Arbres, sol, animaux... Comment se reconstitue une forêt après un incendie?

Des pompiers venus de Serbie luttent contre un incendie près du village d'Avgaria sur l'île d'Eubée, le 10 août 2021 en Grèce - ANGELOS TZORTZINIS © 2019 AFP
Grèce, Algérie, Turquie, Sibérie, Amazonie... Ces dernières semaines, des incendies ont ravagé, et ravagent encore, plusieurs parties du monde. Déjà, à l'automne 2019, des feux en Australie avaient brûlé plusieurs millions d'hectares, tandis que des incendies impressionnants ont traversé la forêt amazonienne en 2019 et 2020.
Sur le moment, c'est le nombre d'hectares brûlés, de morts et d'habitations détruites qui frappent les esprits, la peur du réchauffement climatique ou encore le coût des réparations nécessaires. Mais ces incendies ont également une incidence forte sur le long terme, au niveau de l'environnemental local, ou même de l'atmosphère.
"La forêt a de plus en plus de mal à se reconstruire"
La destruction la plus visible après un incendie, c'est celle de la forêt elle-même, et des arbres calcinés sur une terre noircie. Mais "après un incendie, la forêt se reconstitue", explique à BFMTV.com Eglantine Goux-Cottin, présidente d'ICEF (Ingénieure Conseils en Environnement et Foresterie).
Dans le milieu très sec méditerranéen, la végétation, "a su s'adapter, car elle est habituée aux incendies naturels". Elle cite par exemple le chêne-liège, qui a développé une écorce protectrice contre le feu, et le phénomène de germination pour certaines plantes, qui libèrent leurs graines à haute température.
Mais "les impacts à moyen et long terme dépendent du régime des feux auquel le territoire sinistré est confronté, un régime de feux fréquents et sévères pouvant s’accompagner localement d’une régression biologique", écrit le ministre de l'Ecologie sur une page consacrée aux feux de forêt.
En effet, le problème aujourd'hui est que les feux naturels, plus rares, ne représentent qu'une minorité des incendies, 90% des départs de feu sont d'origine anthropique.
Cela s'ajoute aux sécheresses, dues au réchauffement climatique, qui entraînent des brasiers non seulement plus fréquents, mais aussi plus intenses, car avec moins d'eau, le feu se répand plus facilement. Ce qui fait que "la forêt a de plus en plus de mal à se reconstruire", après un incendie, car elle n'a pas assez de temps pour le faire, explique Eglantine Goux-Cottin.

Une forêt "est reconstituée dans sa structure en 10 à 20 ans"
Une forêt "est reconstituée dans sa structure en 10 à 20 ans", les plantes sont alors de nouveau en croissance, explique l'ingénieure. "Il faut attendre 40 à 50 ans pour qu'elles arrivent à maturité, et 100 ans pour que toutes les interactions entre la flore, la faune et le sol soient reconstituées", explique-t-elle. "Dans une forêt tout est lié, interconnecté".
Elle peut se reconstruire "sur des cycles longs, en centaines d’années et s’il n’y a pas de nouvel incendie", explique à BFMTV.com Jean-Louis Pestour, responsable de la protection des forêts contre les incendies à l’Office national des forêts (ONF). Il ajoute qu'à court terme, "il peut y avoir des substitutions d’espèces". Et "à long-terme, il y a un risque que la forêt méditerranéenne se transforme en maquis ou en garrigue", déclare Eglantine Goux-Cottin.
Quant aux forêts primaires - qui n'ont jamais été exploitées ou défrichées par la main de l'homme - "si elles partent en fumée, il faut attendre 10 siècles en zone tempérée, 7 siècles en zone tropicale" pour qu'elles se reconstituent totalement, explique à BFMTV.com Cécile Leuba, chargée de campagne Forêts à Greenpeace. Sans compter qu'au passage, des espèces végétales importantes peuvent être détruites, alors que la Méditerranée "est ce qu'on appelle un hot spot de biodiversité", rappelle Eglantine Goux-Cottin.
"Des espèces confrontées aux feux sont endémiques"
Les habitants de la forêt se retrouvent également en danger lors des incendies, "seuls les grands mammifères et certains oiseaux arrivent à s’enfuir à l’approche du front de feu", écrit le ministère de l'Écologie, mais ils peuvent tout de même être gravement brûlés.
Dans certains endroits "des espèces confrontées aux feux sont endémiques, c'est à dire qu'elles vivent uniquement dans cette zone du monde", explique Cécile Leuba. Ainsi, si ce territoire brûle, ces animaux perdent leur lieu d'habitation, ce qui peut fortement contribuer à leur disparition ou à la mise en danger de leur espèce.
Ce sujet avait particulièrement été abordé lors des incendies en Australie, qui avaient détruit 80% de l'habitat des koalas, espèce endémique de l'île. Cécile Leuba cite également l'exemple du tigre de Sumatra en Asie du sud-est ou du jaguar au Brésil, rappelant que "ces espèces iconiques ne sont que la partie immergée de l'iceberg. La forêt tropicale amazonienne possède une biodiversité hors du commun, avec des espèces que l'on n'a encore jamais rencontrées".
L'ONG de préservation des espèces sauvages menacées WWF a estimé dans un rapport que 143 millions de mammifères, 2,46 milliards de reptiles, 180 millions d’oiseaux et 51 millions de grenouilles ont été affectés par les feux australiens de 2019 et 2020.
Eglantine Goux-Cottin évoque également la microfaune des sols qui ne résiste pas au feu, ce "qui perturbe la chaîne alimentaire et appauvrit la terre". Quand le feu est très intense et dure longtemps, "il y a une perte des éléments minéraux organiques nécessaires à la fertilisation", explique-t-elle.
Mais comme pour les plantes, là aussi, le milieu peut se reconstituer avec le temps, et la faune réintégrer, petit à petit, son lieu de vie, en fonction de la gravité des dégâts. "Deux ans après l'incendie de la colline du Vaucluse, lièvres, perdrix, sangliers et chevreuils ont regagné les lieux. Pour les petits mammifères et les insectes, leur retour prend un peu plus de temps", explique par exemple l'ONF.
"5% des émissions de CO2 sont liées aux feux de forêts"
"Outre les flammes, qui détruisent et peuvent tuer, les incendies et les gaz dégagent des suies et des gaz toxiques, nocifs pour les humains mais aussi pour les espèces végétales et animales", explique également le ministère de l'Écologie sur une page consacrée aux feux de forêt.
En effet en brûlant, les bois et les végétaux "libèrent des gaz dont certains peuvent être toxiques" explique à BFMTV.com Toussaint Barboni, chercheur au CNRS et maître de conférences sur les feux de forêts à l’Université de Corse. Il cite par exemple le CO2, qui contribue à l'effet de serre. Dans le monde, "5% des émissions de CO2 sont liées aux feux de forêts", souligne-t-il. Mais il y a également le méthane et le protoxyde d'azote, tous deux participant à l'effet de serre. D'autres, comme le benzène, sont connus pour être cancérogènes.
Il évoque aussi les aérosols: la suie et le goudron, sous forme de particules fines, "peuvent être très toxiques, et rentrer dans l'organisme", explique Toussaint Barboni. "Les émanations de fumée de bois peuvent altérer les mécanismes des défenses immunitaires pulmonaires, et entraîner une altération de la fonction pulmonaire des personnes exposées", souligne également le ministère de l'Écologie.
Plus le feu est puissant, chaud, plus toutes ces particules vont monter haut dans l'atmosphère et être transportées loin. Ainsi en 2006, l'Europe a connu un pic d'aérosols après de forts incendies au Canada. D'autre part, avec la pluie, ces particules peuvent retomber et imprégner le sol, ou encore contaminer les cours d'eau.
Difficile de connaître l'incidence réelle de ces feux dans l'atmosphère, bien que lorsqu'ils sont particulièrement importants, ils peuvent "perturber les vents et créer des orages", déclare Toussaint Barboni. Cela n'arrive toutefois qu'avec les "méga-feux", des incendies particulièrement puissants qui touchent plus de 80.000 hectares. L'Europe n'en connaît pas mais plusieurs ont déjà été observés en Australie ou en Sibérie. Ceux-là peuvent même "créer leur propre nuage", qui s'appellent pyrocumulus ou pyrocumulonimbus.
"Un feu reste dévastateur pour une forêt"
Ces forts incendies pourraient devenir de plus en plus fréquents à l'avenir, comme le souligne le dernier rapport du Giec, si le réchauffement climatique continue de s'aggraver. Cela prolongerait un cercle vicieux déjà en place: le changement climatique entraîne des incendies plus intenses, qui créent une pollution de l'air, qui empire le réchauffement climatique.
Le premier objectif est donc "d'éviter les incendies", souligne Jean-Louis Pestour, par exemple en faisant particulièrement attention à son comportement en forêt: ne pas allumer de feu ni de barbecue, ne pas jeter de cigarettes et respecter les interdictions d'accès.
"Post incendie il convient de sécuriser la zone pour éviter des accidents - abattage des arbres dangereux, mise en protection des secteurs avec des risques de ravinement... - et de valoriser les bois brûlés, de laisser le temps à la nature de se reconstituer" et seulement "en dernier ressort de faire quelques reboisements", explique-t-il.
"Que ce soit après une coupe d'arbres ou un incendie, la perte d'un couvert forestier nécessite un suivi", déclare Eglantine Goux-Cottin qui rappelle que quelles que soient les méthodes employées derrière, "un feu reste dévastateur pour une forêt".
