Conflit Israël-Iran: nucléaire iranien, Téhéran affaibli... Pourquoi l'État hébreu a-t-il décidé de faire des "frappes préventives"?

Un pompier devant des immeubles détruits après des frappes israéliennes à Téhéran, en Iran, le 13 juin 2025 - MEGHDAD MADADI / TASNIM NEWS / AFP
Israël a annoncé ce vendredi 13 juin avoir mené des frappes dans la nuit contre des sites militaires et nucléaires en Iran. Téhéran a réagi et a commencé à lancer des drones en réponse à cette opération nommée "Lion dressé". Les pays du Golfe craignent de leur côté une escalade des tensions dans la région. Si des attaques israéliennes avaient déjà été menées en 2024, les frappes laissent craindre cette fois un embrasement plus important des tensions au Moyen-Orient.
Le chef d'état-major israélien parle ce vendredi d'une campagne militaire "historique" et "sans précédent" lancée contre l'Iran.
"Il s'agit d'un moment décisif dans l'histoire de l'État d'Israël et dans l'histoire du peuple juif", a également déclaré le ministre israélien de la Défense Israël Katz dans un communiqué.
Des cibles militaires et nucléaires visées
L'attaque lancée par Israël visait une centaine de cibles. Le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, en dégage "trois types" différents. "D'abord, les sites nucléaires où l'uranium est enrichi (...), les sites militaires associés au programme nucléaire et enfin, soit des personnalités militaires, comme le chef des Gardiens de la Révolution, soit des scientifiques directement liés au programme", développe le général.
"Nos pilotes ont attaqué et continuent d'attaquer des cibles militaires et des cibles liées au programme nucléaire dans diverses régions d'Iran", a confirmé le porte-parole de l'armée, le général de brigade Effie Defrin, dans un message télévisé, revendiquant clairement ces cibles.
Parmi les figures tuées, on recense ainsi plusieurs hauts gradés iraniens, dont le chef des Gardiens de la Révolution islamique, le général Hossein Salami, et au moins six scientifiques du programme nucléaire iranien.
Concernant les cibles nucléaires, de nombreux sites ont été visés, répartis à travers l'Iran, dont l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz, située dans le centre du pays.
Israël parle d'une "frappe préventive" contre l'Iran
Israël revendique cette attaque en affirmant qu'il s'agit d'une "frappe préventive" contre l'Iran, via son ministre de la Défense. "Israël a lancé (...) une opération militaire ciblée visant à repousser la menace iranienne pour la survie même d'Israël", soutient de son côté le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Cette "menace" évoquée par Israël fait référence au programme nucléaire mené par l'Iran. Concrètement, Israël dit redouter que l'Iran soit bientôt en mesure de posséder la bombe atomique et a attaqué Téhéran pour l'empêcher de mener à bien son objectif.
Une menace réaliste? Si le pays est signataire du traité de non-prolifération nucléaire, le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) indique bien que Téhéran disposait mi-mai d'un stock total d'uranium enrichi de 9247,6 kg, soit 45 fois la limite autorisée. Et jeudi, l'AIEA a adopté une résolution condamnant Téhéran pour "non-respect" de ses obligations en matière nucléaire.
"Le dernier rapport de l'AIEA était accablant pour les Iraniens en termes de manque de transparence et d'accélération du programme", estime également, le chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du Moyen-Orient, David Rigoulet-Roze, à BFMTV.
Pas de quoi pour autant justifier une telle attaque au regard du droit international. "On n'a pas le droit d'attaquer un autre pays, même de manière préventive. Il y a des victimes civiles", rappelle à BFMTV Thierry Coville, chercheur à l'Iris, spécialiste de l'Iran.
Des pourparlers sur le nucléaire iranien en cours
Les frappes israéliennes surviennent alors que des pourparlers sont actuellement en cours entre Iran et États-Unis et qu'un sixième cycle de négociations doit se tenir dimanche 15 juin avec pour objectif d'encadrer le programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions imposées à l'Iran. Washington exige que l'Iran y renonce totalement, ce que Téhéran refuse, y voyant un droit "non-négociable".
"J'ai donné (à l'Iran) un ultimatum de 60 jours et aujourd'hui est le 61e jour", a par ailleurs indiqué ce vendredi Donald Trump à CNN, lors d'un appel téléphonique, ce qui pourrait aussi expliquer la date de ces frappes.
Le président des États-Unis a ensuite affirmé dans un message publié sur son réseau Truth Social avoir donné à l'Iran "opportunité après opportunité de conclure un accord".
"Je leur ai dit, dans les termes les plus forts: 'Faites-le'. Mais peu importe à quel point ils ont essayé, peu importe à quel point ils ont été proches, ils ne sont tout simplement pas parvenus à le faire", a déploré le locataire de la Maison Blanche.
Une attaque menée sur un Iran affaibli
Le choix par Israël d'attaquer maintenant survient également dans un contexte où il est plus aisé pour l'État hébreu d'attaquer Téhéran, alors qu'Israël avait déjà frappé ce même pays en avril, puis en octobre 2024, atteignant déjà des installations militaires.
"Il est clair que l'Iran est largement affaibli depuis un certain nombre de mois et selon un processus très méthodique de la part d'Israël", indique Sébastien Boussois, docteur en science politique et spécialiste du Moyen-Orient, chercheur associé à l'ULB (Belgique) et l'UQAM (Canada), à BFMTV, ce qui offrait une opportunité pour Israël d'attaquer.
Cette fois, en frappant directement des hauts gradés, "le message, c'est de dire à tout le monde que personne n'est à l'abri, pas même le guide" suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, dont un haut conseiller a été blessé, selon des médias d’État iraniens, avance Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), à l'AFP.
Des frappes qui étaient redoutées
Une attaque israélienne sur le sol iranien était redoutée à court terme, alors que les États-Unis avaient annoncé jeudi réduire leur personnel diplomatique dans la région de façon préventive et que Donald Trump évoquait le risque d'un "conflit massif" au Moyen-Orient.
"Ça fait des mois maintenant que les Israéliens se préparent, que les Américains amènent leurs bombardiers dans la région, donc c'est quelque chose de tout à fait attendu", soutient la sociologue et politiste spécialiste de l’Iran, Mahnaz Shirali, à BFMTV.
Pour cette dernière, les attaques israéliennes sont également menées en lien avec l'attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas sur son sol. "Ça fait très longtemps, depuis le 7-Octobre, qu'on savait que les Israéliens prennent la République islamique pour responsable des événements parce qu'ils savaient très bien que le Hamas n'aurait jamais pu faire ce qu'il a fait sans avoir le soutien d'un autre pays", estime la chercheuse.
Une "réponse d'ampleur" de l'Iran?
Après ces frappes, l'Iran a clairement dénoncé ce qu'il estime être une "déclaration de guerre" et a commencé à riposter en envoyant une centaine de drones en direction du territoire israélien.
"Il semble s'agir d'une campagne 'totale', dont les conséquences seront profondes pour l'avenir de l'Iran et la stabilité de la région. Ce n'est que le début", prévient Danny Citrinowicz, de l'Institut national des études de sécurité de Tel-Aviv (INSS), auprès de l'AFP.
"Il y aura une réponse d'ampleur", abonde David Rigoulet-Roze, auprès de BFMTV, l'attaque étant "perçue comme une humiliation" par Téhéran.
L'Iran dispose-t-il pour autant des moyens de le faire? "L'Iran n'est pas en situation de se confronter à des armées conventionnelles telles qu'on les connaît aujourd'hui, tout simplement parce qu'il y a un déficit de matériel, à la fois en terme aérien, de pièces détachées et même d'armée terrestre", juge le chercheur, même si "en revanche, l'armée a compensé cette faiblesse par le développement spectaculaire de la filière balistique".
"La question qui va être posée c'est: est-ce que l'Iran va franchir le Rubicon en sortant du traité de non propagation comme il l'a menacé et en devenant une puissance dotée (du nucléaire)? Du point de vue des Iraniens, il n'y aurait pas d'autre solution pour sanctuariser le pays", note David Rigoulet-Roze.
Localement, les voisins de l'Iran et d'Israël se montrent en tout cas inquiets. Plusieurs riches pays pétroliers du Golfe ont condamné ce vendredi les attaques israéliennes, craignant une escalade pouvant menacer leurs intérêts financiers. Le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a notamment appelé son homologue iranien, plaidant pour "la résolution des conflits par le dialogue".