BFMTV
Politique

Les ministres ont-ils du mal à exister?

Le gouvernement Philippe II.

Le gouvernement Philippe II. - LUDOVIC MARIN / AFP

En raison d'une conception verticale du pouvoir d'Emmanuel Macron et de leurs profils technocratiques, les ministres issus de la société civile peinent à s'imposer dans l'opinion.

Ils "n'impriment" pas: comprendre, dans le jargon élyséen, que certains ministres, un an après avoir décroché un maroquin, ne sont pas plus connus aujourd'hui que lorsqu'ils ont quitté la "société civile", dans laquelle Emmanuel Macron a pioché pour composer son gouvernement. Pire, certains le sont en mal.

Transparence

C'est par exemple le cas de la ministre des Transports Élisabeth Borne. L'ancienne patronne de la RATP, en plein bras de fer avec les syndicats de la SNCF, est jugée "trop raide, trop technocratique et pas assez politique" jusque dans la majorité. Correspondant au profil technocratique d'un bon nombre de ces ministres venus de la "société civile", la Garde des Sceaux Nicole Belloubet a quant à elle été bousculée lors de la grogne des personnels pénitentiaires.

La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, allie quant à elle "méconnaissance des dossiers" et "manque d'aisance médiatique", selon des propos de macronistes rapportés par Le Monde. "Alors qu’Agnès Buzyn (ministre des Solidarités et de la Santé, NDLR.) devrait porter une parole sociale, on ne l’entend pas", ajoute dans le même journal un député LaRem.

"Dans la respiration de la politique et de l’exécutif, c’est absolument nécessaire que ça change, pour x et y raisons: certains veulent partir, d’autres ne sont peut-être pas à la bonne place", remarque sur notre antenne François-Michel Lambert, député LaRem des Bouches-du-Rhône, alors qu'enfle la rumeur d'un remaniement, qui acterait notamment le départ de l'écologiste Nicolas Hulot, relativement effacé au sein du gouvernement.

Technocratie

Certes, le ministre Jean-Michel Blanquer à l'Éducation nationale ou la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa à l'Égalité entre les femmes et les hommes ont su s'imposer parmi les ministres et ont percé dans l'opinion, le premier étant même invité de L'Émission politique sur France 2, d'ordinaire réservée à des "poids lourds". La ministre du Travail Muriel Pénicaud a également tenu le choc sur la réforme du Code du travail en début de quinquennat, il est vrai épaulée par l'Élysée.

Le tableau n'est donc pas complètement noir, mais le manque de profils "politiques" au sein du gouvernement peut faire courir au chef de l'Etat le risque de prendre directement les coups:

"Quand vous donnez un poste à un technicien identifié dans son secteur, mais qui s'avère capable de mener le débat médiatique, vous n'êtes pas obligé d'être épaulé par l'Élysée ou Matignon. C'est le cas de Jean-Michel Blanquer à l'Éducation nationale", expliquait à nos confrères du Figaro le politologue Jérôme Sainte-Marie. "En revanche, quand vous êtes plus transparent, cet écran ne fonctionne plus. L'exécutif est fragilisé, surtout quand il devient impopulaire."

"Rameurs"

Le risque est d'autant plus grand que les "affranchis" de la politique ne brillent pas au gouvernement: sans François Bayrou, éjecté dès les premières semaines du quinquennat, le chef de l'Etat ne trouve en Jean-Yves Le Drian qu'un relais timide. De moindre envergure, Jacques Mézard à la Cohésion des territoires ou Stéphane Travert à l'Agriculture sont également extrêmement discrets. 

"Nous n’avons aucun regret sur les choix des ministres", assure pourtant l'Élysée.

"Je n'ai pas besoin de barreurs mais de rameurs", expliquerait en privé le président de la République, selon Le Monde.

Emmanuel Macron, qui revendique une conception très verticale - "jupitérienne" - de sa fonction, n'est pas encombré par les ambitions politiques de ses ministres, comme a pu l'être François Hollande.

Autrement dit, ce président appelant de ses vœux un retour aux sources de la Ve République dans l'exercice du pouvoir se contente très bien d'en être l'unique incarnation, comme l'explique au Monde le directeur général délégué de l’institut Ipsos, Brice Teinturier:

"Le fait que les ministres ne soient pas connus ne dérange pas les Français. Cela correspond à un mouvement de fond qui est celui de la dépolitisation de la société française." Ou à la victoire dans l'opinion d'un camp se revendiquant du "pragmatisme" et pourfendant "l'idéologie".

Louis Nadau