Colère des agriculteurs: pourquoi les néonicotinoïdes cristallisent les tensions autour de la loi Duplomb

Les débats autour de la loi agricole dite "Duplomb" s'annoncent houleux au Palais Bourbon. Visant à "lever les contraintes" sur les agriculteurs, cette proposition de loi portée par le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains) porte, entre autres, un assouplissement de certaines démarches administratives ou obligations environnementales en matière de produits phytosanitaires, de bâtiments d'élevage ou de stockage de l'eau. Pour ses défenseurs, il s'agit d'une brique des promesses faites aux syndicats majoritaires, la FNSEA en tête, lors des mobilisations hivernales.
Adoptée en janvier par les sénateurs, la proposition de loi Duplomb est désormais arrivée à l'Assemblée nationale. Passée par la commission du Développement durable puis par la commission des Affaires économiques, qui a elle-même amendé le texte sénatorial, elle sera examinée par les députés en séance publique à compter de ce lundi 26 mai, sous le regard attentif des syndicats agricoles, divisés sur la question. Le tandem majoritaire FNSEA et Jeunes agriculteurs, de son côté, appelle à de "nouvelles actions" au cours de la semaine pour peser sur les débats parlementaires.
Les néonicotinoïdes interdits depuis sept ans
Sa mesure la plus sensible, celle qui cristallise les oppositions politiques et syndicales, reste sans nul doute la réintroduction des néonicotinoïdes. Ces substances insecticides qui agissent sur le système nerveux des insectes sont interdites en France depuis sept ans mais sont encore autorisées, en partie, ailleurs en Europe. Des filières arboricoles et maraîchères dénoncent une "surtransposition" de la règlementation européenne qui les affaiblirait face à leurs concurrents des pays voisins, estimant n'avoir aucune solution alternative pour lutter contre les ravageurs.
Cinq substances de la famille des néonicotinoïdes –clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiamétoxame et acétamipride– ont été en effet interdites en France en 2018. Les quatre premières sont aussi proscrites dans toute l'Union européenne, mais Bruxelles a donné son feu vert à une utilisation de l'acétamipride jusqu'en 2033. La proposition de loi Duplomb, telle qu'adoptée par le Sénat, ouvre ainsi la voie à un retour de l'acétamipride en France, tant qu'il n'a pas été interdit par la réglementation européenne et que les alternatives restent "inexistantes" ou "insuffisantes".
Les néonicotinoïdes sont surnommés "tueurs d'abeilles" par leurs détracteurs, à commencer par les apiculteurs –l'Union nationale de l'apiculture française déplore, elle, le risque de "détruire une filière pour en sauver une autre". Nocives pour les pollinisateurs, ces substances altèrent les capacités de communication et d'orientation des abeilles et entravent le développement des colonies. Elles sont toutefois efficaces contre certains insectes qui causent d'importants dommages aux cultures de betteraves sucrières, notamment les pucerons vecteurs de la jaunisse, ou de noisettes.
Réintroduction limitée à trois ans renouvelables?
Face à un tel dilemme, les discussions parlementaires ont été agitées dès ses premiers pas à l'Assemblée nationale. La version de la proposition de loi Duplomb amendée par la commission des Affaires économiques –c'est ce texte-là qui sera examiné par les députés– a toutefois donné son feu vert à une telle réintroduction des néonicotinoïdes par décret, en l'encadrant par une durée limitée de trois ans renouvelables. En outre, le décret devrait être abrogé "sans délai" dès lors que les conditions (autorisation européenne et manque d'alternatives) ne seraient plus remplies.
Les néonicotinoïdes promettent des débats animés dans l'hémicycle et une multitude d'amendements de toutes parts. Sans surprise, la gauche de l'hémicycle est fermement opposée au retour de l'acétamipride, y voyant une ligne rouge. À l'inverse, la droite et le Rassemblement national défendent sa réintroduction dans les cultures françaises. C'est le bloc central, incarné par les groupes Modem et Renaissance, qui fera pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Mais ces députés sont encore loin d'afficher une position commune sur le texte.