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Évaluation des collèges et lycées: "outil du progrès" ou course au chiffre?

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- - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Le ministre de l'Education nationale a réitéré son souhait de voir créer, d'ici au premier trimestre de 2019, une instance en charge d'évaluer selon des critères objectifs les établissements du secondaire en France. Une idée qui est loin de faire l'unanimité parmi les enseignants et chercheurs en sciences de l'éducation.

C’est l’un des grands chantiers sur lesquels l’Éducation nationale devra plancher pour la rentrée 2019. Comme Jean-Michel Blanquer l’a confirmé ce mercredi, pendant sa conférence de presse de rentrée, à compter du premier trimestre 2019, une instance devrait être créée, avec pour charge d’évaluer collèges et lycées de France à l’aune de différents critères, de l’ambiance à la santé scolaire, en passant par le dynamisme de l’établissement et la sensibilisation des enfants à l’environnement. Le but, selon le ministre de l’Education nationale, "assurer une évaluation régulière et transparente des établissements scolaires" au service de "la réussite des élèves et la qualité de la vie scolaire".

Mais la réalisation de cette promesse de campagne du candidat Macron, si elle en réjouit certains, qui y voient un "outil" pour transformer l’enseignement secondaire et en améliorer le niveau, en inquiète d’autres, pour qui elle marque le début d’une néfaste "ère de l’évaluation", comme le formulent Les Echos. Ce, d’autant plus que cette annonce d’un contrôle régulier des établissements ira de pair avec l’extension des tests nationaux aux élèves des classes de CP et CE1.

"En France, il y a toujours une pointe d’angoisse derrière le mot évaluation" concède Jean-Michel Blanquer ce mercredi lors de son discours de rentrée. "On l’associe trop souvent à la notion de contrôle ou de sanction. Mais on ne le fait pas pour le plaisir, on le fait parce que c’est une source de progrès."

Un regard extérieur pour s’améliorer

Le progrès: dans la rhétorique du ministre et de ses soutiens, c’est bien le but premier de cette évaluation, censée fournir aux établissements des critères objectifs d’évaluation leur permettant de s'améliorer au même titre que leurs élèves. "Pour l’instant, il existe un certain fatalisme sur la réussite ou l’échec scolaire. Pourtant, on sait qu’avec le même public, certains établissements scolaires font beaucoup mieux que d’autres. Il me semble important que les établissements puissent bénéficier d’un regard extérieur sur leurs pratiques", abonde Marie Duru-Bellat, sociologue et spécialiste du système éducatif, interrogée par Le Parisien.

Pour Jean-Michel Blanquer, évaluer régulièrement les lycées serait aussi un moyen de fidéliser le corps enseignant dans un établissement en suscitant "du désir dans l'affectation": "Aujourd’hui quand le plus vieux membre du collège est un élève de 3ème parce que tous les enseignants sont partis, ça ne peut pas durer", a-t-il déclaré dans sa conférence de rentrée.

Mais l’évaluation est-elle vraiment la condition du progrès? Pour d’autres, bien au contraire, cette mesure, en se contentant de mesurer des résultats et non les moyens de les mettre en œuvre, élude l’essentiel. Le syndicat SE-UNSA, dans sa réunion de rentrée, s’est ainsi alerté du "mirage de la toute puissance du ministre grâce aux évaluations". Et d’ajouter que "l’école ne manque pas d’évaluations et d’organismes qui savent évaluer" - elle cite notamment la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) - mais que "le retour vers les enseignants pour que ce soit utile aux élèves est bien souvent oublié".

La question de la publication des résultats

Un autre point d’achoppement entre partisans et détracteurs de l’évaluation est la question de la publication des résultats. Pour certains, comme le conseiller de Paris Jean-Baptiste Menguy, rendre les évaluations publiques - et donc, à disposition des parents d’élèves - permettrait aux bons établissements de se distinguer, au-delà d’une "réputation" parfois injuste. Dans une interview à L'Obs, Jean-Michel Blanquer assurait aussi que l'évaluation ne serait pas "pas d’une évaluation-couperet, mais une évaluation-soutien, un peu comme celle que propose un coach à un coureur de fond".

D’autres, au contraire, pensent que l’on va exclure encore davantage des établissements déjà marginalisés. Le chercheur en sciences de l’éducation Philippe Merieu estime ainsi qu’un "pilotage par les résultats chiffrés" présente le "risque majeur d'oublier la dimension éducative, de développer la concurrence entre établissements et d'encourager le consumérisme scolaire".

"Si ces tests sont publiés, ils peuvent avoir des effets ravageurs sur le comportement des familles, créer des listes d’attente interminables pour certains collèges, en vider d’autres et au final creuser les inégalités", conclut-il dans Le Parisien.

Claire Rodineau