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Le Conseil constitutionnel va-t-il bloquer la réforme des retraites? Les scénarios possibles

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Les Sages rendront ce vendredi leur décision sur la retraite à 64 ans. Si beaucoup de constitutionnalistes ne croient guère à la possibilité d'une censure totale de la réforme, la piste d'une censure partielle et de la validation du référendum d'initiative partagée tiennent la corde.

Rarement une décision du Conseil constitutionnel aura suscité une telle attente: les Sages, dont l'indépendance est parfois contestée, se prononceront ce vendredi sur la réforme des retraites voulue par l'exécutif et sur la proposition de référendum d'initiative partagée portée par les opposants. Plusieurs verdicts sont possibles.

• Scénario 1: le Conseil constitutionnel valide entièrement la réforme

Cette option signifierait que les membres du Conseil constitutionnel n'ont rien trouvé à redire au projet de loi qui serait alors jugé totalement conforme à la Constitution, à la fois sur le fond du texte et sur les moyens législatifs utilisés pour le faire adopter.

Cette possibilité est jugée la moins probable par les spécialistes du droit public.

"C'est quasiment impossible que les Sages disent oui à tout le texte", estime le constitutionnaliste Paul Cassia auprès de BFMTV.com. "On serait dans quelque chose d'inédit face à une réforme qui a été ficelée juridiquement à la va-vite."

Ce qui peut se passer ensuite. Dans le cas d'une validation totale, le gouvernement promulguerait la loi dans les deux semaines, avec une volonté d'application "à l'été 2023".

"Peut-être qu’il n’y aura pas de porte de sortie et que cette loi sera promulguée et qu’elle s’appliquera", a reconnu le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, la semaine passée sur BFMTV.

Mais les syndicats pourraient malgré tout saisir le Conseil d'État pour contester les décrets d'application précisant les modalités de la réforme. "Les décrets d’application devront être écrits et ils sont extrêmement importants car quand on touche aux décrets, on touche à la vie des gens", a noté Laurent Berger.

Les partenaires sociaux avaient ainsi saisi largement retardé une réforme controversée de l'assurance chômage, grâce à de tels recours devant le Conseil d'État.

• Scénario 2: le Conseil constitutionnel censure partiellement le texte

Deuxième possibilité sur la table, considérée comme la plus crédible par les spécialistes: les Sages jugent qu'une partie de la loi n'est pas conforme à la Constitution.

Parmi les motifs de rejet possibles, ce qu'on appelle les "cavaliers budgétaires". Toutes les dispositions du budget de la sécurité sociale rectificatif - le véhicule choisi par le gouvernement pour la réforme des retraites - doivent être en rapport avec la protection sociale.

Mais plusieurs éléments posent question: l'expérimentation du CDI senior est-elle vraiment liée au financement de la sécurité sociale en France? L'index senior qui vise à mesurer l'emploi des seniors dans les entreprises a-t-il également sa place dans le texte?

"Tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire", a rappelé de son côté Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel dès le mois de janvier.

Ce qui peut se passer ensuite. Une censure partielle ne serait pas forcément une si mauvaise nouvelle pour l'exécutif, à condition que l'élément principal de la réforme, le recul de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, soit validé. Le gouvernement pourrait ainsi promulguer dans les deux semaines qui suivent la loi expurgée des passages censurés avant que les syndicats ne tentent leur chance devant le Conseil d'État.

"S'il y a censure de points (...) mais pas des 64 ans, alors ça ne répondra en rien à la conflictualité sociale", a prévenu le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger.

• Scénario 3: le Conseil constitutionnel censure totalement le texte

C'est l'option qu'appellent de leurs vœux les parlementaires de gauche et le groupe Liot à l'Assemblée nationale. La censure entière du texte signifierait que le Conseil constitutionnel a jugé le projet de loi entièrement non-conforme à la Constitution.

Les opposants arguent que les parlementaires n’ont pas toujours obtenu de réponses précises à leurs questions, que ce soit sur le nombre de personnes avec "une carrière complète au Smic" qui pourraient toucher 1200 euros de pension ou l'âge précis de départ pour les carrières longues. De quoi remettre en cause la question de "la clarté de la loi".

"La clarté du débat n'a pas été respectée de manière manifeste, grave et répétée, au point que le Conseil pourrait dire que la loi n’a pas respecté la procédure parlementaire ordinaire. Et donc censurer la loi", a jugé le constitutionnaliste Dominique Rousseau auprès de Public Sénat.

Autre question qui peut pousser les Sages à censurer entièrement le texte: celle d'un manque de "sincérité des débats parlementaires". Pour parvenir à faire adopter la réforme des retraites, le gouvernement a multiplié le recours à différents outils de la Constitution: un 49.3 à l'Assemblée nationale en seconde lecture, un vote bloqué au Sénat avec l'article 44.3, le tout sur fond de 47.1 pour limiter le temps des débats au Parlement.

Si toutes ces procédures sont bien sûr légales, plusieurs constitutionnalistes s'interrogent sur leur multiplication. "La procédure suivie par l'ensemble du projet de loi sur la réforme des retraites est inédite", décrypte la professeure de droit public Laureline Fontaine. "Le 47.1 n'avait par exemple jamais été utilisé de toute l'histoire de notre Constitution. Ça pourrait donner l'occasion au Conseil de dire quelque chose de particulier."

Le diagnostic est loin de faire l'unanimité dans les rangs des spécialistes, d'autant plus que la censure totale d'une loi est extrêmement rare. Le professeur de droit Bastien François souligne ainsi que le Conseil constitutionnel peut estimer que ce n'est pas à lui mais au "Parlement de faire lui-même la police de son débat".

Ce qui peut se passer ensuite En cas de censure totale du texte, le gouvernement serait contraint de repartir de zéro. Autant dire un cataclysme politique pour l'exécutif qui peine à sortir du marasme créé par la réforme des retraites.

"Il n'y a pas de plus mauvaise nouvelle pour nous", soupire un député macroniste. "Ça voudrait dire qu'on a braqué tout le monde pour pouvoir finalement ne rien faire. C'est vraiment le scénario catastrophe."

• Scénario bonus: le Conseil constitutionnel valide la réforme ET le référendum d'initiative partagée

C'est l'autre volet de la décision du Conseil constitutionnel qui est très attendue: les Sages devront dire si la demande de référendum d'initiative partagée (RIP) déposée par les parlementaires de gauche pour contester la réforme est recevable. Les initiateurs veulent soumettre au vote des Français une proposition de loi qui prévoit que l'âge de départ à la retraite ne puisse pas dépasser les 62 ans.

Les membres du Conseil constitutionnel doivent notamment juger si la consultation souhaitée porte sur les domaines de "l'organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et aux services publics qui y concourent".

Les Sages peuvent-ils valider à la fois la retraite à 64 ans et ce RIP? Sur ce point, les avis des spécialistes divergent. Les conditions requises pour le référendum (signatures de parlementaires, champ de la proposition...) semblent réunies et le feu vert au RIP est "probable", considère Lauréline Fontaine auprès de l'AFP.

Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, et Jean-Pierre Camby, professeur associé à l'université Paris-Saclay, alertent toutefois dans Le Figaro: l'injonction d'un âge de départ qui "ne peut pas être fixé au-delà de 62 ans" pourrait "contraindre la loi future" et faire tiquer les Sages.

Craignant de voir sa première demande de RIP invalidée à cause de formulations jugées maladroites, la Nupes a d'ores et déjà déposé ce jeudi soir une deuxième demande.

Ce qui peut se passer ensuite. La suite de la procédure serait longue. Il faudrait d'abord que la demande de référendum parvienne à récolter la signature d'un "dixième des électeurs", soit 4,87 millions de personnes dans un délai de 9 mois.

Pendant ce temps, "le RIP ne gèle pas l'application de la loi", rappelle le constitutionnaliste Paul Cassia, un avis partagé par l'immense majorité de ses collègues. Très concrètement, Emmanuel Macron pourrait donc bien promulguer la réforme des retraites et la faire appliquer "à l'été" tandis que la collecte des signatures serait en cours.

Mais politiquement, l'affaire serait intenable. Le gouvernement pourrait-il vraiment appliquer sa réforme en laissant toute la gauche à la chasse aux signatures, avec le risque de remobiliser les opposants dans la rue? "Il serait souhaitable" qu'Emmanuel Macron mette la réforme sur pause pour "éviter tout conflit avec la procédure référendaire et apaiser la colère citoyenne", juge de son côté constitutionnaliste Dominique Rousseau dans les colonnes du Monde.

Marie-Pierre Bourgeois