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Loi Duplomb: l'acétamipride, l'insectide au coeur du débat, est-il dangereux pour la santé humaine?

Une pancarte avec le message Loi Duplomb danger, avec un dessin de tête de mort, lors de la manifestation contre la loi Duplomb, à Paris, France, le 8 juillet 2025.

Une pancarte avec le message Loi Duplomb danger, avec un dessin de tête de mort, lors de la manifestation contre la loi Duplomb, à Paris, France, le 8 juillet 2025. - HENRIQUE CAMPOS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Une mobilisation citoyenne inattendue fait front contre la loi agricole dite Duplomb, décriée pour son impact environnemental. Des scientifiques pointent également des risques pour la santé humaine mais soulèvent également un manque d'études d'ampleur concernant l'acétamipride, un pesticide au coeur de la loi contestée.

"Quand on diabolise les choses et quand on fait peur à tout le monde, par définition, on peut avoir ce résultat", a lâché ce lundi 21 juillet sur RMC Laurent Duplomb. Le sénateur LR était interrogé sur la pétition contre la loi qui porte son nom et qui a dépassé les 1,6 million de signatures.

Cette loi réintroduit sans délai et sous conditions l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes interdit depuis 2018 en France mais autorisé dans l'Union européenne jusqu'en 2033. Il s'agissait d'une mesure réclamée notamment par les producteurs de betteraves et de noisettes. Selon Laurent Duplomb, en continuant à interdire ce pesticide, la France "fait courir une concurrence déloyale" à ces agriculteurs.

Les effets nocifs de ce néonicotinoïde sur les pollinisateurs, notamment les abeilles, sont "clairement documentés", selon des chercheurs de l'Inrae. En revanche, les signataires de la pétition, et plus largement les opposants à la loi, pointent également du doigt les conséquences sur la santé humaine. Ils accusent les pro-loi Duplomb de jouer sur les incertitudes de la science à ce sujet. Alors, de quoi parlons-nous?

Les agences tâtonnent

"L'acétamipride n'est pas considéré par l'Efsa et d'ailleurs aussi par l'Anses comme un produit toxique", affirmait Laurent Duplomb en janvier dernier sur Public Sénat. En juin, sur TF1, la ministre de l'Agriculture Annie Genevard déclarait que cet insecticide est "autorisé partout en Europe parce qu'il n'a pas été jugé par les scientifiques européens comme dangereux pour l'environnement et pour la santé humaine".

L'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), dans un avis de 2013, s'interrogeait sur la non-toxicité neurodéveloppementale de l'acétamipride, c'est-à-dire le risque d'un effet nocif sur le cerveau lors de son développement chez un fœtus ou un enfant. Elle estimait qu'elle n'était pas suffisamment documentée par l'industriel et qu'une autre étude devait être menée.

Cet insecticide peut affecter "le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire", notait l'organisme. Il a réécrit la même chose en 2022, demandant à nouveau des études complémentaires...

L'année dernière, l'Efsa a tout de même conseillé de diviser par cinq les doses journalières admissibles d’acétamipride, estimant que le seuil actuel pouvait présenter un risque. "Des incertitudes majeures" demeurent sur les effets neurodéveloppementaux de l'acétamipride, résumait-elle en 2024.

De son côté, lors de travaux menés entre 2016 et 2017, l'Anses estimait que ces études "ne mettent pas en évidence d'effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d'emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché".

Des motifs d'incertitudes

Et pourtant. L'acétamipride "est peut-être le moins toxique des néonicotinoïdes pour les pollinisateurs, les abeilles en particulier, mais c'est probablement, on en a la conviction absolue (la certitude absolue n'existe pas en science), que c'est le plus toxique pour la santé humaine", affirmait en mai dernier Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS en chimie et toxicologie, spécialiste des néonicotinoïdes à 20 Minutes.

Selon lui, de nombreuses études scientifiques ont montré que l'exposition aux néonicotinoïdes pouvait être liée à des problèmes de neuro-développement chez le fœtus, à des cancers, à des malformations cardiaques ou encore à des maladies rénales chroniques.

En fait, le consensus actuel, tel que donné par la littérature scientifique et surtout les diverses autorités sanitaires, se résume largement à l'incertitude, parfois assortie d'appels au respect du principe de précaution.

"Les néonicotinoïdes sont des pesticides qui ont été peu étudiés pour leurs effets pour les humains", a expliqué à l'AFP Sylvie Bortoli, toxicologue à l'Inserm. "La bibliographie reste assez lacunaire par rapport à d'autres pesticides emblématiques comme le DDT ou le glyphosate".

Un corpus de recherches existe néanmoins depuis plusieurs années. Il mêle essentiellement des travaux "in vitro", qui décrivent ce qui se passe quand une cellule est exposée en laboratoire à des néonicotinoïdes, à des études sur des animaux, généralement des souris.

Si ces études appuient l'idée que les néonicotinoïdes présentent des risques potentiels, elles ne permettent pas de conclure définitivement qu'ils jouent réellement un rôle dans des pathologies chez l'humain, du moins au niveau auquel ces produits sont utilisés dans la vie réelle.

Les chercheurs s'accordent sur la nécessité de mener plus d'études épidémiologiques. De telles études évaluent, au sein d'un groupe de personnes, la fréquence de certains troubles en fonction de l'exposition plus ou moins grande à un facteur donné, ici les néonicotinoïdes.

Ces études apporteraient des éléments importants pour savoir si la toxicité, mesurée en laboratoire ou sur des animaux, se traduit réellement par des problèmes de santé dans la population. Et, dans ce cas, elles permettraient de mieux évaluer le risque selon le type d'exposition: chez les agriculteurs, chez les personnes vivant proches d'exploitations, chez les consommateurs d'aliments traités par néonicotinoïdes...

Dans un rapport paru en mai, l'association Génération Futures souligne l'existence de "40 nouvelles études académiques parues en seulement deux ans et indiquant toutes une toxicité de l’acétamipride".

Les "mêmes effets" neurologiques qu'aux abeilles?

Ce qu'il faut savoir, c'est que la spécificité des néonicotinoïdes est de cibler le système nerveux. Par conséquent, se posent des questionnements sur leurs effets neurologiques, en particulier leur rôle potentiel dans des troubles du neurodéveloppement chez l'enfant.

"Tous les êtres vivants qui ont un système central peuvent être sujets aux impacts délétères", affirme Jean-Marc Bonmatin auprès de 20 Minutes.

L'acétamipride agit sur le système nerveux central des abeilles par le biais de récepteurs et les désoriente. Elles vont alors mettre plus de temps à trouver leurs ruches, s'épuiser et mourir. "Les humains ont le même type de récepteurs, on s'attend donc aux mêmes effets", explique à France info Sylvie Bortoli, ingénieure de recherche en toxicologie mécanistique à l'Inserm.

Parmi les études menées, le premier type (dit mécanistique) a notamment montré les effets nocifs des néonicotinoïdes sur les neurones.

Par exemple, une étude, publiée en 2017 dans la revue Environmental Health Perspectives, pointe par exemple un moins bon développement intellectuel des enfants dont les mères ont passé leur grossesse près d'exploitations usant des néonicotinoïdes. Mais l'échantillon reste limité (environ 300 familles californiennes) et d'autres travaux seraient nécessaires pour confirmer cet effet.

Selon une étude de 2019, les néonicotinoïdes, et notamment l'acétamipride, sont capables de passer la barrière du placenta et donc d'atteindre le neurodéveloppement de l'enfant dans le ventre de sa mère. "Certains naissent avec une taille insuffisante, d'autres avec une anencéphalie, soit le manque d'une partie de cerveau", commente auprès de France info Jean-Marc Bonmatin.

Perturbateur endocrinien? Cancérogène?

Outre le potentiel risque neurologique, d'autres études mettent en évidence l'action de l'acétamipride dans d'autres pathologies. En mai dernier, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher affirmait que la substance était un "perturbateur endocrinien".

Comme l'indique Le Monde dans un article, l'exposition au néonicotinoïde peut être associée à une baisse des niveaux de testostérone, selon une étude menée sur des souris mais également sur un échantillon représentatif de la population américaine humaine. Des résultats qui suggèrent donc des propriétés de perturbateur endocrinien.

En outre, comme pour les autres types de pesticides, une question majeure se pose également: est-il associé à un risque plus élevé de cancer? Une étude, publiée en 2022 dans la revue Environment International, a ainsi montré la capacité de l'acétamipride à provoquer des cancers du sein chez la souris.

Sur ce sujet, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer a exprimé son inquiétude dans un communiqué publié le 17 juillet.

"Cette loi est un recul pour la santé publique. L'augmentation rapide de l'incidence de plusieurs cancers chez les moins de 50 ans, près de 80% en trente ans, attire logiquement l'attention sur la responsabilité d'une série de facteurs environnementaux au premier rang desquels certains pesticides" a déploré Éric Solary, professeur d'hématologie à l'Université Paris-Saclay, chercheur à Gustave Roussy et cice-président de la Fondation ARC.

"Dans un tel contexte, la réintroduction de facteurs de risque dans notre environnement quotidien est incompréhensible et injustifiable".

De récentes études préliminaires ont établi des liens entre exposition à des néonicotinoïdes et maladies cardio-métaboliques ou encore à des diabètes gestationnels.

Plus de 1.000 scientifiques, médecins et soignants ont adressé une lettre ouverte au gouvernement dans laquelle ils alertent sur les dangers de l'acétamipride et demandent à ce qu'il ne soit pas réintroduit en France.

"La source principale de contamination reste l'alimentation"

Selon des études, l'une des particularités de l'acétamipride est sa persistance. D'après directeur de recherche au CNRS Philippe Grandcolas à Bon Pote, "ce problème de toxicité pour les humains est aggravé par les caractéristiques de l’acétamipride, molécule restant présente après administration dans l'environnement (la moitié de la substance est toujours présente 79 jours après son administration) et très soluble dans l'eau et voyageant donc avec en dehors des parcelles agricoles traitées, augmentant très fortement l’exposition humaine (l’acétamipride a été retrouvé dans l’eau de pluie au Japon)".

"Nous nous attendions à trouver plus de traces de néonicotinoïdes chez les personnes qui vivent en campagne, mais cela n'a pas été le cas", a également affirmé Jean-Marc Bonmatin, interrogé par France info.

D'après Sylvie Bortoli, "il est possible d'être contaminé par voie respiratoire, quand les produits sont diffusés dans l'air avec la technique de l'épandage; de manière cutanée, quand les agriculteurs ne portent pas de tenue de protection; mais la source principale de contamination reste l'alimentation".

Quelles suites?

Avec plus d'un million de signatures sur la pétition, que va-t-il désormais se passer? Le gouvernement s'est dit ce lundi soir "disponible" pour un nouveau débat au Parlement.

Mais la loi ne sera pas réexaminée sur le fond et encore moins éventuellement abrogée. Aucune pétition n'a jamais été débattue dans l'hémicycle dans l'histoire de la Ve République.

"Je travaille sur les pesticides et je n'ai jamais eu autant de preuves sur les dégâts d'un pesticide qu'avec l'acétamipride", conclut Jean-Marc Bonmatin sur France info.

Selon lui, "la liste ne cesse de s’allonger de découverte en découverte". Les scientifiques s'inquiètent également d'un risque d'"effet cocktail" sur la santé humaine lors de mélange de l'acétamipride avec d'autres pesticides.

Salomé Robles