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Loi Duplomb: pesticides, méga-bassines... Ce que le Conseil constitutionnel pourrait censurer

Le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel. - BERTRAND GUAY © 2019 AFP

Les Sages doivent se prononcer sur ce texte très controversé qui vise à "lever les contraintes" sur le métier d'agriculteur le 7 août prochain. Plusieurs dispositions pourraient contrevenir aux principes de la Constitution, à commencer par "le droit à un environnement sain" et "la garantie de la protection de la santé".

Un cap symbolique quelques jours avant la prise de position des Sages. La pétition contre la loi Duplomb a atteint les 2 millions de signatures ce lundi 28 juillet, ce qui permettra très probablement l'organisation d'un nouveau débat sans vote à l'Assemblée nationale autour de ce texte particulièrement controversé. Un débat qui devrait, sauf surprise, se tenir en septembre.

Mais en attendant ces nouveaux échanges dans l'hémicycle, c'est surtout la décision du Conseil constitutionnel 7 août prochain qui est attendue. L'institution pourrait en effet largement censurer la loi Duplomb.

• La réintroduction des néonicotinoïdes

Le Conseil constitutionnel, qui est chargé de dire si un projet de loi ou une proposition de loi respectent bien la Constitution, devrait largement utiliser les principes de la Charte de l'environnement. Ce texte qui date de 2005 a désormais une valeur constitutionnelle et acte dans son article premier "le droit à un environnement sain et équilibré".

Plusieurs articles de la loi Duplomb pourraient contrevenir à ce principe, à commencer par la réintroduction de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Ils ont été interdits en France en 2018 sous la première présidence d'Emmanuel Macron. Parmi les motifs invoqués à l'époque pour interdire cette catégorie de phytosanitaires très utilisés dans les exploitations de betteraves et de noisettes: la question de la protection des abeilles.

Les néonicotinoïdes agissent en effet sur leur système nerveux et sont considérés comme "des tueurs d'abeille" par de nombreux scientifiques. Leur usage multiplie en effet par trois leur mortalité, comme le démontrent plusieurs études scientifiques. Pollinisateur essentiel, l'abeille participe à 80% de la reproduction des espèces végétales dans le monde. En clair, sans abeille, la majorité des cultures fruitières ou de légumes seraient tout simplement impossibles.

Le Conseil constitutionnel pourrait donc estimer que le retour des néonicotinoïdes ne respecte pas "le droit à un environnement sain et équilibré".

• L'assouplissement d'achat de pesticides pour les agriculteurs

Deuxième disposition de la loi Duplomb qui pourrait être censurée par les Sages de la rue de Montpensier, "la modification de l’organisation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques", le nom scientifique pour désigner les pesticides.

Concrètement, l'article un de ce texte veut "réduire le nombre d'informations obligatoires à transmettre" à l'agriculteur qui utilise des pesticides lors de leur achat, comme par exemple leur toxicité.

Les Sages pourraient estimer que cette disposition ne respecte pas le principe constitutionnel suivant qu'on trouve dans la Constitution de 1946 et qui est inclus dans la Constitution de 1958, celui "de garantir tous notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé". Les agriculteurs sont en effet particulièrement concernés par les enjeux de santé publique.

En 2021, l'Inserm, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, publiait un avis fondé sur 5.300 résultats d'études concluant à une "présomption forte" d'un lien entre l'exposition aux pesticides et six maladies graves: trois cancers dont celui de la prostate, la maladie de Parkinson, des troubles cognitifs et une maladie respiratoire.

Par ailleurs, le retour dans ce texte de l'acétamipride, pose lui aussi des questions de santé publique. L'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), dans un avis de 2013, s'interrogeait sur la non-toxicité neurodéveloppementale de l'acétamipride, c'est-à-dire le risque d'un effet nocif sur le cerveau lors de son développement chez un fœtus ou un enfant.

Qu'est-ce que l'acétamipride, ce pesticide agricole en passe d'être réautorisé en France?
Qu'est-ce que l'acétamipride, ce pesticide agricole en passe d'être réautorisé en France?
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L'agence sanitaire estimait qu'elle n'était pas suffisamment documentée par les industriels qui commercialisent ce produit, ajoutant qu'une autre étude devait être menée. Cet insecticide peut affecter "le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire", notait cependant à l'époque l'organisme européen. L'organisme a réécrit la même chose en 2022, demandant à nouveau des études complémentaires.

Dès lors, le Conseil constitutionnel pourrait censurer à la fois l'assouplissement des règles d'achat des produits phytosanitaires tout comme la réintroduction des néonicotinoïdes en s'appuyant sur un autre principe que "la protection de la santé". Il pourrait en effet citer le "principe de précaution" qu'on trouve dans la Charte de l'environnement.

Il est défini comme le fait de prendre des mesures pour éviter les risques pour l'environnement et la santé y compris en "l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment", comme le précise le site vie publique.

Même topo pour une autre disposition du texte qui veut faciliter "les demandes de mises sur le marché de produits" phytopharmaceutiques. Ces demandes sont aujourd'hui relativement encadrées par l'ANSES pour éviter que des produits jugés très toxiques puissent accéder aux "conditions d'instruction nécessaires" pour son autorisation par l'État français.

• L'assouplissement de dispositions relatives aux élevages

L'article trois de la Loi Duplomb veut augmenter les seuils à partir desquels il est nécessaire de demander une autorisation pour la mise en place des élevages. Aujourd'hui, un éleveur doit demander une autorisation pour avoir une exploitation de poulets à partir de 40.000 volailles.

Ce texte veut que le seuil de demande en préfecture soit désormais fixé à 85.000 poulets. Même topo pour les élevages porcins qui nécessitent aujourd'hui une autorisation à partir de 2.000 cochons contre 3.000 dans la loi Duplomb.

Au-delà d’un certain seuil, la construction de bâtiments d’élevages était également jusqu'ici conditionnée à l'organisation de deux réunions publiques, permettant notamment au voisinage de pouvoir s'informer. Le texte les remplace par de simples permanences en mairie.

Problème: plus des élevages sont de taille importante, plus leur impact sur l'environnement est important. Au niveau mondial, on estime que l'élevage est responsable de 12% des émissions de gaz à effet de serre. Si ce chiffre n'existe pas au niveau national, l'Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, montre que l'élevage en France est à lui seul responsable de 68% des émissions de méthane, un gaz particulièrement polluant.

Les Sages pourraient donc estimer sur le papier que ces assouplissements de règles autour de l'élevage contreviennent au principe de non-régression environnementale. Ce dispositif, contenu dans le code de l'Environnement, pose que "la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment".

Le principe de non-régression environnementale ne fait pas partie à l'instant T des principes constitutionnels mais plusieurs juristes estiment que les Sages pourraient à un moment choisir de le considérer comme tel. La loi Duplomb pourrait représenter cette occasion.

• Faciliter l'instauration de méga-bassines

La loi Duplomb crée "une présomption d'intérêt général majeur" sur les méga-bassines. Ce dispositif correspond à des bassins artificiels pour stocker de l'eau pour répondre aux besoins de l'agriculture, notamment en période estivale.

Très contestées, ces méga-bassines parfois également appelées giga-bassines nécessitent pour leur remplissage des opérations de pompage dans les nappes phréatiques ou des cours d'eau. Elles peuvent également avoir un impact sur les écosystèmes environnants en stockant de l'eau qui se serait autrement infiltrée dans le sol.

La Loi Duplomb veut permettre aux agriculteurs qui souhaitent installer une méga-bassine de ne plus avoir à prouver son utilité. Concrètement, chaque demande devrait donc être validée, sauf cas très particulier.

Plusieurs méga-bassines ont été interdites par la justice qui avait jugé que leur impact sur l'environnement et la biodiversité étaient trop importante comme pour le cas de l'outarde canepetière, un oiseau menacé qui a fait capoter quatre projets de méga-bassines. Le Conseil constitutionnel pourrait donc juger que leur très large autorisation ne respecte pas "le droit à un environnement sain et équilibré".

• Les conditions d'examen du texte

Le Conseil constitutionnel doit en effet vérifier si la loi Duplomb a "été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelles", comme le précise le site de l'institution.

Ses conditions d'examen ont tourné au vaudeville ces derniers mois. Lors de l'arrivée du texte à l’Assemblée en première lecture fin janvier, aucun amendement n’avait pu être débattu. Le texte avait en effet été rejeté d’entrée via une motion de rejet déposée par ses défenseurs. La méthode, qui peut étonner, visait à contourner ce que la droite, principale défenseure du texte, "l'obstruction" de la gauche, bien décidée à s'opposer farouchement au texte du sénateur Laurent Duplomb.

Après un accord en commission mixte paritaire le 26 mai dernier, cet organe qui réunit des parlementaires de tout bord pour essayer de parvenir à une version commune du texte entre le Sénat et l'Assemblée, la loi avait finalement été adoptée définitivement en seconde lecture le 8 juillet dernier. Les Sages pourraient par exemple estimer que "le droit d'amendement" n'a pas été respecté tout comme l'organisation d'"un débat parlementaire clair et sincère".

Et une fois la décision du Conseil constitutionnel rendue? Plusieurs scénarios sont possibles. Emmanuel Macron pourrait décider de rapidement promulguer la loi Duplomb, expurgée des dispositions censurées le cas échéant. Il pourrait également temporiser et décider d'attendre le débat sans vote organisé à l'Assemblée après le succès de la pétition opposée à ce texte, sans s'empêcher dans la foulée d'ensuite promulguer ce texte. Autre possibilité présidentielle: ne pas promulguer le texte, ce qui est possible sur le papier, mais reste assez improbable, en dépit d'une mobilisation citoyenne inédite.

Le sénateur LR à l'origine du texte, Laurent Duplomb assure auprès de BFMTV être confiant sur la future décision rendue par le Conseil constitutionnel. "Nous avons sérieusement travaillé en prenant en compte leurs avis précédents".

Marie-Pierre Bourgeois