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Drones russes en Pologne: Vladimir Poutine est-il en train de tester les limites de l'Otan?

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L'incursion de drones russes en Pologne constitue un test pour l'Otan sur sa préparation défensive et la fiabilité de ses garanties de sécurité. Mais c'est aussi un défi lancé à Donald Trump, patron officieux de l'alliance atlantique.

L'Otan au pied du mur face à la menace russe. En marge d'une nouvelle salve massive de plus de 450 drones et missiles lancée contre l'Ukraine tôt ce mercredi 10 septembre, 19 drones russes ont violé l'espace aérien de la Pologne, pays membre de l'alliance Atlantique.

Trois engins ont été abattus, notamment avec le concours d'avions de chasse furtifs F-35 néerlandais. L'un d'eux s'est écrasé contre une maison habitée du village de Wyryki-Wola, près des frontières ukrainiennes et bélarusses, sans faire de victime.

Selon Varsovie, il ne fait "aucun doute" que l'intrusion de ces drones "n'était pas un fait accidentel". La cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas, a elle aussi qualifié la violation de l'espace aérien polonais d'"intentionnelle".

Un épisode "sans précédent"

"Les intrusions de drones ennemis ont été multiples depuis 2022 en Pologne, en Roumanie, en Lituanie et même jusqu'en Croatie", rappelle auprès de l'AFP Romain Le Quiniou, le directeur d'Euro Créativ, un cercle de réflexion spécialisé sur l'Europe orientale.

Toutefois, l'intrusion de drones en Pologne "est d'une autre ampleur" que les incidents répertoriés jusqu'ici, note Maud Quessard, directrice du domaine "Europe, Espace Transatlantique, Russie" à l'institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem).

Le commandement militaire polonais a qualifié la violation de l'espace polonais de "sans précédent", affirmant qu'elle constituait "un acte d'agression qui représente une menace réelle pour la sécurité de nos citoyens".

C'est par ailleurs "la première fois que des avions de l'Otan ont affronté des menaces potentielles dans l'espace aérien allié", a souligné un porte-parole du Shape, le quartier général des forces de cette organisation en Europe.

Si elles sont bien volontaires, ces incursions sont à inscrire dans la séquence diplomatico-militaire en cours. L'armée russe accentue ses bombardements meurtriers contre les villes ukrainiennes et s'apprête à débuter son grand exercice militaire Zapad 2025, organisé avec le Bélarus non loin des frontières de l'Alliance atlantique. Côté européen, la "Coalition des volontaires", dont fait partie la Pologne, s'est engagée à déployer des troupes sur le sol ukrainien en cas de cessez-le-feu avec la Russie.

Dans ce contexte, l'incursion peut être vue comme "un test au cas où l'Otan établirait des bases dans l'est de la Pologne pour soutenir une future présence en Ukraine", analyse sur X Mick Ryan, du centre de recherche australien Lowy.

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Un "test" pour les défenses de l'Otan

Pour les dirigeants européens, il s'agit surtout d'un défi lancé à l'Otan, censé défendre un pays membre lorsqu'il est attaqué. Selon le chancelier allemand Friedrich Merz, cet "incident sérieux" montre que Moscou "teste" l'alliance atlantique.

"L'Otan a rapidement et de manière décisive réagi à la situation, démontrant ainsi notre capacité et notre détermination à défendre le territoire allié", s'est félicité sur X le commandant suprême des forces alliées en Europe, le général américain Alexus Grynkewich.

Pourtant, certains spécialistes émettent des doutes sur la capacité de l'Alliance atlantique et de l'Europe à contrer une attaque aérienne russe plus massive. Selon l'ancien commandant de l'armée américaine en Europe, le général Ben Hodges, abattre des drones bon marché avec des armes tirées par des avions de chasse valant des fortunes n'est pas viable sur le long terme.

"L'utilisation de F-35 et de F-22 contre des drones montre que nous ne sommes pas encore prêts", a-t-il réagi sur son compte X.

"Nous, les pays occidentaux, avons un problème de prix par tir. Si nous devons tirer sur des cibles à 10.000 dollars avec des missiles à un million de dollars, un jour nous perdrons", résumait en 2023 l'amiral français Pierre Vandier, devenu depuis commandant suprême pour la transformation des forces de l'Otan (SAC-T).

Concernant la défense contre les missiles, la stratégie européenne promue par Berlin de s'abriter sous un bouclier antimissile "est perdante", estime le chercheur allemand Fabian Hoffman auprès de l'AFP. "La Russie produit environ une fois et demie à deux fois plus de missiles balistiques et de croisière que l'Europe ne produit d'intercepteurs et elle dépasse largement l'Europe en matière de production de drones de longue portée", fait-il valoir.

Un défi lancé à Donald Trump

Au-delà de la capacité militaire des Européens à se défendre face à la Russie, l'incident interroge aussi les gouvernements occidentaux sur la fiabilité des garanties de sécurité fournies aux États membres par l'Alliance.

En visant la Pologne, Vladimir Poutine cherche à "tester notre unité" et "savoir vraiment jusqu'où il peut aller", a ainsi souligné la cheffe de la diplomatie eurpéenne Kaja Kallas.

Ce mercredi matin, Varsovie a demandé à l'Otan d'activer l'Article 4 du traité Atlantique, qui prévoit des consultations entre alliés si "l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité" de l'un des membres est "menacée".

"Pour l'instant, on parle de solidarité entre alliés, de condamnations politiques et de concertations pour mettre en alerte au maximum la défense antiaérienne", décrit la chercheuse Maud Quessard.

Mais l'Otan ira-t-il plus loin pour se prémunir d'un nouvel incident? Difficile de répondre à cette question sans connaître la position des États-Unis, pilier de l'alliance et protecteur historique des Européens. À ce stade, le président américain Donald Trump n'a réagi que par un message énigmatique posté sur son réseau Truth Social: "Qu'est-ce qui se passe avec la Russie qui viole l'espace aérien polonais avec des drones? C'est parti!"

C'est pourtant bien lui que la Russie provoque, estime Maud Quessard: "on parle quand même de la Pologne, son pays préféré dans l'UE (l'administration Trump avait soutenu l'élection du président nationaliste Karol Nawrocki, NDLR). Là, Poutine est en train de le pousser un peu plus dans ses retranchements".

Donald Trump, qui s'était rapproché de son homologue russe pour mettre fin à la guerre, n'a jusqu'ici pris aucune des sanctions qu'il a promises pour répondre à l'entêtement de la Russie à poursuivre son invasion de l'Ukraine malgré ses pourparlers avec Washington. Depuis le sommet en Alaska, qui n'a donné lieu à aucune avancée diplomatique, le président russe profite de l'immobilisme du républicain.

"10.000 soldats américains sont en Pologne, et pourtant la Russie lance dix-neuf drones sur le territoire. De toute évidence, le Kremlin n'est pas impressionné par l'administration américaine et ne craint aucune riposte", juge l'ancien général américain Ben Hodges sur X.

"Vladimir Poutine veut à tout prix éviter cette force de réassurance composée de soldats européens soutenus par Washington. En visant un membre de l'Otan, il veut montrer aux Européens que la garantie américaine n'est pas si solide que ça", renchérit Maud Quessard.

Le manque de fiabilité américain inquiète de longue date les Européens, alors que Donald Trump a lui-même jeté le doute sur l'attitude des États-Unis en cas d'attaque contre l'un des membres de l'alliance atlantique. L'article 5 du traité de l'Otan peut "s'interpréter de plusieurs façons", avait-il lâché à la veille d'un sommet de l'alliance en juin dernier, alors qu'il faisait pression pour que les États membres investissent 5% de leur PIB dans la défense.

François Blanchard