BFMTV
Russie

Guerre en Ukraine: pourquoi la Biélorussie appuie la Russie dans le conflit

Le président russe Vladimir Poutine accueilli par son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko lors d'un sommet à Minsk, le 10 octobre 2014.

Le président russe Vladimir Poutine accueilli par son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko lors d'un sommet à Minsk, le 10 octobre 2014. - MAXIM MALINOVSKY / AFP

Dans le conflit en cours en Ukraine, la Biélorussie est un allié important de Moscou mais elle subit, du même coup, de fortes sanctions économiques et financières de la communauté internationale, ce qui ne l'empêche pas de continuer à apporter son soutien à son voisin russe.

"Il est très clair désormais que Minsk est une extension du Kremlin", déclarait le 27 février dernier un officiel américain dans le Washington Post, trois jours après le début de l'invasion russe en Ukraine. Depuis, si la Biélorussie n'a pas envoyé ses propres troupes de l'autre côté de la frontière, elle laisse les soldats russes passer par son territoire pour entrer en Ukraine, et est clairement devenue, dans cette guerre, un avant-poste du Kremlin.

De par cette aide apportée à Vladimir Poutine avant et pendant l'attaque sur l'Ukraine, la Biélorussie a subi elle aussi un torrent de sanctions économiques et financières. Plusieurs entreprises ont par exemple fermé leurs portes dans le pays, des banques biélorusses ont été exclues du système SWIFT et plusieurs restrictions d'exportation ont été mises en place.

Malgré cela, le chef d'État Alexandre Loukachenko, qui a mis en place un régime autoritaire en Biélorussie, continue de soutenir son voisin russe.

Aujourd'hui, la langue "biélorusse n'est pratiquement plus utilisée"

La Biélorussie, aussi surnommée "la dernière dictature d'Europe", et la Russie entretiennent des liens très forts tant sur le plan culturel qu'économique, explique à BFMTV.com Yauheni Kryzhanouski, docteur en science politique et chercheur associé au CERCEC (Centre d'études des Mondes Russe, Caucasien & Centre-Européen).

"La russification de la Biélorussie a commencé dès la fin du XIXème siècle, alors que le territoire est intégré dans l'empire russe", explique-t-il, "il y a eu une longue période pendant laquelle la langue biélorusse était interdite au profit du russe, la culture biélorusse était réprimée".

Cette russification a continué sous l'époque soviétique, et aujourd'hui "la culture biélorusse est très dominée par la russe", continue le chercheur, "on parle majoritairement russe dans les villes, on ne parle biélorusse que dans certains milieux ou dans l'opposition". Actuellement, "le biélorusse n'est pratiquement plus utilisé", abonde auprès de BFMTV.com Samantha de Bendern, chercheuse dans le département Russie-Eurasie à la Royal Institute of International Affairs.

Le lien entre les deux pays se traduit aussi par une dépendance économique. La Biélorussie ne possède par exemple pas de gisements de pétrole mais des structures de raffinement, et c'est princpalement la Russie qui fournit à son voisin les matières premières, à moindres coûts, souligne Yauheni Kryzhanouski. La Biélorussie revend ensuite les produits transformés.

"Après la chute de l'URSS, le président Alexandre Loukachenko [élu depuis 1994, ndlr] a choisi de maintenir cette dépendance, pour éviter le crash économique", explique le chercheur.

L'autonomie de la Biélorussie "limitée, encadrée"

Les deux pays sont si liés qu'un projet d'union entre la Russie et la Biélorussie est sur la table depuis 1997, mais n'a jamais vu le jour. Selon Yauheni Kryzhanouski, c'est un accord dans lequel "la Russie est prédominante. C'est une institutionnalisation de la dépendance de la Biélorussie à la Russie". Une union douanière existe toutefois entre les deux pays, ainsi que des accords économiques, et les citoyens bénéficient de la liberté de circulation entre les deux territoires. Mais au final pour le moment, "chacun garde son indépendance", note Samantha de Bendern.

Malgré ces liens forts, Alexandre Loukachenko est resté pendant plusieurs années "à cheval entre l'Europe et la Russie", explique la chercheuse, même si le pays était davantage tourné vers Moscou. "Il a plusieurs fois joué sur les deux tableaux, se rapprochant parfois de l'Union Européenne pour montrer qu'il pouvait se distancier" du Kremlin, abonde Yauheni Kryzhanouski, qui rappelle que plusieurs désaccords ont opposé les deux pays ces dernières années.

Alexandre Loukachenko a ainsi, à plusieurs reprises, exprimé son indépendance par certains gestes. Il avait par exemple condamné l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et n'a reconnu ce territoire comme russe qu'en 2021. À l'international, "la plupart du temps, la Biélorussie essaye de se présenter comme neutre, de jouer les médiateurs", explique-t-il, citant par exemple les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie, qui se déroulent à sa frontière.

Les deux chercheurs notent que malgré la forte pression du géant russe, la Biélorussie conserve une certaine indépendance de mouvement. Yauheni Kryzhanouski parle de cadre "néocolonial": "il y a une certaine autonomie de la Biélorussie, ce n'est pas comme si la Russie gouvernait la Biélorussie, mais cette autonomie est limitée, encadrée".

"Loukachenko dépend de Poutine pour rester au pouvoir"

Le changement de ton vis-à-vis de l'Europe occidentale a eu lieu en 2020. Après 26 ans au pouvoir, le chef d'État sortant Alexandre Loukachenko se présente pour un 6e mandat. Plusieurs de ses opposants sont arrêtés et emprisonnés et Alexandre Loukachenko l'emporte avec 80% des voix. Ces résultats sont "considérés comme frauduleux par de nombreux observateurs électoraux indépendants", écrit Amnesty International, et des manifestations importantes suivent pour dénoncer cette élection, qui sont violemment réprimées par le pouvoir.

Le régime retient actuellement plus de 1000 prisonniers politiques selon le gouvernement américain. "C'est un régime autoritaire avec un dictateur, il n'y a pas d'opposition dans le pays", souligne Samantha de Bendern.

"Il y a eu alors des sanctions de l'Union Européenne contre la Biélorussie", rappelle la chercheuse, "et cela a entraîné un rapprochement avec la Russie, sa seule voie de survie", car le pays s'isole alors de l'Europe occidentale. "Loukachenko dépend de Poutine pour rester au pouvoir", explique-t-elle.

Vladimir Poutine va également aider son homologue biélorusse à réprimer les importantes manifestations. "Le régime de Loukachenko était dans de sales draps, la Russie l'en a sorti", résume Yauheni Kryzhanouski. "Cela explique en partie la docilité actuelle face à la Russie".

"La Russie veut contrôler tous les pays à ses frontières"

Du côté du Kremlin, la Biélorussie représente "un allié, et la Russie est en manque d'alliés" à l'international et surtout en Europe, notamment actuellement, avance Yauheni Kryzhanouski. "Donc elle peut se vanter d'avoir des partenaires, de ne pas être totalement isolée. La Biélorussie représente également une zone tampon entre la Russie et les pays de l'OTAN".

"La Russie veut surtout contrôler tous les pays qui sont à ses frontières pour ne pas qu'ils tombent dans l'OTAN ou l'UE", abonde Samantha de Bendern.

Dans le conflit en Ukraine, le pouvoir biélorusse pourrait cependant rencontrer une certaine opposition de la population, pour la chercheuse, car les Biélorusses "sont plus proches des Ukrainiens que les Russes, et sont plus informés de la situation". Des Biélorusses ont d'ailleurs manifesté pour protester contre le positionnement du pays dans le conflit, et des volontaires biélorusses se sont même joints aux troupes ukrainiennes pour lutter contre l'armée russe.

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV