"On tenait sur les nerfs": le difficile tournage de "Docteur?" l'une des dernières comédies de Michel Blanc

Détail de l'affiche du film "Docteur?" avec Michel Blanc et Hakim Jemili - Copyright SquareOne Entertainment
Michel Blanc disait souvent que le tournage de Docteur? avait été l'un des pires souvenirs de sa carrière. Et pourtant, il aimait tendrement ce buddy movie dans lequel il forme un duo avec un comédien de 37 ans son cadet, Hakim Jemili, dont c'est le premier rôle au cinéma.
Sorti en décembre 2019, Docteur? suit un médecin au bout du rouleau contraint de faire la garde de Noël avec un livreur. Cette comédie feel good, réalisée par Tristan Séguéla, a rencontré un grand succès en salles - près d'un million d’entrées - avant de cartonner à la télévision.
Dans Docteur?, Michel Blanc incarne un personnage bourru, à l’opposé des losers pleurnichards qui l’ont rendu célèbre. Il était très fier de pouvoir enfin jouer, grâce à ce film, un autre archétype comique. "Il disait que c'était une des choses qui lui tenait le plus à cœur dans ce film", commente Tristan Séguéla dans notre podcast Comédies Club.
"Dans Marche à l’ombre ou Viens chez moi, j'habite chez une copine, il était l'auguste. Il était celui dont on rit. Il était le bouffon. (Docteur?), c'était son premier clown blanc. Il était très content de savoir que ce n'était pas lui qui allait faire marrer, mais (Hakim Jamili)", poursuit le réalisateur.
"Ça m'a un peu glacé"
Michel Blanc avait eu un véritable coup de cœur pour Hakim Jemili. "(Avant de l'engager, je lui avais montré) les essais filmés de Hakim", se remémore Tristan Séguéla. "Très vite, je l'ai vu glousser et ricaner derrière l'écran. Je me souviens que son agent m'avait regardé pour me dire que ça allait le faire."
Mais avant le tournage, Michel Blanc avait choisi de ne pas parler à Hakim Jemili. "Ça m'avait un peu glacé", raconte Tristan Séguéla. "Ils se sont à peine croisés un jour aux essayages. Et Michel était très froid avec lui. Je me suit dit que ça allait peut-être être compliqué. Mais en fait, il a nourri son personnage de ça." Et le réalisateur de détailler:
"Pour Michel, tout ce qui précédait (le tournage) aurait abîmé leur vraie rencontre. J'ai fait en sorte que leur rencontre (dans le film) coïncide quasiment avec leur premier jour de tournage. Le film est l'histoire d'une rencontre fortuite. Il a voulu qu'elle se produise devant la caméra et pas lors des répétitions. Ça a été un choix judicieux."
Tristan Séguéla ne s’est pas senti menacé par cette intervention de l'acteur. "Je pense rétrospectivement que c'était une manière habile et intelligente de peser sur le film. Et pourtant, ce n'est pas quelqu'un qui avait une volonté d'outrepasser sa fonction. Je l'ai trouvé formidablement respectueux de la position qui était la mienne."
Quatre galipettes dans l'escalier
Lui-même scénariste, Michel Blanc se montre par ailleurs très respectueux du scénario signé Tristan Séguéla et Jim Birmant. Sur le tournage, il ne demande à modifier qu'une seule réplique. "La phrase l'avait gêné", se souvient le réalisateur. "C'était une vanne en rapport avec l'actualité, un peu hors de propos."
Michel Blanc détestait improviser. "S'il changeait un mot dans le texte, il fallait que ce soit décidé à l'avance." Il répétait donc sans relâche son texte, même le week-end. Et quand il voulait modifier un mot, il appelait le réalisateur. "C'était toujours très respectueux. Au début, il passait même par son agent."
Le premier jour de tournage, Michel Blanc offre une belle frayeur à l’équipe. Alors qu'il se prépare, le comédien de 66 ans tombe dans l'escalier. "Il a fait quatre galipettes dans l'escalier. Passé l’effroi, très vite, il s'est relevé et ça avait l'air d'aller." Mais l'acteur est hypocondriaque et il commence à se persuader qu'il ne peut pas tourner.

"Il avait mal à la cheville et il pensait que le tournage n'allait pas pouvoir se dérouler, parce qu'on allait devoir lui mettre un plâtre de marche", enchaîne le réalisateur. "On a appelé un médecin, un vrai, pour l'ausculter. On a pris une heure pour vérifier que tout allait bien. Heureusement, il a été miraculé."
"On lit des choses dans ses yeux"
Le tournage se déroule principalement la nuit, ce que Michel Blanc déteste le plus au monde. "Au début, ça allait, on tenait sur les nerfs, mais très vite, on était vraiment épuisés parce qu'on se couchait tous les jours à 6, 7 ou 8 heures du matin. On s'est retrouvés à enchaîner les nuits et il était complètement éclaté, comme nous tous."
La fatigue n'a pourtant pas affecté sa prestation. Je pense que ça l’a nourri même", renchérit le réalisateur. "C'est une des raisons pour lesquelles il est si bon: il est fatigué et la fatigue tape sur ses nerfs et le rend irascible, grincheux."
Au tout début du tournage, Michel Blanc a aussi été affecté par un drame personnel, la disparition de son père. Ce deuil l'a aidé à camper son personnage, lui aussi un homme seul après la mort d'un être cher. "On lit des choses dans ses yeux, dans cette voix un peu éraillée. Je pense qu'on ne l'a jamais entendu comme ça."
"Il ne m'a pratiquement rien dit"
Michel Blanc était fier du film mais sa première réaction fut un peu déroutante, nous raconte Tristan Séguéla. "Il ne m'a pratiquement rien dit. Je me suis dit que peut-être il n'aimait pas ce film. Mais Claire, son agent, m'a rassuré. Elle m'a dit que c'était toujours pareil, qu’il ne fallait pas que je m'inquiète."

Quelques semaines plus tard, lors d'une avant-première publique, Michel Blanc revoit le film dans une salle pleine à Lille. "Il s'est régalé et il me l'a bien fait savoir aussitôt après, s'excusant presque d'avoir été comme ça la première fois, me remerciant et surtout me disant qu'il avait vraiment adoré le film."
Bien accueilli par la presse, Docteur? a réuni 797.236 entrées en salles grâce au bouche aux oreilles. A la télévision, il a touché 4 millions de télespectateurs lors de sa première diffusion. "J'ai reçu un petit message de Michel qui m'a dit: 'Je n'arrive jamais à revoir mes films à la télé, mais j'ai adoré. Merci.' Ça m'a fait très plaisir."
Après le tournage, Michel Blanc a continué à soutenir Hakim Jemili. Les deux hommes sont restés proches. Il a même été son parrain aux César. A sa mort, Hakim Jemili a rendu hommage sur Instagram à celui qu’il considérait comme "son papa du cinéma": "Merci pour tout ce que tu as fait pour moi".