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Irak: "Obama souhaite à tout prix éviter l'intervention militaire"

Barack Obama, le 5 juin 2014.

Barack Obama, le 5 juin 2014. - -

Alors que les islamistes de l'EIIL ont pris Mossoul et sont aux portes de Bagdad, les Etats-Unis vont-ils se retrouver forcés à intervenir dans un pays qu'ils ont quitté en 2011?

En quelques jours la semaine passée, les jihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) se sont emparés de plusieurs villes dont Mossoul, la deuxième d'Irak, et sont désormais aux portes de Bagdad.

Alors que le dernier soldat américain a quitté le pays en décembre 2011, les Etats-Unis vont-ils devoir intervenir de nouveau en Irak pour endiguer leur progression?

BFMTV.com fait le point avec Alexandra de Hoop Scheffer, directrice à Paris du think tank américain German Marshall Fund of the United States, spécialiste de la politique étrangère américaine, et Karim Pakzad, chercheur associé à l'Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS), spécialiste de l'Irak.

L'avancée des jihadistes de l'EIIL signe-t-elle l'échec de la stratégie américaine en Irak?

"Absolument", pour Karim Pakzad. "Les Etats-Unis ont réussi à renverser le régime de Saddam Hussein mais n'ont pas réussi à mettre en place un régime stable. Ces jihadistes sont le produit de l'invasion américaine en 2003, ils n'existaient pas auparavant en Irak", explique-t-il.

"L’intervention américaine a déstabilisé l’Irak et la région, et importé le terrorisme jihadiste qui se nourrit depuis ces derniers mois de la régionalisation du conflit et du terrorisme venant de Syrie", analyse également Alexandra de Hoop Scheffer. L'avancée des jihadistes marque aussi "l’échec américain à construire une armée irakienne capable de défendre son territoire", alors que "plus de 25 milliards de dollars ont été versés par les Etats-Unis pour reconstruire l’armée irakienne", souligne-t-elle.

Mais pour Alexandra de Hoop Scheffer, l'avancée des jihadistes de l'EIIL est aussi un "échec cinglant" pour le renseignement américain. "Avec le départ des troupes américaines fin 2011, Washington ne disposait plus des instruments de renseignement nécessaires pour anticiper ce type d’attaque en Irak", note-t-elle.
l’impuissance de l’armée irakienne face aux menaces terroristes, signe aussi l’échec américain à construire une armée irakienne capable de défendre son territoire (plus de 25 milliards de dollars ont été versés par les Etats-Unis pour reconstruire l’armée irakienne).

Barack Obama a dit que les Etats-Unis étudiaient "toutes les options" face à l'avancée fulgurante des jihadistes en Irak. Les Etats-Unis peuvent-ils à nouveau intervenir sur place?

Une intervention militaire comme celle de 2003 semble exclue. "En langage diplomatique, 'étudier toutes les options', ça ne veut rien dire. Mais quelle que soit l’évolution de la situation, je ne pense pas qu’ils envoient de troupes au sol", avance Karim Pakzad. "Barack Obama souhaite à tout prix éviter l’intervention militaire directe, qui consisterait à déployer des forces en Irak", confirme Alexandra de Hoop Scheffer, car une telle intervention "déstabiliserait encore plus la situation et serait instrumentalisee par les extremistes".

Dans ce contexte, les Etats-Unis pourraient cependant, selon elle, avoir recours des modes d'intervention "plus discrets et indirects": "formation des forces irakiennes au contre-terrorisme, déploiement de forces spéciales, recours aux frappes aériennes ciblées", ou encore "recours aux drones", comme l'a évoqué le secrétaire d'Etat américain John Kerry. Karim Pakzad va plus loin: "si la situation s'aggrave et l'avancée vers Bagdad se poursuit, ce sont les Iraniens qui pourraient intervenir". Les Etats-Unis ne tiendraient pas le premier rôle mais pourraient "collaborer" , via "des bombardements aériens, des échanges d'informations…".

Sous quelle forme pourrait intervenir l'Iran, pays voisin de l'Irak?

"L’Iran vient d'envoyer des conseillers militaires auprès du gouvernement irakien", indique Karim Pakzad. "Même s'il a exclu d'envoyer des troupes, il est évident que le régime iranien ne laissera pas tomber Bagdad ou s'installer un régime proche d'Al Qaida. L’Iran fera tout pour empêcher ça, y compris envoyer les fameux gardes prétoriens iraniens, qui d'après certaines informations, sont déjà présents en Irak", assure-t-il.

On peut donc envisager une coopération entre l'Iran et les Etats-Unis, malgré une longue période d'inimitié ?

Oui. Le président iranien Hassan Rohani a déclaré samedi que si les Etats-Unis décidaient d’intervenir contre les groupes terroristes, l'Iran pourrait coopérer. De leur côté, les Etats-Unis ont fait savoir ce lundi qu'ils "pourraient" entamer des discussions sur ce sujet en marge des négociations sur le nucléaire qui viennent de reprendre à Vienne.

Il s'agirait d'une "cooperation de circonstances", pour Alexandra de Hoop Scheffer. "Washington sait se montrer très pragmatique, lorsqu’il s’agit de trouver des solutions à une crise dans laquelle ils n'ont pas envie de s'impliquer directement", décrypte-t-elle. D'autant que "les Etats-Unis ont aussi besoin de l'Iran sur le dossier syrien, qui est étroitement lié au dossier irakien. La stabilisation de l'Irak passe par la stabilisation de la Syrie, et la stabilisation de la Syrie requiert un arrangement régional".

Les deux pays ont déjà coopéré dans le passé, rappelle d'ailleurs Karim Pakzad: "Même si ce n'est pas public, l'Iran et les Etats-Unis ont travaillé ensemble, aussi bien sur l'Afghanistan que sur l'Irak au moment de l'intervention américaine. L'invasion de l'Irak a quand même débarrassé l'Iran de son principal ennemi, à savoir Saddam Hussein".

L'ONU va-t-elle se saisir de la question irakienne ?

"L’ONU n’est pas adaptée pour agir dans ce type de situations très dangereuses et volatiles", estime Alexandra de Hoop Scheffer. Une action au niveau des Nations Unies n'apparaît pas non plus probable à Karim Pakzad : "L’ONU va davantage chercher à trouver une solution politique en Syrie. Notamment parce que c’est à partir de là que l’EIIL est parti. Le danger, maintenant, c'est de voir apparaître un Etat de type Jihadistan qui serait encore plus radical qu'Al Qaida."

Violette Robinet