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Police-Justice

Les investigations ont-elles été bâclées? Au procès de Cédric Jubillar, sa défense s’attaque aux failles de l’enquête

Croquis d'audience montrant Cédric Jubillar et ses avocats Alexandre Martin (C) et Emmanuelle Franck à son procès à la cour d'assises du Tarn, à Albi, le 23 septembre 2025

Croquis d'audience montrant Cédric Jubillar et ses avocats Alexandre Martin (C) et Emmanuelle Franck à son procès à la cour d'assises du Tarn, à Albi, le 23 septembre 2025 - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Dès l'ouverture du procès de Cédric Jubillar, lundi 22 septembre à Albi dans le Tarn, ses avocats ont pointé du doigt une enquête selon eux mal ficelée et incomplète, laissant apparaître leur stratégie de défense.

C'est le crâne rasé, tête baissée vers son survêtement bleu que Cédric Jubillar est arrivé au tribunal d'Albi (Tarn) lundi 22 septembre, au premier jour de son procès pour le meurtre de son épouse, Delphine, disparue en 2020. "Je conteste toujours les faits qui me sont reprochés", prononcera-t-il à l'ouverture de l'audience. Le long de cette première semaine, l'accusé se montrera plutôt attentif aux débats depuis son box, impassible.

Ses avocats, eux, prennent l'offensive dès les premiers jours. Alors que plusieurs enquêteurs s'avancent à la barre toute la semaine pour dévoiler la manière dont les investigations ont été menées, Mes Emmanuel Franck et Alexandre Martin profitent de chaque brèche pour mettre en doute l'exhaustivité et la fiabilité de leur travail.

Tout au long de cette première semaine de procès, la cour et le public ont donc pu voir se dessiner en creux leur ligne de défense: une enquête mal ficelée, des pistes non explorées, des témoignages ignorés. Et le doute qui doit, selon eux, profiter à l'accusé.

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À ce titre, Cédric Jubillar leur "fait confiance", assure Me Emmanuel Franck lors d'une séance de micros tendus en sortie de l'audience, jeudi soir. "Il sait qu'il n'a rien fait, il a deux avocats pour assurer cette vérité."

"Vous avez le même oubli que votre collègue"

Mardi après-midi, Fanny L. et Sophie F. s'avancent tour à tour à la barre. Leur témoignage est attendu: elles sont les deux gendarmes intervenues en premier au domicile des Jubillar après l'appel de Cédric Jubillar, signalant la disparition de son épouse, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020.

Elles indiquent notamment avoir été étonnées de voir Cédric Jubillar mettre du linge dans la machine à laver à leur arrivée, en pleine nuit. Interrogée à ce sujet par Me Emmanuelle Franck, Fanny L., précise, comme Sophie F. par la suite, n'avoir cependant "entendu aucune machine à laver" en train de tourner pendant toute leur intervention.

Il est ensuite question d'un appel que Cédric Jubillar a passé en leur présence, à Anne S., une amie de Delphine. Alors que les deux gendarmes disent ne pas se souvenir du contenu de cette discussion, la défense s'étonne de cet oubli commun.

"Vous avez donc rencontré les enquêteurs pour récupérer votre déposition, et vous avez le même oubli que votre collègue. Eh bien, on verra si le troisième gendarme a le même oubli", commente Me Emmanuelle Franck.

L'avocate ne lâche pas le morceau et tente de faire dire à Sophie F. qu'elle a préparé sa "présentation avec les enquêteurs". "Oui, nous nous sommes entraînés à répéter notre présentation, mais personne ne nous a briefés dessus", explique finalement la gendarme face à l’insistance des questions de la défense.

Un témoignage qui interroge

Le lendemain, c'est l'audition d'un témoin qui suscite une vive réaction des avocats de Cédric Jubillar. À la barre, Jérôme décrit une scène surprenante: alors qu'il part travailler, très tôt, le matin de la disparition, il est interpellé par un véhicule dont le plafonnier est allumé, à environ 2 kilomètres du domicile des Jubillar.

"Je suis formel, c'était une Peugeot, type 207, 308", dit-il à la cour, ajoutant qu'un individu a ensuite traversé en direction du véhicule. La scène n'est pas habituelle, dit-il: en 20 ans, il a peut-être croisé seulement dix voitures sur cette route.

Deux jours plus tard, Jérôme apprend la disparition de Delphine Jubillar et se résoud à contacter la gendarmerie. "Ça n'a pas de rapport", auraient alors répondu les gendarmes après son témoignage. Une réaction ahurrissante, estime la défense, d'autant qu'au moment où le témoin a vu la voiture, Cédric Jubillar se trouvait, lui, avec les gendarmes.

"Vous trouvez normal qu'à 48 heures de la disparition de Delphine Jubillar, vous appelez la gendarmerie, vous dites: 'j'ai vu un type courir comme un dératé, une voiture allumée', et, que pendant 15 jours, vous ne soyez pas auditionné?", insiste Me Emmanuelle Franck.

Sur ce point, l'avocat général indique que des vérifications ont tout de même été faites.

Le directeur d'enquête longuement cuisiné

D'autres gendarmes défilent à la barre en assurant que les recherches déployées pour retrouver Dephine Jubillar et comprendre ce qui lui est arrivé ont été "immédiates, intensives et diversifiées". "J'ai mis tous les moyens pour retrouver Delphine Jubillar", soutient l'un d'eux.

Mercredi après-midi, c'est Bernard L., le directeur d'enquête, qui s'avance à la barre d'un pas assuré, en tenue de gendarme. "Point d'entrée de toutes les investigations", selon ses mots, il déroule les différentes étapes de l'enquête, les pistes passées en revue, fermées les unes après les autres. Pour lui, tous les éléments mènent au crime conjugal, seule hypothèse à tenir encore la route: Cédric Jubillar, explique-t-il, avait "la motivation, un mobile et l'opportunité" de tuer son épouse.

Une conclusion loin d'être du goût de la défense, qui prend le micro en fin de journée. Point par point, Me Franck s'attache à souligner les lacunes de l'enquête et à rappeler les éléments à décharge pour Cédric Jubillar qui n'ont pas été rappelés devant la cour.

Pugnace, l'avocate étrille une à une les certitudes des enquêteurs. Les lunettes de Delphine, retrouvées cassées chez elle alors qu'elle était myope? "Elle avait peut-être ses lentilles." Les cris que les voisines ont entendu la nuit des faits? "J'ai refait tout l'horodatage et ça ne colle pas." L'amant de Delphine et son épouse, exclus des suspicions après l'étude du système d'alarme de leur maison? "Pour sortir, ils peuvent aussi passer par la porte vitrée!", tance-t-elle encore. Le ton monte entre les avocats, murmures dans la salle. Cédric Jubillar, lui, esquisse parfois un sourire.

Point culminant de cet interrogatoire, Me Emmanuelle Franck évoque un élément étrange: le livret de famille des Jubillar a été retrouvé sur la voie publique à Albi, sept mois après la disparition de Delphine, "en très bon état, ce qui pose question". "Qui le retrouve? On ne sait pas? (...) Et vous n'avez pas fait un petit prélèvement ADN dessus? Mais vous voyez que c'est grave, là." "Je n'ai pas de réponse", marmonne le gendarme.

Suspendue jeudi soir, l'audience ne reprendra que lundi. La deuxième semaine de ce procès devrait être marquée par le témoignage des proches de Delphine Jubillar.

Elisa Fernandez, Mélanie Bertrand et Maxime Cliet-Ruzza