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Iran

Conditions insalubres, isolement, "pressions morales": l'enfer du quotidien des prisonniers politiques en Iran

Une photo obtenue par l'agence de presse iranienne Mizan le 16 octobre 2022 montre des lits superposés vides à l'intérieur de la tristement célèbre prison d'Evin, au nord-ouest de la capitale iranienne Téhéran. (Photo d'illustration)

Une photo obtenue par l'agence de presse iranienne Mizan le 16 octobre 2022 montre des lits superposés vides à l'intérieur de la tristement célèbre prison d'Evin, au nord-ouest de la capitale iranienne Téhéran. (Photo d'illustration) - KOOSHA MAHSHID FALAHI / MIZAN / AFP

Avant Cécile Kohler et Jacques Paris, d'autres Français ont été emprisonnés en Iran, notamment dans la section 209 de la prison d'Evin, consacrée aux prisonniers politiques et sous contrôle des services de renseignements. Insalubrité, pressions psychologiques, faim... Des conditions s'apparentant à de la "torture", comme l'a dénoncé le Quai d'Orsay.

Une "prison dans la prison". À Téhéran, la prison d'Evin symbolise le régime de répression mené par la république islamique. C'est là où sont enfermés les prisonniers politiques, les opposants et les détenus étrangers ou binationaux, qualifiés d'"otages d'État" par les chancelleries occidentales. Les prisonniers politiques et étrangers sont souvent enfermés dans la célèbre section 209, à la discrétion des services de renseignements.

C'était le cas de Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus en Iran depuis plus de trois ans, jusqu'à la récente guerre des douze jours qui a opposé Téhéran et Jérusalem. Des frappes israéliennes ont visé l'établissement pénitentiaire, obligeant l'Iran à déplacer certains détenus, dont les deux Français.

Cellule de 1,80 sur 1 mètre, lumière en permanence...

Arrêtés en mai 2022 au dernier jour d'un voyage touristique, Cécile Kohler et Jacques Paris ont récemment été inculpés d'"espionnage pour le Mossad", le service de renseignement extérieur israélien, de "complot pour renverser le régime" et de "corruption sur Terre". Chacun de ces chefs d'inculpation peut être passible de peine de mort.

Noémie Kohler, la soeur de Cécile, a maintes fois décrit le calvaire subi par cette dernière: une cellule de 1,80 sur 1 mètre, lumière allumée en permanence, pas de livre, une ou deux sorties hebdomadaires dans une petite cour, des conditions insalubres... Sans compter la pression psychologique effectuée sur les prisonniers lors des interrogatoires, ou sous étroite surveillance lorsqu'ils peuvent passer de très rares appels à leur famille.

Des conditions qui s'apparentent à de "la torture", a plusieurs fois répété Paris, qui a porté plainte contre l'Iran devant la Cour internationale de justice.

"On me disait: 'Tu peux rester ici des années'"

Ces conditions de détention, hors de tout cadre démocratique, ont été relatées par d'autres Français qui ont également connu la redoutée section 209. Clotilde Reiss, 24 ans à l'époque, avait été arrêtée le 1er juillet 2009 pour s'être rendue à deux reprises aux grandes manifestations de l'opposition après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad.

Emprisonnée 47 jours dans la section 209, elle s'était confiée après sa libération aux médias français. "La cellule où j'ai passé mes quarante-sept jours est une petite pièce de 8 m² avec juste un robinet et une moquette - donc c'était très sale -, où chacune des quatre détenues avait deux couvertures et une brosse à dents. On dormait par terre. Une seule fenêtre en hauteur de manière à ce que la lumière puisse entrer mais qu'on ne puisse pas voir l'extérieur", avait-elle relaté, décrivant "des pressions morales, un chantage affectif" lors des interrogatoires.

"On me disait: 'Tu peux rester ici des années'. Je répondais aux questions le plus brièvement possible et je ne leur demandais jamais quand j'allais sortir. Car toute question de ce genre, c'est ouvrir la porte à des tortures psychologiques", avait-elle encore déclaré.

La section 209, réservée aux prisonniers politiques

Entre juin 2019 et mars 2020, Roland Marchal a été détenu dans la section 209 pour "espionnage". Arrivé les yeux bandés dans le centre pénitentiaire, le chercheur n'en sortait "que pour aller voir le médecin", comme il l'a relaté à l'Agence France-Presse (AFP).

Louis Arnaud, autre Français détenu entre septembre 2022 et juin 2024 et qui a passé six mois au sein de la section 209, décrit à l'AFP une population qui fluctue, "au moins une quarantaine de prisonniers en permanence, mais ce nombre peut tripler".

La section 209 se trouve au sein de la "prison publique" où sont rassemblés les prisonniers politiques et prisonniers condamnés pour délinquance financière, et qui rassemble quelque 70 prisonniers dans le quartier masculin et le même nombre dans le quartier des femmes, selon Taghi Rahmani, l'époux de la prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, qui y a été incarcérée de longues années. Taghi Rahmani, qui vit en exil en France, a lui-même connu cette prison entre 1986 et 1994, ainsi qu'entre 2010 et 2011, avant de fuir l'Iran.

"J'ai déjà été enfermée pendant 64 jours d'affilée dans ces conditions"

Dans les colonnes du Parisien, Narges Mohammadi, en liberté provisoire depuis plusieurs mois pour raisons médicales, décrit des prisonniers "du renseignement" qui sont "placés en cellule d'isolement". "Là, on vous interdit de sortir à l'air libre. Aller aux sanitaires ne se fait que sur autorisation spécifique du gardien, trois fois par jour, à une heure précise. Les prisonniers ne disposent d'aucune affaire personnelle. Ils sont juste assis dans une petite pièce, au mieux sur une moquette, sous la menace constante du service de sécurité. J'ai déjà été enfermée pendant 64 jours d'affilée dans ces conditions", explique la prix Nobel.

Plus de dix jours après le bombardement de la prison d'Evin, le sort de Cécile Kohler et Jacques Paris reste incertain, et leur nouveau lieu de détention inconnu. Les seules informations dont disposent leurs proches sont que la Française a été transférée à la hâte avec d'autres prisonniers, sans pouvoir emmener d'affaires personnelles, à la prison de Qarchak, où elle est restée 24 heures. "Dans cette prison, j'ai fait une crise cardiaque au bout de 24 jours d'isolement", se souvient Narges Mohammadi.

Quant à Jacques Paris, il est "tout seul dans une cellule". "Il n'a pas de meubles. Donc il continue à dormir à même le sol", a expliqué Noémie Kohler. D'après Narges Mohammadi, il aurait pu être transféré dans la grande prison de Téhéran où "l'hygiène, l'accès à la nourriture et aux soins sont très, très limités".

Fanny Rocher