Syrie: le chef de la diplomatie française visite la prison de Saydnaya, "l'enfer concentrationnaire" d'Assad

Les chefs de la diplomatie française et allemande ont visité ce vendredi 3 janvier la prison de Saydnaya, symbole de la répression de masse du pouvoir de Bachar al-Assad, lors de la première visite à ce niveau à Damas de responsables des grandes puissances occidentales.
Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, dont la visite intervient sous mandat de l'Union européenne, devaient ensuite rencontrer le nouveau dirigeant du pays, Ahmad al-Chareh, qui a chassé du pouvoir Bachar al-Assad le 8 décembre avec son groupe armé HTS. Auprès des nouvelles autorités islamistes, ils veulent insister sur la nécessité d'une transition pacifique et inclusive en Syrie.
Visite des geôles
Accompagnés par des membres des Casques blancs, des secouristes syriens, les deux ministres ont visité les cellules et les geôles souterraines où les conditions de détention étaient inhumaines et où de nombreux détenus sont morts sous la torture.
Selon l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP), plus de 4.000 détenus y ont été libérés le jour de la chute de Damas aux mains des rebelles.

Lors d'un point presse après la visite, Jean-Noël Barrot a dit avoir été frappé par la "barbarie" qui avait cours dans cette prison, qualifiée d'"enfer concentrationnaire".
"Il n'y a pas de redressement moral de la Syrie sans que justice soit rendue", a affirmé le ministre, en proposant aux autorités de transition "l'expertise technique de la France" pour "contribuer à lutte contre l'impunité".
"La lutte contre l’impunité a été une priorité constante de la France. Elle a contribué à ce que César, pseudonyme du photographe syrien qui a documenté les crimes commis par les geôliers syriens, puisse rendre public son travail", a ajouté une source diplomatique à BFMTV.
"La France se mobilisera pour faire toute la lumière sur les crimes qui ont été commis. Elle soutient pleinement le travail mené par la Commission d’enquête internationale sur la Syrie et du Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII) des Nations unies, ainsi que celui de l’Institution indépendante pour les personnes disparues", poursuit cette même source.
Des "attentes claires"
"Ensemble, la France et l'Allemagne se tiennent aux côtés du peuple syrien, dans toute sa diversité", a écrit sur X le ministre français. Les deux pays veulent "favoriser une transition pacifique et exigeante au service des Syriens et pour la stabilité régionale", a-t-il ajouté.
"Mon voyage d'aujourd'hui, avec mon homologue français et au nom de l'UE, est un signal clair adressé aux Syriens: un nouveau départ politique entre l'Europe et la Syrie, entre l'Allemagne et la Syrie est possible", a dit Annalena Baerbock. "C'est avec cette main tendue, mais aussi avec des attentes claires à l'égard des nouveaux dirigeants, que nous nous rendons aujourd'hui à Damas", a-t-elle ajouté.
"Nous voulons les soutenir dans ce domaine: dans un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, dans la réconciliation de la société, dans la reconstruction", a encore dit la ministre, poursuivant que "nous continuerons à juger HTS sur ses actes", "en dépit de notre scepticisme".
Rencontre avec les Kurdes et les minorités chrétiennes
Face à la presse, Jean-Noël Barrot a tenu à rappeler les priorités de l'UE en Syrie. Il a ainsi estimé que "les armes doivent se taire dans le nord du pays", où des rebelles syriens soutenus par la Turquie affrontent les forces kurdes.
"Une solution politique doit être trouvée avec les alliés de la France que sont les Kurdes", a déclaré le ministre, appelant à un "cessez-le-feu durable".
En amont de son déplacement en Syrie, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères s'était entretenu jeudi 2 janvier avec le général Mazloum, commandant kurde des Forces démocratiques syriennes.
La France appelle aussi les nouvelles autorités à respecter et protéger les minorités, notamment religieuses. Le ministre Jean-Noël Barrot s’est ainsi entretenu avec les représentants de la communauté chrétienne, inquiète de l'arrivée des islamistes au pouvoir. "La France est attachée à une Syrie plurielle dans laquelle les droits de chacun sont préservés dans le cadre d'une citoyenneté commune", a souligné une source diplomatique.
Jean-Noël Barrot a enfin insisté sur la nécessité d'une "Syrie souveraine et sûre", ce qui passe par la "lutte contre le terrorisme islamiste" et la "destruction des stocks d'armes chimiques".
Vers des élections d'ici quatre ans?
Face au défi d'unifier le pays, Ahmad al-Chareh s'est engagé à dissoudre les factions armées, notamment le groupe HTS. Il a annoncé son intention de convoquer un dialogue national, sans en préciser la date ni qui y serait convié, et indiqué que l'organisation d'élections pourrait prendre quatre ans.
Ahmad al-Chareh réclame une levée des sanctions internationales imposées à Bachar al-Assad après la répression dans le sang d'un soulèvement populaire en 2011, qui a déclenché une guerre ayant fait plus d'un demi-million de morts, provoqué l'exil de millions d'habitants et morcelé le pays.
Son groupe, HTS, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda, affirme avoir rompu avec le jihadisme mais reste classé "terroriste" par plusieurs capitales occidentales, notamment Washington.
Des dirigeants de nombreux pays arabes ou occidentaux se précipitent à Damas depuis la chute de Bachar al-Assad, rompant l'isolement imposé à la Syrie depuis la violente répression du soulèvement populaire en 2011.
Le nouveau pouvoir a effectué un clair basculement de la politique de la Syrie, dont les principaux alliés étaient la Russie et l'Iran, se rapprochant notamment de la Turquie et du Qatar et esquissant des ouvertures envers l'Occident.