"Idiot", "mauvaise méthode", "à contre-temps": au sein de la majorité, la tribune sur la taxe carbone hérisse

L'Assemblée nationale le 18 décembre 2018. - Lionel BONAVENTURE / AFP
Mauvais timing? Depuis la publication mardi, dans les colonnes du Figaro, d'une tribune appelant au rétablissement d'une taxe sur les carburants, la majorité est traversée (à nouveau) par des courants contraires.
Cet impôt, qui à bien des égards a joué le rôle de déclencheur du mouvement des gilets jaunes, revient au cœur des discussions. Certains membres du gouvernement, à commencer par le ministre de la Transition écologique François de Rugy, ont réaffirmé leur soutien au principe d'une taxe carbone. "C'est sur la table. C'est le moment ou jamais d'en débattre", a-t-il déclaré mardi sur Europe 1.
"On s'est fait instrumentaliser par Orphelin"
La tribune, intitulée "Trouvons une fiscalité carbone équitable" et signée par 86 députés (la plupart issus du groupe La République en marche), a une histoire particulière. Rédigée il y a plus d'une semaine, elle a été en grande partie initiée par Matthieu Orphelin, élu de Maine-et-Loire qui, avant que le texte ne soit publié, a quitté la majorité. Une décision prise en raison de ses désaccords grandissants avec LaREM et le gouvernement sur le "bon rythme" à adopter sur les questions environnementales.
Résultat: la tribune paraît dans un grand quotidien national alors que son initiateur a pris acte de sa brouille idéologique avec le mouvement présidentiel.
"On s’est fait instrumentaliser par Orphelin. Ce n’est pas la même chose de soutenir la tribune d’un collègue que d’un député en dissidence. C’est la dernière fois que je le soutiens", s'est plaint l'un des signataires auprès de BFMTV.
"On est au milieu du guet"
Au-delà du cas spécifique du député proche de Nicolas Hulot, il y a les profondes divergences de vue sur l'opportunité d'une taxe carbone. À tout le moins, du fait d'en parler un mois avant que ne prenne fin le grand débat national. Un souci de temporalité pointé du doigt par le député de Charente Thomas Mesnier sur La Chaîne parlementaire.
"C'est trop tôt. Si le grand débat débouche sur une convergence pour prendre une nouvelle mesure de ce type, pourquoi pas, mais là on est au milieu du guet. Et je n'ai pas l'impression qu'il y a une appétence particulière pour la taxe carbone", ironise auprès de BFMTV.com Jean-Baptiste Djebbari, porte-parole du groupe LaREM au palais Bourbon.
Le député de la Haute-Vienne rappelle néanmoins que la suppression de la hausse de la taxe carbone pour l'année 2019 va, de fait, générer un manque à gagner de plusieurs milliards d'euros pour les finances publiques.
Des signataires "missionnés par Bercy"
"C'est idiot, c'est à contre-temps; ces députés veulent seulement exister", fustigeait ce matin un élu LaREM auprès de BFMTV.
"Ce n'est ni la bonne méthode, ni le bon timing. C'est la mèche qui allume le feu, donc soit on est rationnel et on voit ce qui peut vraiment fonctionner, soit on panique en se disant 'merde, on n'en fait pas assez par rapport à ce qui se fait à l'étranger'", résume un autre auprès de BFMTV.com.
D'après cette source, les députés signataires ont été entraînés à la fois par ceux qu'il qualifie d'"écolos naïfs" et par les agents du ministère des Finances:
"Parmi les signataires, il y en a qui sont missionnés par Bercy. Parce que Bercy flippe à l'idée de devoir combler les trous, et se raccroche à la matière fiscale."
Une autre députée, agacée par le texte publié par Le Figaro, souffle: "Le moment n'est pas à la décision mais au dialogue. Et puis ce n'est pas une taxe qui va changer la donne, il faut recréer tout un écosystème."
"Il faudra passer par une réflexion sur ce sujet"
Jean-Baptiste Moreau, député LaREM de la Creuse soucieux de répondre aux attentes et inquiétudes des Français ruraux, tient à ce qu'un tel impôt soit "juste". S'il n'a pas signé la tribune, il n'y est pas hostile par principe.
"Il faut imaginer des compensations, que chacun paie selon ses moyens. Car taxe carbone ou pas, le prix des énergies fossiles va augmenter de manière exponentielle dans les années à venir. Donc quoi qu'il arrive, il faudra en passer par une réflexion sur ce sujet, sans pour autant rétablir une fiscalité verte telle qu'on le faisait auparavant", explique cet élu proche de l'exécutif.
C'est cette position qu'a plus ou moins défendue le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, interrogé sur une hypothétique "nouvelle mouture" de la taxe carbone. Le but de l'exécutif: faire en sorte que la transition écologique ne soit "pas l'ennemie de ceux qui ont des kilomètres à faire chaque jour pour pouvoir exercer leur métier". "Nous ne sortirons pas d'une crise qui a débuté par un impôt supplémentaire en en créant un nouveau", a-t-il ensuite précisé. Débat clos?