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"Convoi de la liberté": à quoi faut-il s'attendre ce week-end à Paris?

Des participants au "Convoi de la liberté" prennent la route en direction de Paris, le 11 février 2022 à Strasbourg, dans le Bas-Rhin

Des participants au "Convoi de la liberté" prennent la route en direction de Paris, le 11 février 2022 à Strasbourg, dans le Bas-Rhin - PATRICK HERTZOG © 2019 AFP

Malgré l'interdiction de la manifestation, des centaines de véhicules sont en chemin pour la capitale. Mais la copie des images canadiennes a peu de chances de se produire en France.

Inspiré d'un mouvement de protestation canadien, le "convoi de la liberté" pourrait-il faire des émules en France, notamment à Paris, ce weekend? Les premiers organisateurs de ce "convoi de la liberté" version française rêvent de reproduire ce qu'il se passe à Ottawa, paralysée depuis deux semaines sur fond de contestations des mesures sanitaires. Par conséquent, l'objectif initial est de converger vers Paris pour "bloquer" la capitale le weekend des 11, 12 et 13 février. Étape suivante: une "convergence européenne à Bruxelles" le 14 février.

Les premiers convois sont partis dès ce mercredi des villes les plus éloignées de Paris comme Perpignan, Nice ou encore Bayonne. Ont suivi des villes comme Annecy, Brest ou La Rochelle. Enfin, des convois ont pris la route ce vendredi en partance de Mulhouse, Lille ou Nantes. Sur le chemin, des points de ravitaillements ou d'arrêts pour la nuit sont prévus, tous indiqués sur le site convois.fr.

La mobilisation s'organise sur les réseaux sociaux. Le groupe Facebook de l'événement compte plus de 350.000 membres. Reste à savoir si l'engouement sur les plateformes se traduira sur le terrain et, surtout, quelle forme prendra ce mouvement.

Pas de forte mobilisation des routiers

Doit-on s'attendre, comme au Canada, à voir des camions bloquer les principales artères parisiennes? Dans ce pays, la contestation est partie de la quasi-obligation vaccinale imposée aux routiers. C'est là que réside la première différence avec le "convoi de la liberté" canadien. En France, les camionneurs ne sont pas soumis au pass vaccinal et, surtout, ne sont pas propriétaires de leur véhicule. Ainsi, utiliser leur camion pour une telle mobilisation peut leur coûter cher.

"On nous inclut dans un mouvement qui ne nous concerne donc pas. Ils se servent de l’imaginaire de la puissance d’un convoi pour bloquer je-ne-sais-qui ou je-ne-sais-quoi", déplore Christophe Denizot, secrétaire général de la Fédération Sud-Solidaires des transports routiers, qui se désolidarise de ce mouvement, dans Le Monde.

Les routiers sont donc beaucoup plus un symbole et seront largement minoritaires dans ce "convoi de la liberté" français. "Ce sera probablement d'autres personnes venant avec leur véhicule individuel. C'est plus difficile à anticiper pour les services de renseignement", analyse Guillaume Farde, consultant sécurité pour BFMTV.

"Convoi de la liberté" interdit par la préfecture

De plus, la force de frappe des manifestants va être entravée par les forces de l'ordre. Ce jeudi, la préfecture de police de Paris a annoncé l'interdiction de "la manifestation non déclarée, dénommée 'convoi de la liberté'" entre ce vendredi et le lundi 14 février. Elle estime que l'événement "est de nature à troubler l'ordre public" et va "bien au-delà de la simple gêne occasionnée par toute manifestation sur la voie publique" puisque l'intention est d'entraver ou de gêner avec des véhicules la circulation à Paris".

Ainsi, 7200 policiers seront mobilisés dans la capitale ce weekend ainsi que d'importants moyens matériels, à l'instar d'engins pour dégager les axes de circulation et déplacer des véhicules. Lundi matin, un premier convoi d'une trentaine de personnes a été bloqué entre l'Essonne et la Seine-et-Marne alors qu'il cherchait à rallier Paris.

"Ce qui est certain, c'est que nous mettons les moyens de renseignement et d'action si jamais des gens voulaient bloquer la liberté des uns et des autres, surtout un accès à la capitale. Donc les moyens sont importants, la réponse de l'État sera extrêmement ferme si c'est le cas", a mis en garde mardi sur BFMTV Gérald Darmanin.

Un mouvement "loin d'être solidement structuré"

Mais cette interdiction n'a pas poussé les manifestants à faire demi-tour. Sur la messagerie cryptée Telegram, où s'organise notamment les déplacements, certains proposent des "astuces" pour contourner l'arrêté, par exemple en disant aux forces de l'ordre que l'on "se rend au match au Parc des Princes".

Toutefois, les services de renseignements ne s'attendent pas nécessairement à des perturbations trop importantes. Selon une note consultée par BFMTV, ils décrivent un projet de protestation "loin d'être solidement structuré" et pointent des tensions internes au mouvement et des problèmes d'organisation, malgré un fort écho sur les réseaux sociaux. De plus, ils notent que l'absence de soutien des routiers, des syndicats ou de partis politiques pourraient expliquer une mobilisation bien moins importante qu'au Canada.

"Aujourd'hui, nous n'avons pas de renseignements qui nous démontrent que cela s'organise dans des proportions qui seraient importantes", renchérit le ministre de l'Intérieur.

Divergences de stratégies

En effet, sur les réseaux sociaux, deux grands groupes semblent émerger. Le premier entend venir à Paris uniquement dans le but de manifester, à pied, samedi. Ainsi, la capitale n'est qu'un point d'étape comme un autre, puisque le but final est de rallier Bruxelles. C'est le cas de Denis, un des organisateurs du mouvement, parti de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) qui promet "une manifestation pacifique afin de réclamer la fin des mesures sanitaires". Certains même, ont décidé de ne pas se rendre à Paris et de la "contourner". Notons néanmoins que les autorités belges ont elles aussi décidé d'interdire le "convoi de la liberté".

Mais d'autres ont une stratégie différente. Si une partie des manifestants quittera Paris pour Bruxelles, certains comptent bien rester. C'est notamment le cas de "La Meute", chaîne Telegram qui compte plus de 15.000 abonnés et qui prône le "OBT", à savoir "on bloque tout".

"Pas de date de fin. Le but c'est pas de monter à Paris et à 18 heures de rentrer chez soi. On plante. Vous gardez 4 jours de vivre, un bidon d'essence, un d'eau, vous êtes prêts à faire un siège d'au moins 4 jours", lance Rémi Monde, un des leaders de ce mouvement, le 29 janvier lors d'un Facebook live.

Un succès virtuel

Alors à quoi s'attendre pour ce weekend aux abords et dans la capitale? Difficile de l'appréhender. "On n'est pas sur quelques chose de massif (...). En revanche, c'est quelque chose qui fait résonner un sentiment que beaucoup ressentent au-delà de ceux qui se mobilisent là", analyse Jonathan Bouchet-Petersen de Libération sur BFMTV.

En effet, il s'agit, pour l'instant, plutôt d'un succès virtuel. L'importante solidarité affichée sur les réseaux sociaux ne se traduit pas forcément par une réelle volonté de participer à l'événement pour le moment. Sur les différents canaux d'échanges, on note que beaucoup apportent leur soutien mais estiment trop coûteux et trop contraignant de faire un voyage de plusieurs jours jusqu'à Paris, voire Bruxelles. De plus, certains participants annoncent ne faire qu'une partie du trajet, ce qui rend difficile le décompte. Selon des premières estimations, jusqu’à 2500 participants ont été comptabilisés jeudi, "avec plus d’un millier de véhicules".

"On ne sent pas une violence sociale, l'envie de tout casse ou quoique ce soit", poursuit Jonathan Bouchet-Petersen.

Manifestations samedi à Paris

Le premier rendez-vous est fixé à 20h ce vendredi pour "une soirée de partage et de convivialité avec la solidarité citoyenne". Florian Philippot a annoncé un rassemblement de soutien au "convoi de la liberté" à 17h, une initiative déjà critiquée par des anonymes qui refusent toute récupération politique.

Pour la journée de samedi, le flou persiste. Certains de ceux qui ont réussi à atteindre la capitale tenteront peut-être de bloquer la circulation, toutefois, si cela se produit, ce sera loin d'être massif et certainement très vite arrêté par les forces de l'ordre. Une partie du convoi pourrait rejoindre la traditionnelle manifestation du samedi organisée par Florian Philippot qui les a invités à manifester contre le pass vaccinal.

D'autres pourraient également rallier la tout aussi traditionnelle manifestation des gilets jaunes, menée par Jérôme Rodrigues, qui a multiplié les soutiens au convoi. Trois autres manifestations ont été déclarées à Paris ce samedi. Un certain regain de mobilisation à la faveur de l'arrivé du "convoi de la liberté" est donc possible.

Pour Guillaume Farde, si l'objectif de ce mouvement est de s'ériger en symbole de la résistance contre le pass vaccinal et les mesures de rétorsion, il pourrait avoir loupé le coche. "Les services de renseignement considèrent que le momentum, c'était l'été dernier, quand les anti-pass sanitaire s'étaient réunis". Un mouvement qui s'est vite essoufflé.

Salomé Robles