Gilets jaunes: vers un appel de l'Assemblée à ouvrir les cahiers du Grand débat

La députée écologiste Marie Pochon à l'Assemblée nationale le 4 avril 2024 - EMMANUEL DUNAND / AFP
Dévoiler un "trésor national", c'est l'appel que devrait lancer l'Assemblée nationale au gouvernement ce mardi 11 mars, avec l'examen d'une résolution demandant une large diffusion et une restitution des cahiers de doléances issus du Grand débat national, réponse à la crise des "gilets jaunes".
"C'est un sujet qui peut permettre de réparer, un petit peu, la fracture démocratique dans notre pays": députée de la Drôme, l'écologiste Marie Pochon nourrit des espoirs pour le texte qu'elle défendra dans l'hémicycle, probablement en fin de journée.
Un débat parlementaire près de six ans après le Grand Débat national, lancé par Emmanuel Macron entre le 15 janvier et le 15 mars 2019, en réponse aux manifestations des gilets jaunes. L'exercice démocratique, inédit à l'époque moderne, a abouti au recueil de "19.000 cahiers citoyens", un "trésor national" selon la députée.
"Un blocage des prix", "du pouvoir d'achat", "plus d'arbres, assez du béton"... : autant d'apostrophes, de requêtes, de critiques et d'idées qui composent ces cahiers.
Si beaucoup des citoyens qui ont participé ne faisaient pas partie des gilets jaunes, les thématiques abordées reprennent souvent celles du mouvement, du référendum d'initiative citoyenne (RIC) à l'accès aux services publics et au sentiment d'isolement géographique, en passant par le contrôle du travail des élus.
"Inachevée"
La plupart de ces "doléances" reposent dans les archives départementales partout en France, et ne sont guère ouvertes que par des chercheurs. Et le public, qui y a souvent accès sans le savoir, se fait rare.
"Ce serait très intéressant de diffuser ces cahiers", estime Isabelle Vernus, directrice des archives départementales de Saône-et-Loire, qui abrite "plusieurs milliers de pages" consultables "librement". Les particuliers sont "très peu" à venir, témoigne-t-elle.
"Le fait d'avoir donné le sentiment de le mettre sous le boisseau, sous le coude, a été selon moi une erreur. C'est un essai d'expression citoyenne qui est à ce jour inaboutie et inachevée", déplore Jean-François Debat, maire PS et président d'agglomération de Bourg-en-Bresse (Ain), où la mobilisation des gilets jaunes a été particulièrement forte.
"Beaucoup d'erreurs de transcriptions"
Un large fichier existe aussi au niveau national, fruit de la numérisation via des logiciels de nombreux cahiers de doléances.
Mais il "contient beaucoup d'erreurs de transcriptions, notamment de données manuscrites, avec par exemple le mot 'riches' devenu 'niches'", avertit Manon Pengam, maîtresse de conférences en sciences du langage à l'Université de Cergy, qui travaille depuis 2022 sur les cahiers de la Creuse.
Un autre problème vient de l'incertitude juridique autour de plusieurs cahiers, écrit en-dehors du cadre du Grand débat national. "Certains gilets jaunes ont écrit des doléances dès novembre 2018", souligne Manon Pengam. "Il y a un nécessaire travail d'anonymisation", prévient la chercheuse.
Pour tenter d'ouvrir l'accès au plus grand nombre, Marie Pochon appelle à "rendre publiques ces doléances sur une plateforme" ouverte à tous, mais aussi à une "restitution nationale par le chef de l'État" et "au niveau local".
"Beau projet"
Transpartisane, co-signée par des députés allant des Insoumis aux macronistes, la résolution qu'elle porte a de bonnes chances d'être adoptée, y compris avec les voix du Rassemblement national. Mais elle ne sera pas contraignante pour l'exécutif, et servira avant tout de levier politique.
"Son vote n'est crucial que si ça débouche sur quelque chose", prévient Marie Pochon, appelant le gouvernement à mettre en musique le texte, en débloquant des fonds pour terminer "la numérisation de chaque cahier de doléances", en anonymisant certains écrits pour qu'ils puissent être publiés.
Reste à savoir ce que souhaitera faire l'exécutif. Dans sa déclaration de politique générale mi-janvier, le Premier ministre François Bayrou avait affirmé vouloir "reprendre l'étude des cahiers de doléances", estimant le mouvement des gilets jaunes "négligé". Son prédécesseur Michel Barnier avait lui aussi émis cette idée.
"En soi un beau projet mais il faut le faire correctement", estime Manon Pengam, qui dénonce une mise à l'écart de la recherche publique en 2019 quand une analyse de données du Grand Débat national a été attribuée à un consortium privé sous la direction du cabinet de conseil Roland Berger.
Elle demande à ce que des moyens soient alloués à la recherche publique pour continuer l'analyse de ces cahiers.