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Tensions et "droit à se défendre": ce qu'il faut retenir de l'audition d'Alexandre Benalla

Alexandre Benalla a été entendu pendant deux heures par la commission d'enquête du Sénat.

Alexandre Benalla a été entendu pendant deux heures par la commission d'enquête du Sénat. - BFMTV

Alexandre Benalla a été auditionné pendant un peu plus de deux heures par la commission d'enquête du Sénat au sujet de ses passeports diplomatiques conservés et utilisés après son licenciement de l'Elysée. Le principal intéressé a fait valoir son "droit à se défendre" en refusant de répondre à de nombreuses questions des sénateurs.

"Je suis persévérant et vous êtes obstiné." Le constant, cinglant, de Philippe Bas, résume la teneur des deux heures d'audition d'Alexandre Benalla par la commission d'enquête du Sénat. Interrogé pour la deuxième fois dans le cadre de cette commission, constituée pour enquêter sur d'éventuels dysfonctionnements de l'Etat, l'ancien chargé de l'Elysée a été sollicité sur les conditions d'attribution et d'utilisation de ses passeports diplomatiques et de service. Il a opposé une résistance aux sénateurs pour ne pas répondre à leurs questions se réfugiant derrière l'information judiciaire en cours.

"Je vous réaffirme, solennellement et sous serment, que le 19 septembre (date de sa première audition, NDLR) mes passeports étaient à l’Elysée, a-t-il martelé. Je ne vous ai pas menti le 19 septembre." Il a reconnu à plusieurs reprises des "erreurs".

> 23 utilisations des passeports diplomatiques

C'était le coeur de cette nouvelle audition. A plusieurs reprises, les sénateurs ont bien tenté d'obtenir des réponses au sujet des conditions d'attribution et d'utilisation des passeports diplomatiques et de service d'Alexandre Benalla. En vain. "Nous veillons au bon fonctionnement de l’Etat, nous sommes les seuls en mesure de le faire", a pourtant rappelé Philippe Bas, le président de la commission, en préambule.

Au cours des deux heures d'audition, l'ancien chargé de mission a seulement reprécisé le calendrier sur l'obtention, la détention et la remise de ces documents qu'il a utilisé "23 fois" pour voyager dans des pays où les visas ne sont pas obligatoires. S'il s'en est servi entre "le 1er et le 7 août", Alexandre Benalla dit avoir rendu ses passeports diplomatiques "fin août", une restitution "à la demande de l'Elysée". Il a alors maintenu que les passeports lui ont été rendus, sans mention, après avoir été "contacté par un personnel salarié de l’Elysée, fin octobre". Sans préciser l'identité de cette personne.

"Je pense que moralement il aurait été plus prudent de les laisser dans le sac plastique", reconnait désormais Alexandre Benalla, parlant d'"erreur", de "bêtise" même de "connerie".

A l'en croire, ces passeports ne lui ont servi qu'à "justifier" son identité, et ce même alors qu'il est en possession d'un passeport classique. "Je me suis soumis à l’ensemble des contrôles, je suis passé par les portiques de sécurité, mes bagages sont passés aux rayons X", précise-t-il.

> Les passeports, sujet de crispation

C'était le coeur de cette audition: la passe d'armes entre Alexandre Benalla et Philippe Bas. Mis en examen pour l'usage abusif de ses divers passeports après son licenciement par l'Elysée, l'ancien chargé de mission a fermement et à plusieurs reprises refusé de répondre aux questions concernant les conditions de renouvellement de ces documents, notamment des passeports de service obtenus après avoir changé de fonctions à la suite des événements de la Constrescarpe. 

"Les conditions d'attribution, de détention et d'obtention, ainsi que de restitution de ce passeport concernent l'information judiciaire en cours", a rétorqué Alexandre Benalla, accusé par Patrick Sztroda, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, de "faux" pour obtenir un passeport de service.

"Vous êtes obligé de répondre, lui a signifié Philippe Bas. Elles concernent le fonctionnement de l'Etat et non pas des fautes que vous auriez pu commettre et elles ne sont donc pas reliées à cette information judiciaire". Malgré la menace brandie par le président de la commission d'enquête du Sénat d'une peine de 2 ans de prison et 7.500 euros d’amende en cas de refus de répondre aux questions des sénateurs, qui arbitreront sur son attitude. "J’ai juste le souci de la présomption d’innocence et de la non auto-incrimination, maintient Alexandre Benalla. C’est mon droit et il faut juste le respecter. A partir du moment où il y a une information judiciaire qui est ouverte contre vous, quel que soit votre statut, il y a des choses que vous pouvez dire et des choses que vous ne pouvez pas dire."

"Vous vous abritez derrière la mission de la justice quand ça vous arrange, rétorque Philippe Bas. Vous avez fait un long dégagement sur les actes qui vous sont reprochés le 1er mai pour vous justifiez. Vous ne vous privez pas d’apporter une appréciation sur le rôle que vous avez eu, (…) là, pour le coup, la justice a beau être saisie, vous vous sentez à l’aise pour entrer dans des détails que l’on ne vous demande pas."

> Le téléphone Teorem, l'appareil "oublié"

Autre thème abordé par les sénateurs: le téléphone crypté Teorem avec lequel Alexandre Benalla a quitté l'Elysée. "La situation après le 1er août était un peu confuse", confie l'ancien chargé de mission de l'Elysée, parlant de ses quatre déménagements. Il aurait alors retrouvé l'appareil dans un carton le 20 novembre dernier. "Ce téléphone ne m’a jamais été redemandé, poursuit-il. Jusqu’en décembre, je n’avais pas connaissance qu’il était en ma possession." Il n'en aurait alors fait aucun usage depuis juillet 2018, et ce alors que le téléphone a été désactivé par les services de l'Etat au début du mois d'octobre.

Il aurait alors informé l'Élysée qu'il était toujours en sa possession.

> Ses déplacements à l'étranger

C'était le point de départ des nouvelles révélations dans l'affaire Benalla: un voyage au Tchad, trois semaines avant un déplacement d'Emmanuel Macron au même endroit. Si l'ancien chargé de mission parle de voyages privés, sans "aucun rapport" avec ses précédentes fonctions à l'Elysée, il assure avoir tenu au courant "par courtoisie" des membres du palais présidentiel. Là encore, sans donner de précisions sur l'identité de ces personnes. Concernant son déplacement au Tchad, l'Elysée n'avait pas été informé en amont. 

> Il ne cache aucun "secret"

Alexandre Benalla récuse toute protection de l'Elysée, qui pourrait répondre à un prétendu chantage de sa part. "Je ne détiens aucun secret, aucun secret sur qui que ce soit, je ne fais aucun chantage, martèle-t-il devant la commission d'enquête du Sénat. On essaie d’expliquer un certain nombre de dysfonctionnements, un certain nombre d’erreurs de ma part que je reconnais, il ne faut pas déduire que tout ça est dû à un ou des secrets que je détiendrais."

Au cours de cette nouvelle audition, Alexandre Benalla a d'ailleurs fait peser des soupçons sur les déclarations de Patrick Sztroda concernant les "faux" qui lui auraient permis de renouveler son passeport de service en juin dernier. "Ce n’est pas le service du protocole qui prend la décision d’octroyer ou pas un passeport diplomatique, lance-t-il. Ils font juste instruction des démarches administratives sur demande du cabinet. Ma demande a été suffisamment considérée pour donner lieu à une délivrance normale." Idem sur ses relations avec l'Elysée alors que le directeur de cabinet a assuré la semaine dernière que l'intéressé n'avait pas remis les pieds à l'Elysée depuis "le 1er août".

"Les propos de M. Sztroda ne sont pas tout à fait exacts, a rétorqué Alexandre Benalla. J’ai fait redéposer un certain nombre d’effets à un personnel salarié de l’Elysée, pour être précis fin août."
Justine Chevalier