"Elle ne fait rien comme tout le monde": pourquoi Rachida Dati a snobé les spectacles au festival d'Avignon

La ministre de la Culture a plié à la tradition en se rendant ce 24 juillet dans la Cité des Papes mais a veillé à éviter les moments qui auraient pu tourner au grabuge avec des artistes en colère. Depuis son arrivée, rue de Valois, elle imprime sa marque et prend volontairement le contre-pied de ses prédécesseurs.

Le plus grand festival de théâtre du monde, près de 15.000 représentations, des milliers de touristes mais pas de ministre de la Culture. Rachida Dati n'a pas déambulé ce jeudi dans les allées du festival d'Avignon, ni assisté à un spectacle- une rareté depuis la création du ministère en 1959.

À la place, la locataire de la rue de Valois est bien venue dans la commune mais loin des planches. Direction une maison de retraite qui accueille un centre d’art avec des œuvres d'art de la prestigieuse collection du galeriste Yvon Lambert après une étape dans un espace social et culturel et un rendez-vous avec les metteurs en scène Mohamed El Khatib et Tiago Rodrigues, également directeur du festival.

"Casseroles" et "bruit" pour contrer Rachida Dati

Exit donc les belles images aux côtés des artistes dans la Cour des Papes qui accueille de prestigieuses pièces. Exit aussi les envolées lyriques pour saluer l'âme du théâtre ... Mais aussi, peut-être, des photos moins heureuses à deux jours de la fin du festival. La CGT Spectacle avait ainsi appelé à "venir avec des casseroles" et à "faire du bruit" pour accueillir la ministre, sans vraiment trop y croire.

"Comme on s'en doutait, elle considère peu nos métiers et nos travaux donc je ne sais même pas si elle assistera à un spectacle", prévoyait en amont Maxime Séchaud-Do Dang, le secrétaire général adjoint de la CGT Spectacle auprès de France bleu. Son syndicat a par ailleurs refusé une entrevue avec la ministre. Le cabinet de Rachida Dati n'a, par ailleurs, pas répondu aux sollicitations de BFMTV.

"Le risque de mauvaises images"

Plus largement, la centrale avait demandé aux compagnies d'arrêter de jouer si Rachida Dati venait assister à une représentation, le tout sur fond de plusieurs mobilisations pour dénoncer "les politiques d'austérité qui détruisent la culture".

"Ce genre de promesse n'est franchement pas engageante. Même si la ministre a un caractère pugnace, on peut comprendre que le risque de mauvaises images soit à considérer", observe la députée Renaissance Céline Calvez et vice-présidente de la commission culture à l'Assemblée auprès de BFMTV.

D'autant plus que Rachida Dati traverse déjà une mauvaise passe alors qu'elle est renvoyée devant la justice pour "recel d'abus de pouvoir et de confiance" et "corruption et trafic d'influence".

L'an dernier, la locataire de la rue de Valois n'avait cependant pas non plus été à la rencontre des artistes, rompant avec une tradition lancée par le premier ministre de la Culture André Malraux. Mais faut-il vraiment être surpris? Depuis sa nomination, Rachida Dati a choisi le contrepied de ses prédécesseurs. Nommée à la surprise générale à ce poste en janvier 2024, débauchée directement par Emmanuel Macron, elle a choisi depuis le départ de faire les choses à sa façon.

Pour son premier déplacement, l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy évite les lieux déjà très identifiés et prend la direction des Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, qui n'ont évidemment pas été choisis par hasard. Pensée comme une sorte de "Villa Médicis" pour la Seine-Saint-Denis après les émeutes de 2005, cet établissement culturel a finalement ouvert avec 10 ans de retard et accueille des artistes en résidence.

Sous la protection d'Emmanuel Macron

Accueillie comme une quasi rock star, Rachia Dati se paie même le luxe de se voir accompagnée d'Emmanuel Macron - le geste, rare pour un ministre fraîchement nommé, vise à la fois à donner un élan à Rachida Dati, peu connaisseuse des politiques culturelles, et à asseoir le choix présidentiel.

Depuis, la ministre de la Culture trace sa route et choque parfois les tenants du classicisme. Pour l'une de ses toutes premières prises de paroles médiatiques, elle décide ainsi de s'exprimer dans le DVM show, une émission consacrée au rap sur Twitch. De quoi dérouter une partie du camp présidentiel, de la droite et du Rassemblement national. Quelques semaines plus tard, Rachida Dati persiste et signe et se rend ainsi au micro de Planète rap sur Skyrock.

Sa prédécesseure Roselyne Bachelot avait par exemple fait ses premiers pas de ministre de la Culture en visitant le Louvre en 2020. La première ministre de la Culture d'Emmanuel Macron, Françoise Nyssen, avait, elle, été au printemps des Comédiens de Montpellier, une institution du monde du théâtre avant de s'exprimer dans les colonnes du Parisien pour lancer l'ouverture des bibliothèques le dimanche et le pass culture.

"Faire hurler certains bourgeois"

Rachida Dati, a, elle, dévoilé ces dernières semaines un été culturel "au cœur des territoires et des campings", accompagnée du réalisateur du film Camping, Fabien Onteniente. Au menu notamment: "la caravane des jeunes estivants" avec des artistes qui vont s'installer dans une trentaine de campings au cours de l’été pour proposer à ses vacanciers des apéro-spectacles conviviaux.

"Ça fait hurler certains bourgeois. Mais tant mieux qu'elle ne fasse rien comme tout le monde. Elle a un parcours qui n'est pas celui des héritiers de la Culture et ça lui donne un autre regard. Emmanuel Macron l'a nommé aussi pour ça ", observe l'un de ses anciens conseillers ministériels.

De quoi lui permettre à terme de s'enorgueillir d'un prestigieux bilan à la Culture? "À chaque fois qu'un président a soutenu fortement son ministre de la Culture, des choses très fortes sont sorties de terre", nous expliquait l'ex ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy au moment de la nomination de Rachida Dati rue de Valois. Avec peut-être un modèle derrière la tête: le couple Charles de Gaulle-André Malraux ou François Mitterrand-Jack Lang.

Création du ministère, lancement du label des films d'art et essai, ouverture des maisons de la culture, Fête de la musique, création de l'Opéra Bastille... Le bilan des deux lointains prédécesseurs de Rachida Dati a en effet de quoi la faire rêver pour laisser une trace.

Mais Jack Lang comme André Malraux étaient restés près d'une décennie en poste. Rachida Dati devrait en toute probabilité faire beaucoup plus court et se lancer dans les prochains mois dans la course à la mairie de Paris.

Marie-Pierre Bourgeois