée avec une tenue légère. Est-ce qu’il a tué sa femme? Qu’est-ce qui va faire? Il va m’impliquer dans un meurtre", lance-t-il avec véhémence. Pour lui, Gisèle Pelicot est "soit endormie, soit morte".
En raison de cette trouille, Redouan E. a fait "le bon élève", en imposant des pénétrations et une fellation à Gisèle Pelicot. Il parle "d'amnésie traumatique" pour qualifier son état, sans que la définition du terme ne corresponde à ce qu'il décrit. L'accusé dit avoir été concentré sur Dominique Pelicot plus que sur la femme inerte. L'homme est infirmier libéral, au Maroc il a obtenu un diplôme d'infirmier anesthésiste-réanimateur. Une qualification qui interroge la cour sur son absence à déceler l'état d'inconscience de Gisèle Pelicot.
"Un être humain qui fait semblant de dormir, on ne peut pas distinguer s’il fait semblant de dormir ou s’il est vraiment endormi. Le seul moyen de le savoir, c’est un examen clinique", avance-t-il avec certitude.
Et pour le prouver, "il va falloir faire parler les scellés", s'agace-t-il.
L'importance du visionnage des vidéos
C'est ce que compte bien faire l'accusation vendredi avec le visionnage des vidéos filmées par Dominique Pelicot. Ministère public, avocats de la partie civile et avocate du mari s'accordent pour dire que Redouan E. n'a rien de quelqu'un apeuré. C'est le cas aussi pour Jean T. filmé le pouce en l'air en train d'abuser de Gisèle Pelicot. Lui est venu chez les Pelicot le 21 septembre 2018.
Il se souvient d'avoir été contacté par Dominique Pelicot sur Coco.gg, d'avoir convenu un rendez-vous pour le lendemain, d'avoir fait les 2h30 de route qui sépare Lyon, où il résidait, de Mazan. Il se rappelle être arrivé au pavillon du couple, d'avoir bu un Coca.... puis plus rien jusqu'au moment où il se retrouve à nouveau dans son véhicule pour repartir. Accusant ainsi Dominique Pelicot de l'avoir drogué.
"Je ne vois rien dans vos yeux qui puisse altérer votre discernement", lui lance Me Zavarro, l'avocate de l'intéressé. Jean T. dit être venu pour pratiquer "le triolisme". "Les souvenirs, ça serait bien pour la vérité, pour me défendre, là je passe pour un menteur ou un idiot", regrette-t-il. Le président lui fait remarquer que l'ingestion supposée d'un produit anesthésiant ne lui enlève en rien son excitation. Là encore il devra être confronté aux vidéos.
Le "fantasme" des Pelicot
Comme Jean T., Simone M. reconnaît du bout des lèvres que Gisèle Pelicot a été violée et qu'"en toute logique", c'est lui qui la viole. Mais "je ne suis pas un violeur", brandit-il. Lui est le seul dont la victime connaissait le visage. Habitant Mazan, Dominique Pelicot l'avait fait venir sous un faux prétexte à son domicile pour montrer "comme elle est belle sa femme" et finir de le convaincre de participer à ce qu'il appelle "un jeu, un scénario". "On a tous des jeux sexuels dans notre couple, mais pas ce que M. Pelicot a fait avec sa femme. On ne fait pas ce qu’on veut avec sa femme, on ne la jette pas en pâture." Mais lui ne s'est-il pas rendu compte que Gisèle Pelicot dormait?
"J’ai pas cherché à aller plus loin, pour moi les médicaments, ça faisait partie de leur fantasme", plaide-t-il.
Thierry Po. le rejoint. "Des grognements, un truc rauque, ça m’a surpris, j’ai eu l’impression qu’elle n’arrivait pas à se réveiller, je me suis dit ‘putain ils vont loin’." Mais il l'assure de son air convaincu: "on n'est pas tous des violeurs dans l'âme."
Et comme Simone M., pour Thierry Pa, Adrien L., c'était leur première expérience libertine. "Je ne suis pas parti de chez moi en me disant que je vais commettre un viol", maintient Thierry Pa. avançant pour justifier son absence de souvenirs sur son alcoolisation et son état dépressif en lien avec le décès de son fils dans un accident de la route. Lui répète ne pas avoir eu cette intention. Adrien L. avait 23 ans en 2014 quand il est venu chez les Pelicot. Lui aussi conteste le viol même s'il dit "ne plus se rappeler exactements des faits". "Je ne dis pas que j’ai été drogué mais avec les années..."
Un seul accusé reconnaît les viols
Reste Jérôme V. Il est le seul à reconnaître les viols, il est le seul accusé cette semaine à être allé chez les Pelicot à six reprises. Il a évoqué son sentiment "d'abandon" en pleine période de Covid. "C'est étonnant que certains coaccusés disent ne pas pouvoir être informés, Dominique Pelicot était assez clair dans la façon dont il drogue sa femme", assure cet homme de 46 ans. Il évoque "le caractère illégal et immoral" de ses actes "ignobles".
S'il revient à six reprises, ce n'est pas parce que "le mode viol" lui "correspondait", mais parce qu'il ne pouvait "pas contrôler sa sexualité". Une honnêtée qui s'arrête quand Jérôme V. revient sur les photos de lui adressé par Gisèle Pelicot. "J’ai l’impression que c’est un chantage déguisé, à partir de là je deviens lâche", consent-il qualifiant ses rapports avec le mari de "dominant-dominé". S'il a un mot pour Gisèle Pelicot, Jérôme V. le reconnaît: "Heureusement que Dominique Pelicot ne m’a pas recontacté une septième fois, je ne sais pas si j’aurais été en capacité de lui dire non."