"Il voulait m'égorger": cinq personnes devant la justice pour l'attaque à la prison de Condé-sur-Sarthe en 2019

La prison de Condé-sur-Sarthe (Orne) le 5 octobre 2021. (Illustration) - JEAN-FRANCOIS MONIER © 2019 AFP
L'épisode avait fait grand bruit et avait posé des questions sur l'introduction des armes blanches en prison. Après l'attaque dans laquelle deux surveillants ont été grièvement blessés à la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne) en 2019, le procès de Michaël Chiolo et de quatre autres personnes s'ouvre ce lundi 2 juin à Paris.
Une audience qui intervient plus de six ans après que le principal suspect et sa compagne (décédée dans l'assaut du Raid) ont grièvement blessé deux surveillants pénitentiaires avant de se retrancher dans une Unité de vie familiale (UVF) pendant 10 heures.
Selon son avocat, Michaël Chiolo reconnaît son geste et ses motivations depuis le début, et sait quelle peine il encourt pour ces faits.
"Il revendique son acte et souhaite s'en expliquer. Il attend beaucoup de ce procès, non pas en termes de peine, mais d'écoute. Il veut s'exprimer sur son parcours de vie et sur ce qui, en prison, l'a poussé à cet acte", indique Me Romain Ruiz auprès de BFMTV.com.
"J'ai compris qu'il voulait m'égorger"
Le 5 mars 2019, Michaël Chiolo se trouve dans une Unité de vie familiale, un appartement sécurisé au sein duquel les détenus peuvent accueillir leur famille pendant quelques heures en prison. Sa compagne et lui ont prévu d'y passer un moment ensemble.
Mais vers 9 heures du matin, le détenu contacte le poste de contrôle via un interphone et indique qu'il veut mettre fin à cette entrevue. Étonnant: cela fait un mois qu'il a réservé cette UVF pour pouvoir passer du temps avec sa conjointe, Hanane Aboulhana. Auprès du personnel, il explique que cette dernière, enceinte, se sent mal.
Vers 9h25, deux surveillants pénitentiaires, Yannick W. et Olivier W. se présentent donc devant l'appartement. Mais lorsqu'ils ouvrent la porte, Michaël Chiolo, armé d'un couteau, se jette sur le premier et lui assène plusieurs coups à la tête et au torse, jusqu'à le faire tomber. Selon son récit, le détenu crie alors " Allahou Akbar" et tente de lui faire relever la tête, mais le surveillant résiste.
"Ce n'est qu'après que j'ai compris qu'il voulait m'égorger... Il voulait me tuer, en fait", racontera-t-il aux enquêteurs.
Pendant ce temps, elle aussi munie d'un couteau, Hanane Aboulhana s'en prend au second surveillant, Olivier W. Au cours de cette agression, il est notamment blessé à l'abdomen et au thorax.
Demandant du renfort, Yannick W. parvient à se saisir de l'un des couteaux et le pointe vers les deux assaillants. Michaël Chiolo tire alors sa compagne vers l'arrière, recule et s'enferme avec elle dans l'UVF. De leur côté, les surveillants s'éloignent et s'effondrent dans le couloir. Ils seront ensuite pris en charge par les secours.
Retranchés pendant 10 heures
Vers 12h30, le RAID, appelé en renfort, intervient dans la prison de Condé-sur-Sarthe. À l'intérieur de l'UVF, à travers l'interphone, Michaël Chiolo déclare qu'il est en possession d'une ceinture d'explosifs et refuse toute négociation.
Toujours à travers l'interphone, il dit avoir commis son acte au nom de l'Etat islamique et affirme avoir voulu venger Chérif Chekatt, l'auteur de l'attentat à Strasbourg le 11 décembre 2018, tué deux jours plus tard lors d'un échange de tirs avec la police.
Vers 19h30, les policiers finissent par entrer dans l'UVF et sont à leur tour attaqués par le détenu et sa compagne, qui leur assènent des coups de couteau et lancent de l'acide sulfurique. À la taille de Michaël Chiolo, ils découvrent effectivement quelque chose s'apparentant à une ceinture d'explosifs. Quant à Hanane Aboulhana, elle tient dans sa main le bout d'un câble sortant de ses vêtements, comme si elle était prête à déclencher elle aussi une bombe.
Alors qu'ils s'écrient encore une fois "Allahou Akbar", les agents du Raid ouvrent le feu. Michaël Chiolo est blessé à la mâchoire tandis que sa compagne meurt sur le coup.
En se penchant davantage sur les ceintures à explosifs du couple, les enquêteurs s'apercevront qu'il s'agissait en réalité d'équipements factices. Des textes faisant l'apologie du jihad seront également découverts dans l'UVF.
Ils ciblaient le directeur de la prison
Une enquête est alors ouverte au Parquet national antiterroriste (Pnat). Les policiers confirment qu'Hanane Aboulhana a pu entrer avec des couteaux en céramique au sein de l'établissement, sans qu'une fouille soit réalisée. Ils découvrent également que les assaillants projetaient initialement de s'en prendre au directeur de l'établissement de l'époque, Jean-Paul Chapu, après leur sortie de l'UVF.
"Le but était d'en tuer un (surveillant, NDLR) et d'en garder un autre pour pouvoir faire l'échange avec M. Chapu. Le but c'était d'avoir M. Chapu dans l'UVF pour le décapiter, ce chien", déclare Michaël Chiolo en garde à vue.
En outre, l'instruction met au jour plusieurs discussions que Michaël Chiolo a eues par le passé avec d'autres détenus qu'il retrouvait régulièrement au sein d'une salle de convivialité. Des micros avaient été posés dans cette pièce par les services du renseignement pénitentiaire les jours précédant le passage à l'acte du 5 mars, captant certains échanges, notamment avec Abdelaziz Fahd. Ce dernier a à nouveau fait parler de lui en mars dernier: incarcéré à Beauvais (Oise), il est soupçonné de s'être fait "livrer" un couteau ainsi qu'un téléphone au sein de l'établissement, à l'aide d'un drone.
Contactée, son avocate Me Nadia Moussif dénonce une instruction "essentiellement à charge" contre son client concernant l'attaque de Condé-sur-Sarthe. Selon elle, le juge d'instruction a fait un "montage" à partir des enregistrements réalisés en salle de convivialité et "s'acharne à attribuer des propos à Fahd".
"Ce n'est pas quelqu'un de violent. Il n'a jamais cherché à s'en prendre à des surveillants, ça ne colle pas au personnage. On l'a mis de force dans un dossier qui ne le concerne pas", assène-t-elle.
Trois autres hommes ayant eu, selon les enquêteurs, une relation privilégiée avec Michaël Chiolo, ont également été mis en examen dans le dossier. Ils sont jugés pour "association de malfaiteurs terroristes". Abdelaziz Fahd est jugé du même chef, mais aussi pour "complicité de tentatives d'assassinats".
Une femme va également comparaître libre. Ex-compagne de l'un des mis en cause, elle est soupçonnée de s'être renseignée pour le compte d'Hanane Aboulhana sur la possibilité de faire entrer des couteaux en céramique en prison. En garde à vue, elle a déclaré qu'elle voulait ce renseignement seulement pour pouvoir cuisiner plus facilement dans les UVF.
Une attaque pour "venger" Chérif Chekatt
Concernant Hanane Aboulhana, l'action publique s'est éteinte avec sa mort pendant l'assaut. Mais Michaël Chiolo, qui a toujours reconnu et revendiqué les faits, est renvoyé devant la justice pour "tentatives d'assassinats sur personnes dépositaires de l'autorité publique, en lien avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs".
Âgé de 27 ans au moment de l'attaque, l'homme purgeait une peine de 30 ans d'emprisonnement pour avoir séquestré un octogénaire survivant des camps de concentration, convoitant le contenu de son coffre-fort à Montigny-lès-Metz (Moselle), en avril 2012. La victime avait été retrouvée morte le lendemain matin du cambriolage.
C'est en prison qu'il fera une "volte-face idéologique à 180°", selon les mots de son avocat, Me Romain Ruiz. En détention, il noue notamment une relation épistolaire avec Chérif Chekkat, le terroriste de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, au nom duquel il commettra l'attaque des deux surveillants en 2019. "Est-ce que Chiolo s'est radicalisé à son contact? Pour moi, c'est un raccourci presque grotesque", commente l'avocat, qui rejette pour son client le terme de "radicalisation".
Le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris, il avait également demandé à ses codétenus de "rejouer" les événements du Bataclan au sein de la prison de Mulhouse. Pour ces faits, il avait également été condamné à un an de réclusion pour "apologie du terrorisme".
"La faillite absolue du système carcéral"
Son avocat le revendique: puisque l'accusé principal reconnaît les faits, ce procès doit aussi être "celui du système carcéral", qui a "transformé" son client, affirme-t-il. "Ce procès ne sera utile que s'il est aussi celui de la prison et qu'il questionne la faillite absolue du système carcéral", détaille Me Romain Ruiz.
"Si l'on n'en parle pas, on va continuer à assister à cette déliquescence du système et ça va nous amener à d'autres situations dramatiques", ajoute-t-il.
Jean-Paul Chapu, le directeur d'Alençon-Condé-sur-Sarthe au moment des faits, espère pour sa part en savoir davantage sur les motivations et la personnalité des accusés lors de ce procès, indique son avocat, Me Bruno Mathieu.
"La balle est dans leur camp. Ce sont eux qui vont donner le ton du procès, tout peut arriver", commente-t-il en ajoutant que son client a gardé un stress post-traumatique et a longtemps eu peur que l'on s'en prenne aux siens "pour la fonction" qu'il occupait à l'époque des faits.
Contactés, les avocats des deux surveillants blessés pendant l'attaque, Mes Antoine Vey et Laurent-Franck Liénard, n'ont pas répondu à nos sollicitations. Le procès doit se tenir jusqu'au 4 juillet.