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Russie

Pétrolier intercepté au large de Saint-Nazaire: qu'est-ce que la "flotte fantôme" russe, l'armada de Moscou pour contourner les sanctions?

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Cerné par les sanctions occidentales, la Russie a recours a une "flotte fantôme" pour continuer à faire commerce de son pétrole. Le "Boracay", navire immobilisé au large de Saint-Nazaire, en fait partie.

Il est soupçonné d'être impliqué dans le survol de drones au Danemark. Le pétrolier "Boracay" battant pavillon du Bénin a été contrôlé par les autorités françaises au large de la Bretagne ce mercredi 1er octobre.

Visé par une enquête pour "délits maritimes", le navire appartient à la "flotte fantôme" russe, un ensemble de navires clandestins soupçonnés de permettre à la Russie d'exporter son pétrole malgré les sanctions imposées depuis l'invasion de l'Ukraine.

Ce jeudi, le président Emmanuel Macron a appelé à "augmenter la pression" sur cette armada "pour réduire la capacité de la Russie à financer sa guerre".

· Qu'appelle-t-on une "flotte fantôme"?

Le gouvernement britannique qualifie de "flotte fantôme" les navires engagés dans des opérations illégales dans le but de contourner les sanctions, de se soustraire au respect des réglementations en matière de sécurité ou d'environnement, d'éviter les frais d'assurance ou de se livrer à d'autres activités illégales.

Le mode opératoire de ces navires les rend difficiles à repérer: changement fréquent de pavillons, propriétaires opaques installés dans des paradis fiscaux, transpondeurs (appareil émettant un signal d'identification) souvent éteints...

Ces "flottes de l'ombre" ("shadow fleet") existaient déjà avant la guerre en Ukraine. Elles étaient utilisées notamment par l'Iran et le Venezuela, deux pays sous sanctions pétrolières américaines, ou encore la Corée du Nord.

Depuis le début la guerre en Ukraine en 2022, la flotte fantôme à l'échelle mondiale, "qui transportait principalement des marchandises à destination et en provenance de l'Iran et du Venezuela, a explosé en taille", selon le groupe de réflexion américain Atlantic Council. Ce dernier estime qu'environ 17% de tous les pétroliers font partie de cette flotte qui comprend aussi d'autres types de navires marchands.

· Pourquoi la Russie a-t-elle une "flotte fantôme"?

La Russie est la cible depuis 2022 de sanctions visant la manne liée à la vente de son "or noir", vitale pour financer son invasion de l'Ukraine. Les Européens ont ainsi mis en place un embargo sur l'importation de pétrole russe par la mer, interdisant les tankers russes d'accès aux ports et aux services maritimes européens.

L'UE et le G7 ont aussi acté un plafonnement du prix du brut russe. Le dispositif interdit de fournir les services permettant le transport maritime (fret, assurance...) du pétrole russe au-delà du plafond de 60 dollars le baril, afin de limiter les recettes tirées par Moscou de ses livraisons à des pays comme la Chine ou l'Inde.

Pour contourner ces sanctions, Moscou a dû réduire sa dépendance à l'égard des services maritimes occidentaux et composer sa propre flotte en achetant indirectement des tankers, auxquels elle offre ses propres services d'assurance.

Pendant le mois d'août 2025, "400 navires ont exporté du pétrole brut et des produits pétroliers russes, dont 125 étaient des pétroliers fantômes", selon le Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA), qui a son siège à Helsinki.

D'après Emmanuel Macron, le commerce pétrolier imputé à la "flotte fantôme" représente "plus de 30 milliards d'euros" pour le budget de la Russie, et permet de financer "30 à 40%" de son effort de guerre" contre l'Ukraine.

Au-delà de son utilité commerciale, la flotte fantôme russe est soupçonnée de remplir d'autres missions au service des intérêts du Kremin. "Le soupçon pèse sur l'utilisation de ces pétroliers à des fins militaire ou d'intimidations", souligne Jean de Gliniasty, diplomate français et ancien ambassadeur de France en Russie, dans notre podcast Le titre à la Une.

Tous les soirs dans Le Titre à la Une, découvrez ce qui se cache derrière les gros titres. Zacharie Legros vous raconte une histoire, un récit de vie, avec aussi le témoignage intime de celles et ceux qui font l'actualité.
Intimidation, lancement de drones, pétrole clandestin: que cache la flotte fantôme de la Russie?
16:23

· Comment réagissent les alliés de Kiev?

Les navires accusés de faire partie de la "flotte fantôme" russe font l'objet de sanctions de la part des alliés de l'Ukraine. Avec le 18e train de sanctions adopté en juillet par l'UE, "105 navires supplémentaires" ont été inscrits sur la liste de la "flotte fantôme" russe, portant à 444 le nombre de navires sanctionnés par l'UE.

"Les navires inscrits sur la liste sont soumis à une interdiction d'accès aux ports et à une interdiction relative à la fourniture de services", rappelle la Commission européenne sur son site.

"Depuis que l'UE a commencé à inscrire ces navires sur la liste, les livraisons de pétrole brut russe ont diminué de 76 %", se félicite Bruxelles.

Le Royaume-Uni a pour sa part sanctionné environ 500 de ces bâtiments depuis février 2022. Les États-Unis en ciblent 183.

· Quels sont les risques pour l'environnement?

Les experts mettent régulièrement en garde contre les "énormes risques environnementaux" que font peser les navires vieillissants qui composent les flottes fantômes. Le groupe de réflexion Atlantic Council avait estimé, début 2024, que les navires de plus de 20 ans devraient constituer 11% de la flotte mondiale de pétrole en 2025, contre seulement 3% avant la guerre en Ukraine.

Les vaisseaux fantômes ne disposent pas d'une assurance adéquate, appelée "P&I", pourtant obligatoire pour les navires commerciaux et destinés à couvrir des aléas allant des risques de guerre aux collisions ou aux dommages causés à l'environnement, comme les marées noires.

Quelque 90 à 95% du marché de l'assurance P&I sont entre les mains d'assureurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni, qui appliquent donc les sanctions contre Moscou. "Les autres types d'assurance – comme les schémas alternatifs proposés par les gouvernements russe et iranien – sont très insuffisants", souligne Elisabeth Braw, d'Atlantic Council.

En mer baltique notamment, "le risque de marée noire existe depuis de nombreuses années" mais "la flotte fantôme russe a considérablement accru ce risque", a alerté auprès de l'AFP Mikko Hirvi, un responsable de la Sécurité maritime finlandaise, chargée de répondre aux menaces pesant sur l'environnement marin.

François Blanchard