"Son instinct politique reste très puissant": entre admiration et agacement, l'ombre de Nicolas Sarkozy plane toujours à droite

Nicolas Sarkozy le 24 novembre 2023 à Paris - Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP
Un homme officiellement retiré de la politique, qui regarde avec bienveillance son fils Louis se lancer à Menton et qui attend ce jeudi le jugement du tribunal de Paris de l'affaire des soupçons de financements libyens de sa campagne de 2007. En réalité, plus de 18 ans après son arrivée à l'Élysée, Nicolas Sarkozy est pourtant plus que jamais omniprésent à droite. Le dernier épisode en date: son rendez-vous avec le nouveau locataire de Matignon Sébastien Lecornu, à peine 48 heures après sa nomination.
Le Premier ministre, qui a pourtant du pain sur la planche pour s'assurer de tenir quelques mois à son poste, préfère se rendre rue de Miromesnil dans les bureaux de l'ancien chef de l'État plutôt que d'abord rencontrer les syndicats et les oppositions. Preuve que l'ancien président, reconverti dans les affaires, notamment pour le géant de l'hôtellerie Accor, continue toujours autant de compter.
Le ménager
"C'est un homme libre qui dit ce qu'il pense sans être enfermé dans des obligations, avec une vraie hauteur de vue. C'est forcément quelque chose de précieux quand vous arrivez à Matignon", observe Daniel Fasquelle, vice-président des LR auprès de BFMTV.
"Nicolas Sarkozy est très sensible à ce genre d'attention. Et si ça peut éviter qu'il dise des méchancetés sur Sébastien Lecornu dans quelques mois, c'est tant mieux", lance, plus saignant, un député macroniste passé par la droite.
L'image de Nicolas Sarkozy et son influence, réelle ou supposée, semble à peine s'être écornée dans une partie de la droite ces dernières années. L'ancien président a pourtant été condamné définitivement mi-décembre dans le cadre des affaires des écoutes à porter pendant un an un bracelet électronique.
"Un instinct politique"
Du jamais vu pour un ex-président de la République qui a finalement pu l'enlever quelques mois plus tard du fait de son âge. Dans la foulée, le septuagénaire a également été exclu de la Légion d'honneur, comme le veut la procédure en cas de condamnation égale ou supérieure à un an ferme.
"C'est une humiliation qu'on lui a faite mais ça ne change rien à son statut. Les gens continuent de vouloir entendre sa parole qui reste cash. Et son instinct politique reste très puissant", avance Isabelle Balkany, restée l'une de ses proches.
Le tempo du ballet des amis et courtisans s'est même accéléré ces derniers mois, alimenté par la situation politique particulièrement instable. Mais Nicolas Sarkozy est pourtant loin de tirer toutes les ficelles. Exemple avec la nomination de François Bayrou. L'ex-président, qui affiche une entente cordiale avec Emmanuel Macron, n'avait pas hésité en décembre dernier à se rendre à l'Élysée pour lui dire tout le mal qu'il pensait du maire de Pau. Las: c'est bien le centriste qui est nommé le lendemain.
Un rendez-vous avec Jordan Bardella "pas très élégant"
Parfois, voire même souvent, Nicolas Sarkozy embarrasse. Alors que les vacances d'été se profilent, l'ex-chef de l'État reçoit ainsi Jordan Bardella autour d'un café et de quelques chocolats, son péché mignon. Le jeune homme a de quoi boire du petit lait, lui qui n'a jamais caché son admiration pour l'ancien président, jusqu'à s'afficher en vidéo avec l'un de ses ouvrages. Mais du côté de la droite, la manœuvre passe mal.
"Ce n'était pas très élégant de recevoir celui qui veut nous faire la peau. Mais Nicolas Sarkozy reçoit qui il veut, on ne peut rien y faire même si parfois, on préférerait moins l'entendre", regrette un député européen LR.
Le geste a tout du symbole à la fois pour celui qui avait gagné en 2007 en chassant sur le terrain de Jean-Marie Le Pen mais aussi pour le numéro un du Rassemblement national qui ne rêve que de séduire la droite. Pire encore: par cette rencontre, l'ancien président semble presque adouber le bras droit de Marine Le Pen qui pourrait la remplacer lors de la prochaine présidentielle.
"Il n'a jamais dit qu'il soutenait Jordan Bardella", nuance de son côté Jonas Haddad, le porte-parole adjoint du mouvement, qui juge que les visiteurs de Nicolas Sarkozy cherchent "surtout à entendre son analyse".
Bruno Retailleau, pas sa tasse de thé
En attendant, ce rendez-vous montre aussi que l'ancien président n'a pas que des yeux de velours pour son lointain successeur à la tête de la droite, Bruno Retailleau. Le ministre de l'Intérieur, qui n'a jamais compté parmi ses proches, avait pourtant veillé à recevoir son onction en y mettant les formes.
Lors de sa très large victoire à la tête des LR en mai, son premier coup de fil est directement pour Nicolas Sarkozy. De quoi clôturer des années de froid entre les deux hommes aux natures et aux parcours politiques très différents.
Deux jours plus tard, les deux hommes se retrouvent à Villiers-sur-Marne pour l'hommage à Aurélie Fouquet, une policière municipale tuée en 2010. Sous les yeux de ses proches et de l'état-major de la police, Nicolas Sarkozy évoque "sa joie et sa confiance" en lui.
"Aucun d'entre nous ne prend ses ordres chez lui"
Sans pouvoir s'empêcher de le mettre dans l'embarras quelques mois plus tard. Après l'annonce par François Bayrou du vote de confiance, Bruno Retailleau ne consulte même pas ses troupes avant d'annoncer le soutien de sa famille politique au centriste.
L'ancien président, lui, prend l'exact contre-pied. Alors que le ministre de l'Intérieur plaide pour "la stabilité", Nicolas Sarkozy juge dans les colonnes du Figaro qu'il n'y "aura pas d'autre solution que la dissolution". Pire encore: il demande aux députés de "s'abstenir de voter la confiance". Son conseil ne sera que très partiellement suivi. Seulement 9 députés LR sur 49 finiront par s'abstenir.
"On a tous encore beaucoup d'admiration pour lui. Mais aucun d'entre nous ne prend ses ordres chez lui. C'est toujours facile de donner des consignes de vote quand ce n'est pas vous qui en payez les conséquences derrière", explique un député de droite.
Rares sont les élus du Palais-Bourbon à avoir siégé lors de son quinquennat entre 2007 et 2012. Résultat: Nicolas Sarkozy reste une figure tutélaire mais sans que grand-monde n'ait vraiment l'impression de lui devoir quelque chose. Parmi les 49 députés LR qui siègent à l'Assemblée, seul l'un d'entre eux a d'ailleurs été son ministre: Laurent Wauquiez.
"La rancune tenace"
À droite, pas grand-monde n'a non plus oublié que le président n'avait pas réussi à gagner la primaire LR en 2016 pour représenter son parti à la présidentielle de 2017.
"Disons que ça fait un peu relativiser son côté 'j'ai tout compris et je vais vous expliquer comment faire'", remarque un sénateur de droite, d'autant plus qu'après avoir côtoyé des records de vente, le dernier tome de ses mémoires sorti à l'été 2023 n'a eu qu'un succès modéré.
"On a besoin de son expérience bien sûr mais on doit être capable de proposer des choses à la société d'aujourd'hui et pas à la société de 2007 quand il a été élu", reconnaît encore la députée LR Justine Gruet, l'une des benjamines du groupe.
Sera-t-il plus facile dans les prochaines années de prendre ses distances avec Nicolas Sarkozy? Rien n'est moins sûr. Sifflé pendant un meeting de Valérie Pécresse pendant la campagne de 2022, l'ancien président n'avait pas eu un geste pour sauver sa campagne aux allures de chemin de croix. "Il a la rancune très tenace", assure l'un de ses anciens conseillers. Pas touche donc au totem de la droite.