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Thérapies de conversion: contrairement à ce qu'il affirme, Bruno Retailleau n'a pas voté pour leur interdiction

Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, invité de BFM Politique, dimanche 29 juin 2025

Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, invité de BFM Politique, dimanche 29 juin 2025 - BFMTV

Le ministre de l'Intérieur a expliqué sur BFMTV ce dimanche "n'avoir jamais refusé d'interdire les thérapies de conversion". Bruno Retailleau a pourtant bien voté contre une proposition de loi allant dans ce sens en 2021. Pour justifier son vote, il évoque la question de la transidentité des mineurs qui n'apparaissait pas dans ce texte.

Des positions conservatrices désormais gênantes? La nouvelle étoile des Républicains Bruno Retailleau, qui ne fait plus guère mystère de ses ambitions pour l'élection présidentielle en 2027, a été interrogé ce dimanche sur BFMTV sur une proposition de loi votée par le Sénat en décembre 2021 pour interdire les "thérapies de conversion".

À l'époque, le ministre de l'Intérieur était le président des sénateurs LR. À l'issue de débats marqués par de vives tensions entre la droite et la gauche, le Sénat avait fini par adopter ce texte qui interdit ces pratiques, souvent organisées à huis clos, pour modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.

"Je n'ai jamais refusé d'interdire les thérapies de conversion"

Elles sont désormais interdites en France depuis l'adoption définitive de ce texte en 2022 et sont "assimilables à de la torture", selon un rapport présenté au Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2020.

"Je n'ai jamais refusé d'interdire les thérapies de conversion", a expliqué Bruno Retailleau sur notre antenne ce 29 juin.

Problème: le ministre de l'Intérieur a bien voté contre cette proposition de loi portée par la gauche sénatoriale, comme l'indique le scrutin public qu'on peut trouver sur le site du Sénat.

27 autres sénateurs LR ont voté contre ce texte, dont deux proches de Bruno Retailleau, les sénatrices Laurence Garnier, ex-secrétaire d'État sous Michel Barnier, et Jacqueline Eustache-Brinio. Elles sont désormais membres du nouvel organigramme du parti de droite depuis le week-end dernier.

La question de l'identité de genre au cœur des réticences du ministre

La proposition de loi débattue au Sénat en 2021, puis son adoption en 2022, a permis de créer un délit punissant de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende "les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale".

Ce texte précise encore que des peines similaires sont encourues pour les personnes qui donnent "des consultations" ou prescrivent "des traitements en prétendant pouvoir modifier ou réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée".

Ces débats ont été considérés par une partie de la droite sénatoriale comme l'occasion de mettre sur la table la transidentité.

"C'était un texte où on a porté un amendement qui était important pour moi, un amendement qui devait s'opposer à ce que pour des mineurs, on leur donne notamment des bloqueurs de puberté", a ainsi expliqué Bruno Retailleau sur BFMTV.

Interrogations chez les mineurs

La sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio avait en effet déposé des amendements pour supprimer la notion "d'identité de genre" de la proposition de loi, sans s'opposer à l'ensemble du texte.

"Sommes-nous contraints de céder à tous les courants, à toutes les pressions et à tous les lobbies qui viennent nous imposer des modèles de société? Je ne le pense pas", avait-elle lancé à la tribune.

Si la question du processus médical pour changer de genre n'apparaissait pas du tout dans cette proposition de loi, une partie de la droite sénatoriale ne souhaitait pas voter un texte faisant apparaître noir sur blanc la question d'identité de genre. Bruno Retailleau pose, lui, un sujet connexe sur la table: la question de la transidentité chez les mineurs.

"Il s'agissait tout simplement de dire stop" à ce que des jeunes puissent "recourir, notamment pour se transformer, à des opérations qui peuvent obérer leur avenir. On ne peut pas (faire ça) quand on n'est pas encore complètement mûr", a encore expliqué Bruno Retailleau sur BFMTV.

"Il faut réserver un temps de réflexion, il faut réserver la majorité. Et rien d'autre", a ensuite insisté le ministre de l'Intérieur.

Consentement de l'adolescent et des parents

Il n'existe actuellement pas de données précises pour indiquer combien de jeunes sont concernés, comme l'explique un rapport de la Haute autorité de santé publié en 2022.

Ce travail explique également qu'il n'existe pas de preuve montrant que la volonté de changer de genre serait plus courante chez les adolescents que dans le reste de la population tout en soulignant "l'augmentation de la fréquence de consultations des adolescents pour traitement ces dernières années".

Le parcours des transitions des mineurs repose notamment sur les traitements hormonaux qui "sont le plus souvent prescrits autour de l'âge de 15 ans", peut-on encore y lire. "Dans ce cas, il s'agit de traitements dont l'impact est en partie irréversible" comme sur la voix. Le consentement de l'adolescent et des deux parents sont toujours requis.

Quant à la chirurgie de réassignation génitale du sexe masculin au sexe féminin, elle ne peut être pas pratiquée avant 18 ans. Il existe cependant le cas de mastectomie, qui correspond à l'ablation de la glande mammaire, et qui peut être pratiquée de façon très rare avant la majorité. Là encore, cette opération ne peut se faire sans l'accord des parents et de l'adolescent.

Moins de 10.000 personnes concernées

On estime aujourd'hui que 8.952 personnes sont suivies par un médecin pour leur transidentité et bénéficient de l'affection longue durée (ALD, d'après des chiffres de la caisse nationale d'assurance maladie). Les mineurs représentent 3,3% des titulaires d'une ALD. Près de 70% des bénéficiaires ont entre 18 et 35 ans.

En mai 2024, les sénateurs ont adopté une proposition de loi visant "à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre". Elle a été déposée par Jacqueline Eustache-Brinio, désormais vice-présidente des LR, et votée à l'unanimité par le groupe LR dont Bruno Retailleau.

Elle cherche à interdire aux professionnels de santé de prescrire aux mineurs, dans le cadre de telles prises en charge, des bloqueurs de puberté, ainsi que des traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre auquel le mineur s'identifie comme le changement de voix ou la pilosité.

Elle interdit également la réalisation d'opérations chirurgicales de réassignation sexuelle aux moins de 18 ans, comme c'est déjà le cas pour les opérations génitales.

Les associations LGBT avaient alors regretté un texte d'une "énorme violence", dénonçant un texte qui cherchait à "ramener la transidentité dans le champ de la maladie mentale". Depuis la dissolution à l'été 2024, cette proposition de loi est au point mort.

Marie-Pierre Bourgeois