Attentats: un retour en grâce du drapeau français

Sur les façades des bâtiments publics en France. Sur les réseaux sociaux et notamment les photos de profil Facebook. Sur des monuments du monde entier, de la Tour Eiffel à Paris au World Trade Center à New York en passant par le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro… Le bleu, le blanc et le rouge semblent s’afficher partout ces derniers jours.
Jusque là en proie à une certaine "désaffection" dans la société française, selon l’historien Jean Garrigues, le drapeau français opère un retour en grâce depuis les attentats qui ont endeuillé Paris le 13 novembre.
D’ordinaire cantonné aux frontons des mairies et bâtiments officiels et plutôt réservé aux fans de foot, le drapeau tricolore s’arrache désormais. Ses ventes ont "plus que doublé" après les attaques qui ont fait 130 morts, selon l'entreprise Doublet, leader européen de la fabrication de drapeaux, implantée à Avelin, dans le Nord.
Alors que cet emblème national avait longtemps été délaissé par la gauche, le président de la République François Hollande lui-même a appelé les Français à "pavoiser" leur domicile pour participer à l'hommage solennel qui sera rendu aux victimes ce vendredi.
"Icône"
Institué par décret en 1794, le drapeau à trois bandes n’a "rien de ringard" et constitue "un symbole de vie" et d’"émancipation", estime Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l'Université d'Orléans et à Sciences Po Paris et président du Comité d'histoire parlementaire et politique.
"C’est un drapeau qui n’a rien de ringard, La cocarde tricolore, ça vient de la Révolution française. C’est une histoire de jeunesse, de violence aussi, et de modernité, ce drapeau", rappelle l’historien ce jeudi au micro de RMC.
"C’est un drapeau de vie qui vient de cette volonté d’émancipation des Français au moment de la chute de l’Ancien Régime", souligne-t-il. "Au départ, ce sont les couleurs de Paris, le bleu et le rouge, avec le blanc, couleur de la monarchie. C’est-à-dire un drapeau qui veut à la fois s’émanciper et en même temps certaine continuité."
Sandra Laugier, enseignante de philosophie à l'université Panthéon Sorbonne (Paris I), y voit de son côté le symbole qui a remplacé les crayons et les affiches "Je suis Charlie" de l'après-7 Janvier. "Comme le slogan ‘Je suis Charlie’ après les attentats de janvier, qui défendait la liberté d'expression et de caricature, le bleu-blanc-rouge est devenu une icône", analyse-t-elle auprès de l’AFP.
"Il y a eu une désaffection pour le drapeau tricolore"
Pourtant, le drapeau français n’a pas toujours joui d’une connotation si positive. En cause: son interprétation traditionnellement plus nationaliste et sécuritaire, explique Jean Garrigues. "C’est vrai qu’au cours de notre Histoire, il a été associé à une France militaire, ultranationaliste - ça a été récupéré par les nationalistes à la veille de la Première guerre mondiale, puis dans l’entre-deux-guerres, et encore aujourd’hui on voit bien l’utilisation que peut en faire le Front national", détaille-t-il.
"Ça a été associé aussi à la colonisation", souligne l’historien. "On voit bien qu’il y a toute une génération qui a rejeté le drapeau tricolore parce qu’il était le symbole de cette colonisation. La génération des soixante-huitards n’en veut pas peut-être aussi parce que c’est la représentation de ce système gaulliste un petit peu contraignant, austère, archaïque."
"Tout ça fait que, quand même, il y a eu une désaffection pour le drapeau tricolore dans la société française", reconnaît-il.
Attention toutefois, l’amour du drapeau porte en lui le danger du nationalisme, prévient Jean Garrigues. "Le patriotisme tel qu’il était conçu au 19e siècle c’est un patriotisme d’expansion, qui veut propager dans le monde entier les valeurs positives de la démocratie. C’est quelque chose d’éclairant. Tandis que le nationalisme, c’est devenu, progressivement au début du 20e sicècle, une valeur d’exclusion, de refus. C’est une sorte de patriotisme qui exclut l’autre", distingue-t-il. Et de mettre en garde contre cette dérive: "C’est là que se situe le danger, c’est là que se situe tout l’enjeu symbolique du drapeau tricolore."