"Radin!": comment la comédie la plus sombre de Dany Boon est devenue un de ses plus grands succès

Dany Boon dans le film "Radin!" de Fred Cavayé - Mars Distribution
Dany Boon pingre, méchant et même violent: dans Radin!, la star de Bienvenue chez les Ch'tis, habituée aux rôles de grands naïfs gaffeurs, n'a pas hésité à casser son image pour faire rire et surprendre ses fans. Un risque payant. Sorti en 2016, cette relecture de L'Avare de Molière - la comédie la plus sombre et la plus acide de sa filmographie - est l’un des plus gros succès de la carrière de Dany Boon.
Sans pour autant être son Tchao Pantin, Radin! offre au comique un de ses rôles les plus complexes et les plus extrêmes. Musicien hors pair frappé d'une avarice qui le pousse à commettre les actes les plus abjects, François Gautier voit sa vie basculer lorsqu'il tombe amoureux et découvre qu'il a une fille de 16 ans dont il ignorait l'existence.
Ce rôle unique dans sa carrière, Dany Boon le doit à Fred Cavayé. Si ce dernier s'est fait connaître avec ses polars musclés (Pour elle, À bout portant), ce grand amateur de Hara-Kiri et de Gotlib a débuté sa carrière en écrivant pour le roi de la comédie Claude Zidi et en signant les scripts de comédies populaires comme La Guerre des Miss avec Benoît Poelvoorde ou de RTT avec Kad Merad.
Tout commence lorsqu'Eric Jehelmann, producteur de Pour elle, lui parle d'un script prometteur signé Nicolas Cuche et Laurent Turner sur un radin. Le projet est financé, mais tous les comédiens vedettes ont refusé le rôle. Fred Cavayé se laisse tenter par le défi. Il lit le scénario et se retire trois semaines en Bretagne pour tout réécrire. "Quand on voit le film, ça se sent. Il y a beaucoup de références à la Bretagne", sourit-il.
Coup de poker
Quand il se lance dans ce travail de réécriture, en mai 2014, Fred Cavayé vient de subir trois mois plus tôt un échec retentissant avec son précédent film, Mea Culpa, un thriller avec Gilles Lellouche et Vincent Lindon. "Tu fais un film, t'as pas de scénario", s'était moqué en "une" Le Figaro. Malgré cette pique, Fred Cavayé n'écrit pas Radin! dans un esprit de vengeance, mais pour "ne retourner que dans le plaisir".
Une fois le scénario terminé, Fred Cavayé tente un coup de poker. Pour incarner son radin obsessionnel, il ne voit que Dany Boon. Mais celui-ci a déjà refusé la première version du scénario. Le comédien, qui reçoit la nouvelle version un vendredi, rappelle le lundi d'après Fred Cavayé, conquis par le texte. "C'est drôle, ma femme l'a lu aussi. Elle a pleuré à la fin", lui confie Dany Boon.
L'humoriste est séduit par cette nouvelle version du scénario qui lui permet de passer des rôles de naïfs à la Bourvil aux personnages méchants à la Louis de Funès. Seul bémol: alors en pleine préparation de son prochain film en tant que réalisateur, Raid dingue, Dany Boon n'a pas le temps, à moins de tourner deux mois plus tard. "Je lui ai dit banco et on est parti en tournage deux mois après", se rappelle Fred Cavayé.
Deux mois de préparation, c'est pourtant peu. "Souvent, si on a du temps, on peut peaufiner le script et enlever ce qui n'est pas forcément indispensable. Et donc là, comme on manquait de temps, c'est le film où j'ai tourné le plus de choses qui, au final, se sont retrouvées (non) montées." Pour ces raisons, le tournage est complexe. Les journées longues. En neuf semaines, ils tournent ce qui aurait dû en prendre 13.
Comme Mr Bean
Pour boucler le projet, Fred Cavayé s'entoure des meilleurs techniciens. Laurent Dailland, le chef opérateur de comédies sophistiquées comme Mission Cléopâtre d'Alain Chabat, s'occupe de la lumière. Klaus Badelt, collaborateur de Hans Zimmer sur Gladiator et Pirates des Caraïbes, est au générique. Le budget est de 11,5 millions d'euros - dont 7-8 millions rien que pour la fabrication pure du film.
Malgré ces contraintes de temps, le tournage se déroule dans une ambiance joyeuse. "Ça s'est fait comme quand j'ai fait mes courts métrages. Aussi vite. Et c'était incroyable, avec une énergie où on avait tous envie de faire le film. On était tous contents d'être là."

En pleine préparation de Raid Dingue, où il doit jouer un membre du GIGN, Dany Boon doit prendre du muscle. Sa préparation intensive pour le transformer ne l'empêche pas d’être crédible en radin autarcique. "J'ai eu du bol. Il était en période de sèche et il s'est épaissi après le film. Ça lui faisait un visage un peu émacié et vu que son personnage ne mange que des demi-portions pour pas trop dépenser, ça va coller complètement."
Après Supercondriaque, un film dans la lignée du Malade Imaginaire, Radin! permet à Dany Boon de se glisser dans la peau d'un autre archétype de Molière, celui de l'avare. Dans Radin!, Dany Boon a aussi des allures de Mr. Bean. Affublé d'un seul et unique costume pour accentuer le côté pingre de son personnage, il a l'apparence d'un héros de cartoons.
Échec annoncé
Film profondément burlesque, Radin! surprend aussi avec une fin émouvante. Un équilibre difficile à obtenir. "C'est toujours compliqué quand on a un personnage tout en second degré de le ramener d'un seul coup dans le premier degré pour qu'il puisse vous émouvoir. Parce qu'on est ému uniquement par des choses réelles."
"Là, ce qui est intéressant, c'est qu'on fait un personnage très caricatural tout le long du film pour faire rire et d'un seul coup, il se met vraiment à pleurer et il fait tomber l'armure", poursuit Fred Cavayé. "(Dany) joue la scène comme si on n'était pas dans une comédie. Et là, effectivement, ça devient frontal et c'est ça qui a fonctionné. D'autant plus qu'on n'est pas du tout habitué à le voir comme ça."
Malgré cette dimension dramatique finale, Dany Boon n'a pas envisagé Radin! comme son Tchao Pantin, le film qui a révélé Coluche comme acteur dramatique. "Dany est un des seuls à ne jamais avoir couru après", insiste Fred Cavayé. "Il a un grand respect de son public et je pense qu'il se dit que son public, peut-être, ne veut pas le voir dans des rôles qui font pleurer. Il est tellement comblé dans son métier qu'il n'a pas besoin d'aller créer artificiellement d'autres trucs."

Si tout se déroule pour le mieux, la situation se gâte quelques semaines avant la sortie. Tout le métier prédit l'échec au film. Le ton et l'image du film, jugés trop sombres, déplaisent. "(On ne le dit) pas à moi, mais au producteur", se souvient Fred Cavayé. "On entend que ça va être le premier échec de Dany, (qu'on va) faire 600.000-700.000 entrées. C'est beaucoup d'entrées pour un film en règle générale, mais pour Dany c'était très, très peu. (Dans) le métier, il n'y a pas que de la bienveillance."
Un énorme risque
En salles le 28 septembre 2016, Radin! est cependant un succès fulgurant. Un million de spectateurs se ruent en salles la première semaine. En tout, le film fait 2.920.360 entrées. Hors Astérix & Obélix Au service de sa Majesté et ses propres réalisations, il s'agit du plus gros score pour une comédie avec Dany Boon. À la télévision, le film est devenu une valeur sûre et attire en moyenne entre 4 et 6 millions à chaque diffusion.
"Je crois que ce qui joue en ma faveur, c'est que le public pense que c'est un film de Dany et je pense que le film a marché parce que ça ressemble à un film de Dany", analyse Fred Cavayé. Il savoure d'autant plus ce succès que le réalisateur avait en réalité pris un énorme risque en acceptant de tourner Radin!.
"Je n'avais plutôt pas intérêt à aller sur un film comme ça", décrypte-t-il. "Après (l'échec de) Mea Culpa, si je m'étais gaufré sur une comédie très grand public avec Dany Boon, je n'aurais plus jamais pu faire de films. Mais ça, je n'ai pas eu le temps d'y penser (en préparant Radin!). Si j'avais réfléchi à (ma) carrière, j'aurais été faire autre chose de beaucoup moins risqué."
Fred Cavayé et Dany Boon se sont retrouvés au printemps dernier sur Les Chèvres. Un pari encore plus risqué que Radin!. Mais cette comédie historique, où l’acteur incarne un avocat chargé de défendre une chèvre accusé de meurtre, a été un échec cuisant. "Le film est tellement décalé à tous les endroits (que) personne n'a su de quoi ça parlait." Un ovni qui pourrait devenir culte dans quelques années.