BFMTV
Les Républicains

"Coup de bluff" ou "calcul de génie": Rachida Dati peut-elle tout perdre en devenant dissidente aux législatives face à Michel Barnier?

Rachida Dati à Paris le 28 juillet 2025

Rachida Dati à Paris le 28 juillet 2025 - THOMAS SAMSON / AFP

La ministre de la Culture compte se présenter contre l'ex-Premier ministre dans une circonscription parisienne à l'automne lors des législatives partielles. La manœuvre pourrait tout autant prendre des airs de rampe de lancement pour les prochaines municipales ou tourner au cauchemar pour elle.

"Je n'y croyais vraiment pas. Et puis finalement, elle l'a fait. Elle ose tout, c'est assez incroyable". Presque 24 heures après l'officialisation de la candidature de Rachida Dati face à Michel Barnier dans le cadre d'une législative partielle à Paris, les Républicains sont estomaqués par le choix de la ministre de la Culture, comme le confie un sénateur à BFMTV.

Sur le papier, celle qui se voit déjà maire de Paris est donc prête à rentrer en dissidence face à l'ancien Premier ministre, officiellement investi par son mouvement ce lundi soir.

"C'est un pari, mais elle a beaucoup de cartes en main. Et puis face à elle qui cavale, Michel Barnier va devoir suivre le rythme. Une élection n'est jamais gagnée d'avance, mais c'est jouable", observe un proche de l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy.

Une candidature fondée sur "des malentendus"

Rembobinons quelques instants. Depuis ces derniers jours, tous les regards de la droite sont tournés vers la 2e circonscription de la capitale. Le député sortant, Jean Laussucq, un proche de Rachida Dati, a vu son élection annulée par le Conseil constitutionnel.

Très vite, l'ancien Premier ministre sort du bois pour manifester son intérêt. De quoi agacer la ministre de la Culture, qui voit cette arrivée d'un mauvais œil, puisque la circonscription couvre en partie le 7e arrondissement, dont elle est toujours maire. D'autant que l'élue considère Michel Barnier comme un éventuel plan B pour la mairie de Paris si elle était empêchée par le spectre des affaires judiciaires et notamment son renvoi devant la justice pour "corruption" et "trafic d'influence".

Tout en laissant planer le doute sur une éventuelle candidature, celle qui s'est fait connaître pour son style bulldozer n'a pas tout de suite annoncé son entrée en campagne. Mais ce lundi soir, devant la commission nationale d'investiture, Rachida Dati a indiqué qu'elle serait "quoi qu'il arrive candidate" pour cette législative. Et tant pis si elle n'a jamais fait officiellement acte de candidature devant son parti et que c'est bien Michel Barnier qui a été désigné officiellement par les LR pour les représenter.

"Depuis des semaines, on sent un malaise entre la droite parisienne et Rachida Dati. Sa candidature, ça montre qu'il y a eu des malentendus, pas assez de discussion et qu'elle aimerait qu'on la soutienne vraiment" sous-titre le sénateur LR Roger Karoutchi.

Un simple bras de fer?

Faut-il comprendre que sa candidature aux législatives n'a en réalité que pour but de forcer les LR de la capitale à la soutenir pour les municipales? La question se pose alors même que certains ténors de la droite parisienne l'exhortent à se présenter lors d'une primaire interne à l'image du maire du 17e arrondissement Geoffroy Boulard et que d'autres comme le sénateur Francis Szpiner envisagent de se présenter contre elle.

C'est en tout cas l'hypothèse d'une grande partie du mouvement. Sous l'impulsion de Bruno Retailleau, le nouveau patron du parti, la commission d'investiture s'est fendue dans la foulée d'un communiqué de presse assurant que la maire du 7e arrondissement était "la mieux placée pour incarner l'alternance" à Paris. De quoi rassurer la ministre de la Culture et la pousser à terme à retirer sa candidature pour les législatives?

"Elle ne sait marcher que par le rapport de force, le coup de poing. Elle trouve qu'on la soutient pas assez pour récupérer l'Hôtel de ville. Donc elle nous tord le bras et ça marche. Et elle va réussir à avoir tout le monde de son côté. Le calcul confie au génie politique", juge un député LR.

"Qui croit qu'elle veut vraiment devenir députée? Non, elle veut devenir maire de Paris. Bien sûr que son coup de pression, c'est juste une monnaie d'échange et à la fin un coup de bluff", partage l'un de ses collègues, plus laconique.

"Si elle rentre dans la danse, c'est qu'elle croit à ses chances"

S'effacer n'est pourtant guère dans les habitudes de Rachida Dati, à l'exception notable de 2012, où dans la même circonscription, elle avait fait planer le risque d'une candidature dissidente face à l'ex-Premier ministre François Fillon, officiellement investi lui aussi à l'époque par la droite.

"L'histoire ressemble, mais ça n'a rien à avoir", remarque un élu parisien du groupe Changer Paris. Sur le papier, la maire du 7e arrondissement a en effet ses chances, entre un sondage à prendre avec précaution qui la donne élue au second tour face à Michel Barnier, une gauche qui cherche pour l'instant un volontaire prêt à déjouer le match des titans à droite et Renaissance qui pourrait ne pas présenter de candidat. Sans compter que dans le camp de Rachida Dati, beaucoup jugent que l'âge de son concurrent, 74 ans au compteur, est un sérieux handicap.

Surtout, Rachida Dati joue très gros. En cas de défaite aux législatives en octobre prochain, sa candidature aux municipales serait très sérieusement compromise.

"Si elle rentre dans la danse, c'est qu'elle croit à ses chances de gagner. Sinon, elle n'y serait pas allée", reconnaît un membre du bureau national des LR.

Une atmosphère de "boules puantes"

Dès lors, plusieurs scénarios sont la table. Le premier: l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy juge dans les prochaines semaines que la situation localement lui est toujours très favorable en dépit du bras de fer avec Michel Barnier. Elle déposera alors officiellement sa candidature en préfecture. S'ouvrira alors une campagne qui risque de tourner très vite au massacre.

"Ce sera des semaines très sales, remplies de boules puantes. Ce n'est pas grave si la prochaine fois qu'on vote pour vous, c'est 5 ans plus tard mais là, elle enchaînera sur les municipales. Il ne faut pas non plus que ce soit trop sanglant. On ne doit pas effrayer les électeurs", reconnaît un conseiller de Paris.

Si Rachida Dati gagne, elle pourra se prévaloir d'une belle rampe de lancement qui pourrait faire passer au second plan ses ennuis judiciaires. Mais si elle perd et que Michel Barnier gagne, sa candidature aura du plomb dans l'aile. Quant à la possibilité que la ministre de la Culture perde tout comme l'ancien Premier ministre, elle a tout du cauchemar pour la droite. Depuis des mois, Bruno Retailleau fait savoir que les LR sont de retour et une défaite très médiatisée n'augurerait rien de bon pour les municipales à Paris comme ailleurs en France.

"Et surtout, on pourrait être sûr qu'on jouerait pendant des semaines les guerres fratricides dont on a la spécialité. Franchement, si on peut se passer de ça avant la prochaine présidentielle, ce serait bien", tance un sénateur proche de Michel Barnier.

L'espoir d'un "accord"

Seconde option: le retrait de la course de la part de Rachida Dati d'ici la fin août. C'est la piste privilégiée par Agnès Evren, la présidente de la fédération LR de Paris, qui espère "trouver d'ici la rentrée un accord" avec elle.

Concrètement, cela signifierait que tous les élus d'arrondissement LR se mettraient derrière elle pour les municipales et que la droite parisienne s'engagerait à mouiller la chemise pour la faire gagner. En échange, Rachida Dati devrait leur faire de la place, même à ceux avec qui les relations sont tendues.

Troisième piste: persister et signer dans sa démarche de candidate pour faire monter les enchères et s'assurer à 100% du soutien de la droite, tétanisée par une éventuelle guerre des chefs. Quitte à se retirer finalement dans la dernière ligne droite.

Et le scénario catastrophe: se maintenir, perdre, et devoir abandonner la course pour l'Hôtel de ville.

"Dès qu'elle pense qu'on décide pour elle, elle mord. Donc je suis incapable de dire ce qu'elle va faire jusqu'au bout. Même elle, je ne suis pas sûre qu'elle le sache vraiment", reconnaît déjà un sénateur.

Marie-Pierre Bourgeois