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Syrie: pourquoi l'Occident temporise

Barack Obama, le 28 août à Washington.

Barack Obama, le 28 août à Washington. - -

Ces dernières 24 heures, Washington, Paris et Londres semblent opérer un léger retour en arrière sur leur potentielle intervention militaire en Syrie et livrent un discours qui contraste avec les offensives verbales de ces derniers jours. Explications.

Alors que l'on pensait les premières frappes occidentales en Syrie imminentes, tant les déclarations des responsables américains, britanniques et français des derniers jours semblaient sans ambiguïté, Washington, Londres et Paris apparaissent plus hésitants depuis quelques heures et tempèrent leur propos. Pourquoi ce ralenti soudain? BFMTV.com fait le point.

> Les chefs d'Etats freinent le pas

Après s'être montrés très offensifs et déterminés en début de semaine, laissant spéculer le monde entier sur une action imminente en Syrie, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni semblent brusquement freiner le mouvement. Barack Obama a affirmé qu'aucune décision n'a encore été prise et a même indiqué que les frappes, si elles venaient à se produire, se limiteraient à un "coup de semonce" contre le régime de Bachar al-Assad.

Même son de cloche du côté de Paris ce jeudi. François Hollande, qui recevait le chef de l'opposition syrienne, est apparu modéré, insistant sur la nécessité d'une "solution politique". Le chef de l'Etat n'a pas évoqué de soutien militaire, deux jours après son discours devant les ambassadeurs, au cours duquel il s'était dit prêt à "punir" le régime de Damas. "On est dans une culture de la communication, c'est du quasi instantané, les hommes politiques ne prennent pas vraiment le temps de la réflexion", rappelle à BFMTV.com Pascal Le Pautremat, géopoliticien et spécialiste en questions militaires.

> Agir sans preuves?

Un revirement dans les mots, qui intervient au lendemain d'un nouvel échec à l'ONU: mercredi soir, les membres du Conseil de sécurité ne sont pas parvenus à trouver un accord sur une résolution britannique justifiant une action armée en Syrie. Les ambassadeurs russes et chinois ont même quitté la salle des discussions.

Mais le doute semble également s'installer face à l'absence de preuves tangibles de l'utilisation d'armes chimiques. Londres a d'ailleurs indiqué attendre les résultats de l'enquête des Nations unies, toujours en cours, avant de prendre une décision. "Les Occidentaux n'ont pas la preuve des produits utilisés, ni des commanditaires de l'attaque. Cela fait donc beaucoup de zones d'ombres", souligne Pascal Le Pautremat. "Il ne faut pas oublier que les experts onusiens sont dépêchés en Syrie depuis fin juin. Et il n'y a pas eu de preuves apportées. Aujourd'hui, les enquêteurs interviennent sur les lieux de l'attaque après plusieurs jours, on peut penser que les produits sont dispersés. Ce n'est donc a priori pas évident de connaître l'ampleur et surtout la nature même des produits utilisés", précise-t-il.

> La crainte d'un embrasement régional

Le Proche et le Moyen-Orient étant plus que divisés autour du conflit syrien, l'Iran et le Hezbollah libanais soutenant Bachar al-Assad, et l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et l'Egypte appuyant l'opposition, les Occidentaux craignent un engrenage du conflit consécutif à leur frappe et une déstabilisation de toute la région, à l'équilibre déjà précaire.

"La frappe quelle qu'elle soit ne réglera pas le conflit", estime Pascal Le Pautremat, pour qui la solution ne passera que par une véritable négociation politique. "Il faut réussir à réunir autour de la même table le clan de Bachar al-Assad, car il n'est pas tout seul à diriger, et les éléments les plus pertinents de l'opposition. Nous sommes vraiment face à un conflit aux airs de guerre civile, derrière lequel existe un véritable risque d'embrasement régional. Il est rassurant de voir que les hauts responsables des pays occidentaux font preuve d'un peu plus de pondération et de réflexion stratégique", juge le géopoliticien.

> Une opinion publique partagée

En France comme aux Etats-Unis, l'éventualité d'une action militaire en Syrie divise profondément l'opinion. Selon un sondage Ipsos-Reuters mené entre le 19 et le 23 août auprès des Américains, seuls 9% d'entre eux se disent favorables à une intervention, tandis que 60% s'y opposent catégoriquement. Il s'agit du plus bas niveau d'approbation à une offensive militaire outre-Atlantique, puisque trois quarts des Américains avaient soutenu l'intervention en Irak, en 2003, et près de 90% celle en Afghanistan, deux ans plus tôt. 

En France, le clivage entre opposants et partisans est, certes, moins marqué, mais témoigne d'une véritable division de la société sur ce sujet: un sondage CSA publié mercredi soir rapporte que 45% des Français se disent favorables à une action, contre 40% d'opposition. Outre-Manche, une enquête menée en début de semaine montre une opposition très marquée des Britanniques à tout type d'aide militaire aux rebelles.

> Les moyens militaires continuent d'être déployés

Paradoxalement, les manœuvres militaires se poursuivent en Méditerranée orientale. Selon le site Internet du Point, Paris aurait envoyé une frégate antiaérienne au large de la Syrie, depuis Toulon. Jeudi, les Etats-Unis ont annoncé le déploiement d'un cinquième destroyer face aux côtes syriennes, équipé de missiles de croisière.

Des mouvements qui ne présagent en rien d'une frappe à venir, selon Pascal Le Pautremat, qui rappelle que l'acteur militaire est aux ordres du politique. "Les navires servent aussi à faire de la guerre électronique, notamment de l'interception de communication. Ils aident, par exemple, à mieux discerner les communications discrètes et secrètes entre hauts dignitaires du régime, voire même à entamer des négociations avec certains chefs militaires de ce même régime".

Adrienne Sigel