Un fragile trésor de 1.000 ans: le prêt de la tapisserie de Bayeux aux Britanniques est-il vraiment une bonne idée?

Des visiteurs admirent la tapisserie de Bayeux, exposée dans cette ville du Calvados le 13 septembre 2019 - LOIC VENANCE © 2019 AFP
C’est un débat qui secoue la communauté des experts de l’art: peut-on vraiment déplacer à l’étranger la tapisserie de Bayeux vieille de près de mille ans? Le débat a été remis à l'ordre du jour par Emmanuel Macron lors de sa visite au Royaume-Uni, alors que le chef de l'État a annoncé le prêt de l'œuvre quasi-millénaire au British Museum de Londres dès 2026.
Pour beaucoup d'experts interrogés par BFMTV, l'idée n'est pas si bonne. Emmanuel Macron porte cette idée depuis des années et veut aller jusqu’au bout. C’est lors du sommet franco-britannique de Sandhurst en janvier 2018 que le président de la République avait émis ce souhait pour la première fois. À l’époque, des conservateurs du musée de Bayeux étaient montés au créneau.
Des experts internationaux avaient même prévenu: en cas de prêt et donc de déplacement, la tapisserie de Bayeux devrait impérativement être consolidée et ses microdéchirures, réparées. Or, depuis six ans, rien n’a été fait… Aucune restauration d’envergure n’a été lancée sur cette tapisserie aux dimensions folles. Un ouvrage qui est classé monument historique et sur le registre de la mémoire du monde de l’Unesco.
Si la tapisserie est déplacée, ce sera la troisième fois seulement. La première fois, c’était sous Napoléon, lorsqu’elle a été rapatriée à Paris par crainte d’une invasion anglaise. La deuxième, durant la Seconde Guerre mondiale, quand les Allemands l’ont transférée au Musée du Louvre, à Paris.
Un "récit brodé" de 70 mètres et presque 1.000 ans
Il faut dire que cet ouvrage a traversé le temps et c’est un petit miracle. La fragile tenture mesure 70 mètres! C’est un "récit brodé" racontant la conquête de l’Angleterre en l’an 1066 par Guillaume, duc de Normandie (devenu par la suite Guillaume le conquérant). Elle a été fabriquée à l'aiguille sur une toile de lin bis assez régulière, brodée avec quatre points différents de fils de laine déclinés en dix teintes naturelles. C’est donc plutôt une broderie, vieille de mille ans, vue par 400.000 personnes par an, au Musée Bayeux. Elle n’est donc pas en très bon état.
C’est pour cette raison que le musée normand va lui offrir un nouvel écrin à l’horizon 2027. Le musée va fermer ses portes le 31 août prochain. Dans les jours suivants, la tapisserie qui est exposée debout en U depuis 1983 va être décrochée. Elle sera ensuite conservée dans la région, dans un lieu discret tenu secret.
En effet, ces derniers mois, l’État n’a pas trouvé de lieu suffisamment grand pour restaurer la tapisserie, selon les informations de BFMTV. Car c’est bien l’Etat, via la DRAC de Normandie (Direction régionale des affaires culturelles) qui est propriétaire et responsable de sa conservation préventive. Le musée n’est que dépositaire de l’œuvre et responsable de sa valorisation auprès du grand public.
Un voyage sous la Manche?
Un "constat d’état" a été organisé en 2020. Il contredit les experts qui s’étaient exprimés en 2018. Selon cette étude, aucune dégradation n’empêche formellement son voyage. Mais, la volonté politique prime peut-être ici sur le principe de précaution artistique.
Selon les experts consultés, c’est plus l’étape du décrochage et de la manipulation qui est la plus complexe; et non pas son déplacement géographique. Selon nos informations, l’œuvre devrait donc pouvoir partir par la route puis via le tunnel sous la Manche pour rejoindre la capitale du Royaume-Uni, à l’été 2026. Ce dispositif n’est pas encore arrêté mais privilégié.
Aujourd’hui, la tapisserie de Bayeux est exposée débout, sur un rail, un peu comme un rideau. Une présentation qui fait subir des tensions importantes au textile. Après travaux, la tapisserie sera donc inclinée, et présentée dans une extension muséale de 11.000 m², où la température de 19°C sera régulière, tout comme le taux d’hygrométrie de 50 %, et 50 lux maximum de lumière. Elle sera posée sur un meuble de 70 mètres de long en cours de fabrication. Ce meuble inédit et incliné devrait également servir à terme de table de restauration. L’État devrait financer cette restauration à hauteur de 2 millions d’euros.
Un échange de trésors
Selon nos informations, l’idée serait de livrer ce meuble singulier directement au British Museum à Londres. Le musée peut, en effet, accueillir dans une aile la tapisserie sur une longueur de 70 mètres! Elle pourrait ainsi être légèrement restaurée sur place, si besoin… et être exposée dans les meilleures conditions possibles.
L’œuvre d’art restera à Londres pendant toute une saison, de septembre 2026 à juin 2026. Elle pourra ainsi rentrer à temps en France pour les célébrations du millénaire de Guillaume le Conquérant, en 2027, que la région Normandie compte célébrer.
Le musée de Bayeux aura eu le temps de terminer ses travaux par la même occasion. Le coût du projet du nouveau musée est de 38 millions d’euros. Il sera financé par la région Normandie et le département du Calvados à hauteur de 10,5 millions d’euros chacun, et 7 millions par la ville de Bayeux.
En échange de ce prêt inestimable, la France recevra… une centaine de pièces médiévales, qui seront exposées à la même période en France, dans les musées de Caen et de Rouen.