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Réforme du lycée: pourquoi ça coince avec les mathématiques

Le record du monde de calcul mental en 2004 par un Français: il a obtenu la racine treizième d'un nombre à 100 chiffres en 3,625 secondes (photo d'illustration)

Le record du monde de calcul mental en 2004 par un Français: il a obtenu la racine treizième d'un nombre à 100 chiffres en 3,625 secondes (photo d'illustration) - François Nascimbeni-AFP

Avec la réforme du lycée, les mathématiques sont dorénavant enseignées comme une spécialité. Mais pour certains élèves, le programme est trop difficile.

Les mathématiques font grincer dans les classes de première. Avec la réforme du lycée, la matière est désormais proposée comme spécialité à raison de quatre heures par semaine. À peine plus de deux mois après la rentrée scolaire, certains lycéens sont déjà perdus. Ils jugent le programme trop difficile. 

Six lycéens sur 10 ont choisi les maths

C'est pourtant l'enseignement de spécialité le plus choisi. Selon les données du ministère de l'Éducation nationale, il concerne 64% des élèves. Dans un quart des cas, les mathématiques sont combinées aux deux autres options scientifiques traditionnelles: physique-chimie et sciences de la vie et de la Terre. 

Pour Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc), le problème ne vient pas du programme de mathématiques en lui-même mais des profils des élèves concernés par cette spécialité. "Avec la réforme du lycée, des élèves qui étaient dans l'ancien système en première S ou ES se retrouvent dans le même cours de mathématiques, explique-t-il à BFMTV.com. Or, ils ne faisaient pas les mêmes mathématiques."

D'autant que selon cet enseignant d'Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, certains élèves ont choisi cette option non pas par amour de la matière mais par mesure de sécurité. "On connaît le poids des maths dans le système français, ajoute Jean-Rémi Girard. Ils ont peur qu'en n'en faisant plus en terminale, cela leur ferme des portes dans le supérieur."

"L'année sera difficile"

Une situation tout aussi difficile pour les professeurs. "Dans un même cours, ils savent bien que certains élèves seront amenés à avoir neuf heures de mathématiques en terminale et que d'autres laisseront tomber, poursuit-il. Ils doivent pourtant s'adresser à tous." Pour ces élèves en difficulté, "l'année sera difficile", regrette cet enseignant.

"Ils pourront s'orienter l'année prochaine vers l'option maths complémentaires, moins lourde, et peuvent dores et déjà regarder le programme pour concentrer leurs efforts sur ces points."

Ce qui ne règle pas pour autant le problème puisque l'enseignement de spécialité abandonné en terminale est soumis au contrôle continu et fera l'objet d'une évaluation en fin de première qui comptera pour le baccalauréat. "Un élève ne doit pas être pénalisé pour avoir suivi un enseignement que d'autres n'ont pas choisi, s'inquiète auprès de BFMTV.com Alexis Torchet, secrétaire national du Sgen-CFDT. Comment valoriser ce qu'il aura appris? Cette réforme a été bâclée et tous ses effets n'ont pas été anticipés."

La question de l'enseignement des mathématiques sera abordée au début du mois de décembre lors de la prochaine réunion du comité de suivi de la réforme du lycée. Plusieurs pistes sont envisagées, notamment de proposer deux spécialités de mathématiques, dont l'une serait plus allégée et s'adresserait à des profils moins scientifiques. Une autre idée serait la création d'un module "mathématiques de réconciliation".

"Il s'adresserait aux élèves qui ont besoin de se réconcilier avec les mathématiques, discipline qui leur sera nécessaire dans le cadre de leurs études supérieures mais de manière moins poussée", soutient Alexis Torchet, qui souhaite que les programmes soient réexaminées à la fin de l'année scolaire.

"Le désastre scolaire va s'accentuer" 

Il est encore trop tôt pour se prononcer, répond le ministère à BFMTV.com, qui attend d'avoir "suffisamment de reculs et de témoignages de tous les acteurs". Et assure que l'objectif, "c'est bien de permettre à tous ceux qui le souhaitent d'avoir le niveau pour suivre la spécialité".

Mais pour Jean-Pierre Demailly, professeur de mathématiques à l'université Grenoble-Alpes et membre de l'Académie des sciences, ne proposer qu'une seule option de mathématiques en première est une aberration. Car selon lui, les mathématiques s'adressent aussi bien aux élèves qui s'orienteront vers des carrières scientifiques, à ceux qui en auront besoin dans le cadre de leurs études notamment d'ingénieur, aux littéraires qui souhaiteraient acquérir une certaine culture scientifique ou encore aux lycéens qui se tourneraient vers l'économie et auraient besoin de notions plus concrètes.

"Face à la diversité des besoins éducatifs des élèves, la réforme proposée par le ministère est une nouvelle diminution de l'éventail des choix", déplore-t-il. "Le désastre scolaire va s'accentuer." 

Le ministère plaide "un moment d'adaptation"

Le ministère assure que "le choix des spécialités, comme celui des séries auparavant, suppose de la part des élèves un moment d'adaptation". "Il faut les accompagner et ne pas se focaliser sur les premières semaines. Certains élèves peuvent rencontrer des difficultés en début d'année, et progressent très vite ensuite." Si certains lycéens ont demandé des changements de spécialités "comme certains demandaient avant à changer de filière quelques jours ou semaines après la rentrée en cas de difficultés", cela a été traité par les établissements.

Le mathématicien Jean-Pierre Demailly estime cependant que la problématique autour de l'enseignement des mathématiques n'est que la partie émergée de la vaste question du niveau des élèves.

"Trop d'élèves entrent en 6e sans maîtriser la langue ou les quatre opérations, et les exigences sont devenues très faibles au collège et au lycée. En sciences, les étudiants français accusent souvent plusieurs années de retard d'apprentissage par rapport aux Chinois ou Coréens qui arrivent dans nos universités. Les réformes successives n'ont cessé de malmener les contenus, les fondamentaux ne sont presque jamais acquis à la fin du lycée. Dans cette situation, la majorité des élèves n'est plus en mesure de suivre un enseignement approfondi."
Céline Hussonnois-Alaya