Dans l'arrière-cuisine de Tom-Tom et Nana avec la dessinatrice Bernadette Després

Bernadette Després visitant son exposition à Angoulême - Yohan BONNET / AFP
Pendant plus de trente ans, elle a dessiné les coins et les recoins du restaurant À la bonne fourchette et ses joyeux habitants: Tom-Tom et Nana, mais aussi leurs parents Yvonne et Adrien, leur sœur Marie-Lou, leur tante Roberte. Âgée de 77 ans, Bernadette Desprès a fait l’objet d’une grande rétrospective lors du dernier festival de la BD d’Angoulême.
Co-créatrice de cette BD phare du magazine J’aime lire, elle a dessiné 371 histoires de Tom-Tom et Nana, pour la plupart écrites par Jacqueline Cohen, puis par Evelyne Reberg. Ces vingt dernières années, les 34 albums de la série se sont vendus à 15,4 millions d’exemplaires. En 2018, il s’en est encore vendu 250.000.

Tout commence en 1976. Dessinatrice chez Bayard depuis le premier numéro de Pomme d’Api, Bernadette Desprès est contactée par Jacqueline Kergéno et Anne-Marie de Bezombes, qui s’apprêtent à lancer en janvier 1977 un nouveau titre: J’aime lire. "Elles me connaissaient. Je faisais des petites bandes dessinées de temps en temps. C’est pour ça qu’elles m’ont demandé d’en faire. Je leur ai dit que j’avais besoin de scénaristes", se souvient Bernadette Desprès.
"Ils n’étaient pas sûr que ça allait marcher"
Elle s’associe alors à Jacqueline Cohen, avec qui elle vient de publier Les Mots de Zaza dans Pomme d’Api. Les deux femmes se sont rencontrées quelques années auparavant dans une autre maison éditions, ODEJ: "La rédaction était tenue par sa belle sœur", poursuit-elle. "J’étais arrivée avec mes dessins qui lui avaient plu. Du coup, on a fait trois livres ensemble, des livres de jeux sur la rue, les commerçants, la ville. On était déjà dans un monde du commerce!"
En toute logique, c’est lors d’un dîner, sur un coin de table, que l’idée de Tom-Tom et Nana prend forme. Une lettre dactylographiée de Jacqueline Cohen, présentée dans l’exposition, montre comment la scénariste a vendu la série à la rédaction de J’aime lire: "Ils n’étaient pas sûr que ça allait marcher. "Il n’y avait pas tellement de bandes dessinées pour petits enfants", se souvient Bernadette Després.

Affronter le monde des adultes et ses conventions
Intitulée à l’origine Les Aventures de Tom-Tom à la Bonne Fourchette, la série entend “parler de nourriture" - "un sujet qui touche particulièrement les enfants”, précise Jacqueline Cohen, qui souhaite également montrer le "fonctionnement [d’un restaurant] de manière amusante". Selon la scénariste, le restaurant, "un lieu public, ouvert sur la rue, sur le monde" "permet donc de rencontrer toutes sortes de gens".
D’emblée, elle place l’accent sur un des traits majeurs de la série: la naïveté des protagonistes. "Tom-Tom participe à sa manière à la vie du restaurant", écrit-elle. "Il est plein d’idées, plein de bonne volonté, mais il affronte le monde des adultes et ses conventions… des affrontements toujours comiques, et malgré les échecs, les coups de pied au derrière, Tom-Tom en sortira vainqueur à chaque fois."
Pour s’imprégner de l’ambiance et imaginer "À la bonne fourchette", Bernadette Desprès se rend dans les troquets: "J’avais fait des croquis où on voit le passe-plat." Ces dessins elle les montre encore aux enfants qu’elle rencontre lors de visites scolaires. Dès ses débuts, on lui propose de réaliser des histoires de 20 pages. Elle refuse: "C’était trop pour les enfants. 10 pages c’était très bien", dit-elle.

"Faut que ça bouge!"
Elle a aussi refusé de faire grandir Tom-Tom et Nana: "Ça ne me plaisait pas. On reste dans cette période de naïveté et d’enfance où ce n’est pas méchant. Ils font des choses et ça se retourne contre eux." Selon Bernadette Després, Tom-Tom et Nana n’ont rien de "sales gosses". Inspiré par Bécassine, Tintin ou encore Zig et Puce, son dessin est marqué par une recherche permanente de mouvement et de légèreté. Comme les enfants qu’elle dessine. "Faut que ça bouge!", s’exclame celle qui revendique aussi un "côté caricatural" dans son trait.
Pour dessiner Tom-Tom et Nana, la dessinatrice s’est inspirée de ses propres enfants. Nana a ainsi le visage de sa fille et Tom-Tom celui pointu de son fils Etienne. "Mon fils est né en 1977 au démarrage de Tom-Tom et Nana", ajoute-t-elle. "On a donc décidé de l’appeler Thomas. Pour nous, Thomas, c’est l’homme du doute, au point de vue religieux." Le nom du personnage viendrait quant à lui du surnom du fils d’une amie de Jacqueline Cohen. Et celui de Nana de la fille de la scénariste.
Avec Adrien Dubouchon, Bernadette Després a voulu rendre hommage à son propre père et lui a prêté son nez. "Je ne sais pas pourquoi j’ai fait le nez de mon père", dit-elle aujourd’hui. Tante Roberte, quant à elle, serait la dessinatrice elle-même! "Je n’en sais rien", commence-t-elle par dire. "On peut toujours dire ça après. En vérité, je me sens un peu Tante Roberte. Je suis une grande-mère. J’ai onze petits enfants."

"C’était cauchemardesque"
Avec Jacqueline Cohen, l’entente est bonne, mais la scénariste est rapidement dépassée par le succès de sa création.
"Elle ne s’attendait pas à ce que soit un piège. Elle avait peur de ne pas y arriver. Pour elle, c’était cauchemardesque: il fallait une histoire tous les mois. À chaque fois, elle s’adressait à d’autres scénaristes”, raconte aujourd’hui Bernadette Després. "Quand Evelyne Reberg est arrivée en 1986, cela a sauvé Tom-Tom et Nana. Elle était romancière, elle pouvait vraiment soutenir Jacqueline. Le talent de Jacqueline était de pouvoir simplifier une bande dessinée pour que ce soit drôle, clair et que les enfants puissent les lire et les relire."
Trouver d’autres scénaristes n’a pas été une mince affaire: "Deux étés de suite, on a fait faire une histoire à une autre autrice et ça n’a pas marché. Les parents n’avaient plus de caractère. Dans Tom-Tom et Nana, il y a du caractère partout!" Leurs histoires mettent en scène des enfants dotés d’une imagination infinie, capable d’enchanter le monde et les mornes cuisines et terrains vagues qui les entourent.
Avec eux, tout et n’importe quoi peut devenir un jouet. Souvent, les véritables jouets sont même détournés de leur but premier, comme le vaisseau spatial SX33 qu’ils reçoivent en cadeau et sert ultimement pour la plonge. Inversement, ce qui ne devrait pas être un jouet en devient un, comme cette tête de porc qu’ils placent sur une voiture automatique pour effrayer des enfants.

"Elles ne veulent pas que ça continue"
Les histoires de Tom-Tom et Nana se sont arrêtées en 2009, après avoir vu leur pagination réduire considérablement. Jacqueline Cohen en avait assez et a été soulagée de voir la série arriver à son terme. Bernadette Després n’a jamais envisagé d’écrire elle-même les histoires.
Dix ans après, la BD ne devrait pas ressusciter. "Elles [Jacqueline Cohen et Evelyne Reberg] ne veulent pas que ça continue. Les gens ne font pas les choses comme il faut. Elles ne sont même pas d’accord pour Emmanuel Guibert [l’auteur d’Ariol qui a écrit quelques histoires de Tom-Tom et Nana, NDLR] qui est pourtant quelqu’un de bien vu", affirme Bernadette Després, qui ajoute:
"Même moi, j’ai fait des choses sans leur soutien et elles n’ont pas aimé. Une fois, le LaM, le musée d'art brut situé près de Lille, m’a demandé de faire visiter le musée aux enfants avec Tom-Tom et Nana. Ce qui me plaisait, ce n’était pas que Tom-Tom et Nana fassent des bêtises, mais d’utiliser le personnage de Tante Roberte, que j’adore. Pour moi, c’est l’artiste de cette famille. Je voulais qu’elle fasse des conneries! J’ai imaginé ça, parce que Monsieur Henri fait visiter dans une histoire le musée à Tom-Tom et Nana et fait plein de bêtises. Je me suis dit que Tante Roberte pourrait faire la même chose. Ça ne leur a pas du tout plu. Elles m’ont dit que ce n’était pas son caractère."