"On ne sait pas quand on aura toutes les réponses": le déconfinement, casse-tête pour le gouvernement

Une rue de Nantes déserte durant le confinement, mars 2020. - LOIC VENANCE / AFP
Alors que la population française entre dans sa troisième semaine de confinement, la question du "déconfinement" se fait de plus en plus prégnante, sans être évidente. Y compris pour les responsables politiques, et en premier lieu le gouvernement et l'exécutif. "On a fini par s’apercevoir que, grossièrement, l’épidémie suit un axe Nord-Est/Sud-Ouest", analyse un ministre auprès de BFMTV. "Ça veut donc dire que quand la vague sera passée dans les premières régions, elle arrivera tout juste dans les dernières. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’à une date donnée, on appuie sur un bouton, et que tout reparte", ajoute-t-il.
La question du déconfinement s’est posée quasiment dès le premier jour de l’épidémie française de coronavirus. En parallèle de la gestion sanitaire au jour le jour, entre hôpitaux saturés, transferts de patients, et commandes de masques, une deuxième course s’est enclenchée: préparer la France à la sortie du confinement. Avec deux questions: quand et comment.
Une nouvelle prolongation quasiment certaine
"Les projections, c’est le conseil scientifique qui nous les donne", tranche un proche du Président. "Comme il n’est pas question de donner des infos bancales, on va de deux semaines en deux semaines."
La date du 15 avril prochain sera-t-elle tenue? "Quasiment aucune chance", répond un conseiller.
"Le comité scientifique a fixé une durée de six semaines a minima, ce qui correspond à trois cycles de contamination. Ça laisse le temps à ceux qui sont tombés malades avant le confinement de guérir, ensuite ceux qui l’ont attrapé juste au début du confinement, qui ont pu contaminer ensuite un membre de leur famille… Au-delà, c’est difficile de voir", résume un autre ministre.
L’exécutif tente quand même d’anticiper, en suivant les exemples précédents. "L’Italie bien sûr, dont on apprend beaucoup. Elle a 15 jours d’avance sur nous. On surveille aussi beaucoup l’Oise, qui va jouer le rôle d’exemple. Dans l’Oise, ça a commencé 10 jours avant le reste du territoire. On a fermé les écoles, les lieux publics, très vite. Quand ça ira mieux dans l’Oise, on aura une projection plus fiable".
La difficile anticipation
En attendant, pas de déconfinement probable avant début mai. A partir de là, l’exécutif commence à envisager un déconfinement progressif. "La Chine n’en a toujours pas fini avec ses mesures de confinement, et ça fait deux mois", souffle un proche du Président.
"Si on ouvre toutes les barrières d’un coup, l’épidémie repart. Donc on ne va pas pouvoir faire autrement. Que ce soit par région, ou par profil sanitaire", ajoute cette même source.
En clair, dans ce dernier cas, par profil sanitaire: levée de confinement pour ceux qui sont "immunisés", confinement maintenu pour ceux qui portent toujours une charge virale… Et pour ceux qui n’ont pas contracté le virus? "Ça, c’est la grande question", admet un pilier de la majorité. "Pour eux, c’est en cours d’examen, et c’est une question très délicate. La Chine non plus n’a pas encore trouvé de réponse".
Autre possibilité: une levée des restrictions plus "sectorielle". La reprise du travail, puis les restaurants, les bars, les cafés. Reste la question des écoles. "C’est un gros sujet", glisse un ministre en première ligne.
"Est-ce qu’on ouvre d’abord les collèges, les lycées? L’école primaire, c’est encore plus compliqué: au CP, faire appliquer les gestes barrière est très difficile".
Une campagne de tests indispensable
Seule certitude: une campagne de tests massive sera indispensable. "Les tests les plus fiables, ce sont les sérologies (établies par prises de sang, NDLR). Il faudra tester énormément de monde. Mais les scientifiques sont encore divisés sur le pourcentage." Restent d’autres inconnues, qui pourraient compliquer l’équation: combien de temps dure l’immunité, si elle n’est pas définitive? Là non plus, les scientifiques n’ont pas encore de certitude.
Scénario envisagé alors, pour limiter les risques: tester la population, déconfiner, rétablir des mesures de confinement si l’épidémie repart, déconfiner à nouveau... Jusqu’à début juillet, selon les premières estimations.
Reporter des examens?
De quoi provoquer un retard considérable dans la tenue des examens de fin d’année, comme le brevet. "L’année dernière, on l’a organisé en septembre, à cause de la canicule. C’est une option."
Autre sujet d’inquiétude, le baccalauréat, et les examens de la fonction publique. "Pour ces derniers, on ne peut pas repousser indéfiniment, admet un membre de l’exécutif. Des fonctionnaires partent à la retraite, il faut les remplacer. On a donc fait passer la semaine dernière une ordonnance qui leur permet de commencer à réfléchir à l’idée de jurys dématérialisés, voire d’oraux en visioconférence. L’Education nationale travaille sur différents scénarios. C’est la seule façon d’être prêts quand le déconfinement commencera."
Des masques dans les entreprises
Le monde de l’entreprise, lui aussi, est déjà en train de se préparer à la reprise du travail. Et les grands groupes et syndicats ont été unanimes auprès du gouvernement: là aussi, il faudra des masques.
"On a bien compris que le masque était devenu un objet de fixation, un élément indispensable pour que les salariés se sentent en sécurité, et acceptent de reprendre le travail", relaye un ministre. "C’est pour ça que parallèlement aux masques pour les soignants, on est en train de faire fabriquer massivement des masques 'civils'. Nous avons demandé à la direction Générale de l’Armement de travailler sur une homologation de masques en tissus, qui ne sont pas ceux des soignants - qui eux doivent être jetables - mais qui protègent autant. 45 entreprises sont sur les rangs. On en produit aujourd’hui 500.000 par jour. 1 million par jour d’ici un mois".
Mais la précaution est à double-tranchant: "Cela suppose un autre enjeu de communication pour nous: il va falloir expliquer que ce n’est pas parce qu’on a un masque, qu’on peut relâcher la vigilance sur les gestes barrière", s’inquiète un conseiller.
La question des Outre-Mer
Reste la question des Outre-Mer. "C’est encore un autre processus, et un point d’inquiétude", admet-on dans les rangs du gouvernement. "Leurs infrastructures sanitaires sont plus fragiles, et sur ces départements insulaires, les transferts de patients, comme on le fait actuellement de région à région, sont très difficiles, pour ne pas dire impossibles. C’est pour cela que le Mistral est parti les renforcer." Encore un autre horizon pour la sortie du confinement "à la française".
Quand la France en aura fini avec son propre territoire, elle ne sera pas pour autant tirée d’affaire. "Si nos voisins sont touchés plus tard que nous, que faisons-nous? Si l’Europe sort de confinement, que faire des frontières de Schengen? D’autres pays commencent à peine à être touchés par l’épidémie de Covid", abonde un pilier du gouvernement. "On verra à ce moment-là, si nous gardons nos frontières fermées, ou si nous pouvons les ouvrir. Cette partie-là peut prendre des mois", conclut-t-il.
Plus loin encore, il y aura les conséquences en terme de stratégie industrielle. "Le retour du Made in France", abonde un responsable de la majorité. "L’idée que la mondialisation ne peut pas avoir comme conséquence, que tout ce qui est stratégique parte de chez nous… Là aussi, il y aura des conséquences, dès la fin du confinement."
Dans cette double course contre la montre, l’autorité qui donne l’heure est la même que pour la gestion de la crise: "Le Président, le Premier ministre, et le ministre de la Santé. Notre rôle, ce sera de mettre en place la sortie de confinement quand ils nous le diront, en lien avec le Conseil scientifique", résume un ministre.
Certains membres de l’exécutif appréhendent aussi la période pour d’autres raisons: plusieurs plaintes ont été déposées contre certains d’entre eux, par des collectifs de médecins, ou de soignants. Réponse de l’exécutif, lucide mais ferme:
"Par nature, tout responsable politique doit pouvoir rendre des comptes. Mais il faut pas que pour les hauts fonctionnaires, cette réalité fasse que la main tremble à chaque fois. La priorité, c’est de gérer la crise."
"On ne sait pas tout"
En attendant, le Président lui-même a été très clair, selon un participant régulier (virtuellement ces jours-ci) à la table du Conseil des ministres:
"On ne sait pas tout. On ne sait pas quand on aura toutes les réponses. Mais le Président nous a demandé de répondre à tous les députés qui nous posent des questions dans l’Hémicycle, à tous les présidents de commission qui nous demandent des éclaircissements, les missions d’information ou Commissions d’enquête. Attention, il faudra quand même faire passer le message qu’on ne peut pas monopoliser les ministres pour l’analyse, plus que pour l’action."